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Full text of "Essai sur le libre arbitre"

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ESSAI 

LIBRE ARBITUE 

t 

ARTHUR SCHOPENHÛUER 



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UIlHAtlIIK GKIUUCll llAlU.tËHP. KT G" 

t( Ml 4* Il ne liultlriiilli. 



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ESSAI 



SUR 



LE LIBRE ARBITRE 






COCLUMMIEBS. — TTPOG. PACL BRODABD 



ESSAI 



SUR LE 



LIBRE ARBITRE 



PAR 



ARTHUR SCHOPENHAUER 



TRADUIT EN FRANÇAIS POUR LA PREMIÈRE FOIS 



La liberté est un mystère. 
Malebranche. 



DEUXIÈME ÉDITION 



> • 



PARIS 

LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C'« 

108, BOULEVARD SAINT- GERMAIN, 108 

Ao coin de la ne HsilrfraiUe. 

1880 



F S" 









AVERTISSEMENT 



La dissertation dont nous donnons aujour- 
d'hui la traduction fut écrite en 1838, à l'occa- 
sion d'un concours ouvert par TAcadémie de 
Norvège *. Elle fait partie de V Éthique de Scho- 
penhauer , qui contient en outre une longue 
exposition des principes de sa morale. La der- 
nière édition est précédée de deux préfaces, di- 
rigées en grande partie contre TAcadémie de 
Danemark, qiii n'avait pas couronné cette se- 



1 . Voici renoncé de la question mise au concours par 
rÂcadémie Royale de Norvège : c Num liherum hominum 
arbitrium e sut ipsius conscientiâ demonstrarl potest f » 
En français : < Le libre arbitre peut-il être démontré par 
le témoignage de la conscience ?» Le prix fut décerné à 
la dissertation de Schopenhauer (d Trondhiem, le SO Jan- 
vier i839). 



MjJ' 



VI AVERTISSEMENT 

conde dissertation, et avait reproché assez ver- 
tement à Tauteur son intempérance de langage 
à regard de Fichte et de Hegel. (Plures recen- 
tioris œtatis summos philosophos tam indecenter 
commemoravit , ut justam et gravem offensionem 
habeat.) Nous n'avons pas jugé utile de repro- 
duire ces œuvres de polémique ; mais nous ex- 
trayons de la seconde préface les lignes suivan- 
tes, datées du mois d'août 1860, et qui sont si- 
gnificatives : 

« J'ai fini par m'ouvrir une voie en dépit *de 
la résistance de tous les professeurs de philoso- 
phie pendant de longues années conjurés con- 
tre moi, et les yeux du public éclairé s'ouvrent 
de plus en plus sur le compte des summi philo- 
sophi de l'Académie de Danemark. Si, pour quel- 
que temps encore peut-être, de malheureux pro- 
fesseurs de philosophie qui se sont depuis long- 
temps compromis avec eux soutiennent leur 
drapeau avec des forces défaillantes, ils sont ce- 
pendant bien tombés dans l'estime publique, et 
Hegel notamment s'achemine à grands pas vers 
le mépris réservé à son nom auprès de la pos- 
térité..,. Que nos professeurs de philosophie 



AVERTISSEMENT VU 

allemands aient considéré le contenu des dis- 
sertations que je réimprime ici comme ne mé- 
ritant aucuns égards, bien loin qu'elles soient di- 
gnes d'un examen sérieux, c'est ce que j'ai déjà 
reconnu ailleurs \ et cela va du reste de soi. 
Gomment donc de hauts esprits de cette nature 
devraient-ils faire attention à ce que de petites 
gens comme moi écrivent? De petites gens, sur 
lesquels, dans leurs écrits, ils daignent à peine 
jeter en passant et de haut en bas un regard de 

1. c Le seul talent de ces gens-là (les professeurs de 
philosophie), et leur arme unique contre la vérité et le 
talent, c'est de se taire, de ne pas desserrer les dents. 
Dans aucune de leurs innombrables et inutiles productions 
publiées depuis 1841, il n'y a un seul mot consacré à 
mon Éthique, quoiqu'elle soit sans contredit ce qui s'est 
fait de plus important en morale dans ces soixante der- 
nières années... Zitto, Zitto, pour que le public ne s'aper- 
çoive de rien, telle est, et telle reste toute leur politique. 
La pitoyable peur qu'ils ont de mes écrits n'est que leur 
crainte de la vérité. » {Dissertation sur la Quadruple 
Racine du Principe de Raison Suffisante, 3» édition, 1875). 
Ailleurs, dans le même ouvrage, Schopenhauer s'exprime 
avec une confiance dont témoigne déjà l'épigraphe de 
l'Éthique : MsyaAvi ^ «AviOcta, xai V7rs/9e<rxuc( . « Le lecteur 
qui ne s'intéresse point à la chose peut, s'il le veut, 
laisser passer intact à ses petits-fils ce livre, comme tout 
le reste de mes écrits. Moi, je m'en soucie peu : car je 
ne suis pas là pour une seule génération, mais pour un 
grand nombre. » Et plus loin : « Les professeurs de phi- 
losophie ne veulent rien apprendre de moi, et ne recon- 
naissent point combien de choses j'aurais à leur ensei- 
gner : à savoir, tout ce que leurs enfants, petits-enfants 
et arrière-petits-enfants apprendront de moi un jour. » 



VIII AVERTISSEMENT 

mépris et de blâme ! Oui, ce que je produis ne 
les regarde pas : qu'ils restent cloîtrés dans leur 
libre arbitre et dans leur loi morale.... car ce 
sont là, ils le savent bien, des articles de foi. ... 
Aussi méritent-ils tous d'être créés d'un seul 
coup membres de l'Académie de Danemark. » 



3 / 



ESSAI 



SUB LE 



LIBRE ARBITRE 



CHAPITRE PREMIER 

DÉFINITIONS. 

Dans une question aussi importante, aussi sé- 
rieuse et aussi difficile , qui rentre en réalité dans 
un problème capital de la philosophie moderne et 
contemporaine, on conçoit la nécessité d'une exac- 
titude minutieuse, et, à cet effet, d*une analyse des 
notions fondamentales sur lesquelles roulera la 
discussion. 

lo qu'entend-on par la liberté? 

Le concept de la liberté, à le considérer exacte- 
ment, est négatif. Nous ne nous représentons par 

6GH0PEMUAUEU 1 



2 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

lui que Tabsence de tout empêchement et de tout 
obstacle : or, tout obstacle étant une manifestation 
de la force , doit répondre à une notion positive. 
Le concept de la liberté peut être considéré sous 
trois aspects fort différents , d'où trois genres de 
libertés correspondant aux diverses manières d'être 
que peut affecter l'obstacle : ce sont la liberté 
physique, la liberté intellectuelle, et la liberté mo- 
rale. 

1° La liberté physique consiste dans Tabsence 
d'obstacles matériels de toute nature. C'est en ce 
sens que Ton dit : un ciel libre (sans nuages), un 
horizon ii6re, l'air libre (le grand air), l'électricité 
libre y le libre cours d'un fleuve (lorsqu'il n'est 
plus entravé par des montagnes ou des écluses), 
etc .... ^ Mais le plus souvent, dans notre pensée, 
l'idée de la liberté est l'attribut des êtres du règne 
animal, dont le caractère particulier est que leurs 
mouvements émanent de leur volonté, qu'ils sont, 
comme on dit, volontaires^ et on les appelle libres 
lorsqu aucun obstacle matériel ne s'oppose à leur 
accomplissement. Or,remarquons que ces obstacles 
peuvent être d'espèces très- diverses, tandis que la 
puissance dont ils empêchent Texercice est tou- 



1. Schopenhauer cite encore quelques autres expres- 
sions, qui sont de purs germanismes. Ainsi les Allemands 
disent une lettre libre, pour signifier une lettre affranchie. 
Nous laissons de côté ce qui est intraduisible. 



DÉFINITIONS 3 

jours identique à elle-même, à savoir la volonté; 
c*est par cette raison , et pour plus de simplicité, 
que Ton préfère considérer la liberté au point de 
vue positif. On entend donc par le mot libre la qua- 
lité de tout être qui se meut par sa volonté seule, et 
qui n'agit que conformément à elle, — interversion 
qui ne change rien d'ailleurs à l'essence de la 
notion. Dans cette acception toute physique de la 
liberté, on dira donc que les hommes et les ani- 
maux sont libres lorsque ni chaînes , ni entraves, 
ni infirmité, ni obstacle physique ou matériel d'au- 
cune sorte ne s'oppose à leurs actions, mais que 
celles-ci, au contraire, s'accomplissent suivant leur 
volonté. 

Cette acception physique delà liberté, considérée 
surtout comme l'attribut du règne animal, en est 
l'acception originelle , immédiate, et aussi la plus 
usuelle ; or, envisagée à ce point de vue, la liberté 
ne saurait être soumise à aucune espèce de doute 
ni de controverse, parce que l'expérience de cha- 
que instant peut nous en affirmer la réalité. Aussi- 
tôt en effet qu'un animal n'agit que par sa volonté 
propre, on dit qu'il est libre dans cette acception 
du mot, sans tenir aucun compte des autres in- 
fluences qui peuvent s'exercer sur sa volonté elle- 
même. Car l'idée de la liberté, dans cette signifi- 
cation populaire que nous venons de préciser, im- 
plique simplement la puissance d'agir, c'est-à-dire 



4 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

Tabsence d'obstacles physiques capables d'entraver 
les actes. C'est en ce sens que Ton dit : l'oiseau 
vole librement dans Tair, les bêtes sauvages errent 
libres dans les forêts, la nature a créé rhomme 
libre, l'homme libre seul est heureux. On dit aussi 
qu'un peuple est libre, lorsqu'il n'est gouverné que 
par des lois dont il est lui-même l'auteur : car alors 
il n'obéit jamais qu'à sa propre volonté. La liberté 
politique doit, par conséquent, être rattachée à la 
liberté physique. 

Mais dès que nous détournons les yeux de cette 
liberté physique pour considérer la liberté sous 
ses deux autres formes, ce n'est plus avec une 
acception populaire du mot, mais avec un concept 
tout philosophique que nous avons à faire, et ce 
concept, comme on sait, ouvre la voie à de nom- 
breuses difficultés. Il faut distinguer en effet, en 
dehors de la liberté physique, deux espèces de 
libertés tout à fait différentes, à savoir : la liberté 
intellectuelle et la liberté morale. 

2« La liberté intellectuelle — ce qu'Aristote 
entend par to éxou9iov xal àxouffiov xarà Siavoiav (le Vo- 
lontaire et le non-volontaire réfléchis) — n'est 
prise en considération ici qu'afin de présenter la 
liste complète des subdivisions de l'idée de la 
liberté : je me permets donc d'en rejeter l'examen 
' jusqu'à la fin de ce travail, lorsque le lecteur sera 
familiarisé par ce qui précède avec les idées qu'elle 



DÉFINITIONS 5 

implique, en sorte que je puisse la traiter d'une 
façon sommaire. Mais puisqu'elle se rapproche le 
plus par sa nature de la liberté physique, il a fallu, 
dans cette énumération, lui accorder la seconde 
place, comme plus voisine de celle-ci que la liberté 
morale. 

3® J'aborderai donc tout de suite Texamen de la 
troisième espèce de liberté, la liberté morale^ qui 
constitue à proprement parler le libre arbitre, sur 
lequel roule la question de l'Académie Royale. 

Cette notion se rattache par un côté à celle de 
la liberté physique, et c'est ce lien qui existe entre 
elles qui rend compte de la naissance de cette der- 
nière idée, dérivée de la première, à laquelle elle 
est nécessairement très-postérieure. La liberté 
physique, comme il a été dit^ ne se rapporte qu'aux 
obstacles matériels, et l'absence de ces obstacles 
suffit immédiatement pour la constituer. Mais 
bientôt on observa, en maintes circonstances, 
qu'un homme, sans être empêché par des obs- 
tacles matériels, était détourné d'une action à la- 
quelle sa volonté se serait certainement déter- 
minée en tout autre cas, par de simples motifs, 
comme par exemple des menaces, des promesses, 
la perspective de dangers à courir, etc. On se de- 
manda donc si un homme soumis à une telle in- 
fluence était encore libre, ou si véritablement un 
motif contraire d'une force suffisante pouvait. 



6 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

aussi bien qu'un obstacle physique, rendre impos- 
sible une action conforme à sa volonté. La réponse 
à une pareille question ne pouvait pas offrir de 
difficulté au sens commun : il était clair que jamais 
un motif ne saurait agir comme une force phy- 
sique, car tandis qu'une force physique, supposée 
assez grande, peut facilement surmonter d'une 
manière irrésistible la force corporelle deThomme, 
un motif, au contraire, n'est jamais irrésistible en 
lui-même, et ne saurait être doué d'une force ab- 
solue ^ On conçoit, en effet, qu'il soit toujours pos- 
sible de le contrebalancer par un motif opposé 
plus fort, pourvu qu'un pareil motif soit dispo- 
nible, et que l'individu en question puisse être dé- 
terminé par lui. Pour preuve, ne voyons-nous pas 
que le plus puissant de tous les motifs dans l'ordre 
naturel, l'amour inné de la vie, paraît dans cer- 
tains cas inférieur à d'autres, comme cela a lieu 
dans le suicide, ainsi que dans les exemples de 
dévouements, de sacrifices, ou d'attachements 
inébranlables à des opinions, etc. ; — réciproque- 
ment, l'expérience nous apprend que les tortures 
les plus raffinées et les plus intenses ont parfois 
été surmontées par cette seule pensée, que la con- 
servation de la vie était à ce prix. Mais quand 
même il serait démontré ainsi que les motifs ne 

1. Unhedingt, inconditionnée» 



DÉFINITIONS 7 

portent avec eux aucune contrainte objective et 
absolue , on pourrait cependant leur attribuer une 
influence subjective et relative, exercée sur la per- 
sonne en question : ce qui finalement reviendrait 
au même ^ Par suite, le problème suivant restait 
toujours à résoudre : La volonté elle-même est- 
elle libre ? — Donc la notion de la liberté, qu'on 
n'avait conçue jusqu'alors qu'au point de vue de 
la puissance d'agir, se trouvait maintenant en- 
visagée au point de la vue de la puissance de 
vouloir^ et un nouveau problème se présentait : le 
vouloir lui-même est-il libre*? — La définition 
populaire de la liberté (physique) peut-elle em- 
brasser en même temps cette seconde face de la 
question ? C'est ce qu'un examen attentif ne nous 
permet point d'admettre. Car, d'après cette pre- 
mière définition, le mot libre signifie simplement 
« conforme à la volonté » : dès lors, demander si la 
volonté elle-même est libre, c'est demander si la 
volonté est conforme à la volonté , ce qui va de 
soi, mais ne résout rien. Le concept empirique 
de la liberté nous autorise à dire : a Je suis libre, 
si je peux faire ce que je veux ; mais ces mots 
a ce que je veux » présupposent déjà l'existence 
de la liberté morale. Or c'est précisément la liberté 
du vouloir qui est maintenant en question, et il 

1, C'estrà-dire, supprimerait partiellement la liberté. 



8 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

•faudrait en conséquence que le problème se posât 
comme il suit: « Peux-tu aussi vouloir ce que 
tu i^euxPn — ce qui ferait présumer que toute voli- 
tion dépendît encore d'une volilion antécédente. 
Admettons que Ton répondit par raffirmative à 
cette question : aussitôt il s'en présenterait une 
autre : a Peux tu aussi vouloir ce que tu veux vou- 
loir? » et l'on irait ainsi indéfiniment en remontant 
toujours la série des volitions, et en considérant 
chacune d'elles comme dépendante d'une volition 
antérieure et placée plus haut, sans jamais parvenir 
sur cette voie à une volition primitive, susceptible 
d'être considérée comme exempte de toute relation 
et de toute dépendance. Si, d'autre part, la nécessité 
de trouver un point fixe * nous faisait admettre une 
pareille volition, nous pourrions, avec autant de 
raison, choisir pour volition libre et inconditionnée 
la première de la série, que celle même dont il 
B'agit, ce qui ramènerait la question à cette autre 
fort simple : a Peux-tu vouloir? t> Suffit-il de ré- 
pondre affirmativement pour trancher le problème 
du libre arbitre? Mais c'est là précisément ce qui 
est en question, et ce qui reste indécis. Il est donc 
impossible d'établir une connexion directe entre 
le concept originel et empirique de la liberté , 

1. C'est ràvayxii 9T«|yot(. Kant et Schopenhauer ont con- 
sidéré celte première volilion libre comme extemporelle» 
— V. le dernier chapitre. 



DÉFINITIONS 9 

qui ne se rapporte qu'à la puissance d'agir, et le 
concept du libre arbitre, qui se rapporte unique- 
ment à la puissance de vouloir. C'est pourquoi il a 
fallu, afin de pouvoir néanmoins étendre à la vo- 
lonté le concept général de la liberté, lui faire subir 
une modification qui le rendit plus abstrait. Ce but 
fut atteint, en faisant consister la liberté dans la 
simple absence de toute force nécessitante. Par 
ce moyen , cette notion conserve le caractère né- 
gatif que je lui ai reconnu dès le commencement. 
Ce qu'il faut donc étudier sans plus de retard, 
c'est le concept de la Nécessité, entant que concept 
positif indispensable pour établir la signification 
du concept négatif de la liberté. 

Qu*enlend-on par nécessaire ? La définition or- 
dinaire : « On appelle nécessaire ce dont le con- 
traire est impossible, ou ce qui ne peut être autre- 
ment, » est une simple explication de mots, une 
périphrase de l'expression à définir, qui n'aug- 
mente en rien nos connaissances à son sujet. En 
voici, selon moi, la sçule définition véritable et 
complète : « On entend par nécessaire tout ce qui 
résulte d'une raison suffisante donnée », définition 

qui, comme toute définition juste, peut aussi être 

• 

retournée. Or, selon que cette raison suffisante ap- 
partient à l'ordre logique, à l'ordre mathématique, 
ou à l'ordre physique (en ce cas elle prend le nom de 

cause), la nécessité est dite logique (ex. : la conclu- 

1. 



10 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

sion d'un syllogisme, étant données les prémisses), 
— mathématique (l'égalité des côtés d'un triangle 
quand les angles sont égaux entre eux); ou bien 
physique et réelle (comme Tapparition de Teffet, 
aussitôt qu'intervient la cause) : mais, de quelque 
ordre de faits qu'il s'agisse, la nécessité de la con- 
séquence est toujours absolue, lorsque la raison 
suffisante en est donnée. Ce n'est qu'autant que 
nous concevons une chose comme la conséquence 
d'une raison déterminée, que nous en reconnais- 
sons la nécessité; et inversement, aussitôt que 
nous reconnaissons qu'une chose découle à titre 
d'effet d'une raison suffisante connue, nous conce- 
vons qu'elle est nécessaire : car toutes les raisons 
sont nécessitantes. Cette explication est si adéquate 
et si complète, que les deux notions de nécessité 
et de conséquence d'une raison donnée sont des 
notions réciproques (convertibles), c'est-à-dire 
qu'elles peuvent être substituées Tune à l'autre. 
D'après ce qui précède, la non-nécessité (contin- 
^ gence) équivaudrait à l'absence d'une raison suffi- 
' santé déterminée. On peut cependant concevoir 
l'idée de la contingence comme opposée à celle 
de la nécessité : mais il n'y a là qu'une difficulté 
apparente ^. Car toute contingence n'est que 

1 . Schopenhauer se fait cette objection : Si Tidée de la 
nofi'nécessité est absurde et impensable, comment se 



DÉFINITIONS il 

relative. Dans le monde réel, en effet, qai peut 
seul nous donner Tidée du hasard, chaque é?éne- 
ment est nécessaire , par rapport à sa cause ; 
mais il peut être contingent par rapport à tous les 
autres objets, entre lesquels et lui peuvent se pro- 
duire des coïncidences fortuites dans Fespace el 
dans le temps. Il faudrait donc que la liberté, dont 
le caractère essentiel est Tabsence de toute néces- 
sitation, fût l'indépendance absolue à Tégard de 
toute cause, c'est-à-dire la contingence et le hasard 
absolus 1. Or c'est là un concept souverainement 
problématique, qui peut-être ne saurait même pas 
être clairement pensé, et qui cependant, chose 
étrange à dire, se réduit identiquement à celai de 
la liberté. Quoi qu*il en soit, le mot libre signifie 
ce qui n'est nécessaire sous aucun rapport^ c'est- 
à-dire ce qui est indépendant de toute raison su£g- 

fait-il que nous concevions celle de la contingence 7 U 
explique fort bien que les notions de cootingeoœ (non- 
solidarité entre les séries de causes), et de hasard absolu 
(absence de cause; ne sont pas identiques, et que la seconde 
seule est absurde. 

1. Sur l'identité du hasard absolu et de la fatalité > voir 
le beau travail de M. Fouillée, Liberté et Déterminisme y 
chap. I. — Le hasard, entendu dans toute la rigueur du 
terme, ne peut être ni perçu, ni même conçu. In mundo 
non est casus, est une affirmation du sens commun, qui 
n'est qu'une expression un peu différente de celle du 
principe de causalité. Mais dans le langage vulgaire, la 
notion du hasard répond simplement à celle c de l'indé- 
pendance ou de la non- solidarité entre les diverses séries 
de causes. » (M. Gournot.) Cf. Stuart-Mill, Logique^ et 
P. Janet, Causes finales, p. 21-27. 



12 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

santé. Si un pareil attribut pouvait convenir à la 
volonté humaine, cela voudrait dire qu'une vo- 
lonté individuelle, dans ses manifestations exté- 
rieures, n'est pas déterminée par des motifs, ni par 
des raisons d'aucune sorte, puisque autrement — 
la conséquence résultant d*une raison donnée, de 
quelque espèce qu'elle soit, intervenant toujours 
avec une nécessité absolue — ses actes ne seraient 
plus libres, mais nécessités. Tel était le fondement 
de la pensée de Kant, lorsqu'il définissait la liberté, 
« le pouvoir de commencer de soi-même une série 
de modifications. » Car ces mots c de soi-même, » 
ramenés à leur vraie signification, veulent dire 
c sans cause antécédente, >» ce qui est identique à 
G sans nécessité. » De sorte que cette définition, bien 
qu'elle semble en apparence présenter le concept 
de la liberté comme un concept positif, permet à 
une observation plus attentive d'en mettre de nou- 
veau en évidence la nature négative. 

Une volonté libre, avons-nous dit, serait une vo- 
lonté qui ne serait déterminée par aucune raison, 
c'est-à-dire par rien^ puisque toute chose qui en 
détermine une autre est une raison ou une cause ^ ; 
une volonté, dont les manifestations individuelles 

4. Schopenhauer a distingué nettement la raison et la 
cause dans sa Dissertation sur le Quadruple Principe, etc. 
P. 7-22. Elles diffèrent comme le principe de raison suf- 
fisante diffère du principe de causalité. (V. Fouillée, 
PhU. de Platon, t. II, p. 4G81. 



DÉFINITIONS i3 

(volitions), jailliraient au hasard et sans sollicitation 
aucune, indépendamment de toute liaison causale 
et de toutei règle logique. En présence d'une pa- 
reille notion, la clarté même de la pensée nous fait 
défaut, parce que le principe de raison suffisante, 
qui, sous tous les aspects qu'il revêt, est la forme 
essentielle de notre entendement, doit être répu- 
dié ici, si nous voulons nous élever à Tidée de 
la liberté absolue. Toutefois il ne manque pas 
d'un terme technique (terminus technicus ad 
hoc) pour désigner cette notion si obscure et si 
difficile à concevoir : on l'appelle liberté d'indiffé- 
rence ^ (liberum arbitrium indifferentise). D'ail- 
leurs, de cet ensemble d'idées qui constituent le 
libre arbitre, celle-ci est la seule qui soit du moins 
clairement définie et bien déterminée ; aussi ne 

1. L*expression de liberté d'indilTérence a dans la langue 
philosophique moderne deux sens qu'il faut distinguer. Le 
premier répond à la doctrine (généralement abandonnée 
aujourd'hui) qui refuse aux motifs toute influence quelle 
qu'elle soit sur les déterminations d'une volonté parfaite : 
appliquée à la volonté divine par Duns Scot, elle a con- 
duit à la théorie fameuse du décret absoiu (Crusius), com- 
battue par Malebranche malgré Tautorité de Descartes. 
Le second désigne cette prétendue liberté, sur laquelle ont 
tant insisté Reid et ses successeurs, grâce à laquelle nous 
nous déterminons actuellement, sans motifs , entre deux 
termes équipoUents. Quoique Descartes n'ait vu en elle 
que le gradun infimus libertatis, le spiritualisme s'en est 
servi longtemps pour combattre les déterministes; mais 
les faits sdlégués sont, au contraire, tout à Tavantage de 
ces derniers. Voyez sur ce point un des plus beaux cha- 
pitres de l'ouvr. cit. de M. Fouillée, p. 74-100. 



14 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

peut- on la perdre de vue, sans tomber dans des 
explications embarrassées, vagues, nuageuses, 
derrière lesquelles cherche à se dissimuler une 
timide insuffisance, — comme lorsqu'on parle de 
raisons n'entraînant pas nécessairement leurs con- 
séquences 1. Toute conséquence découlant d'une 
raison est nécessaire, et toute nécessité est la con- 
séquence d'une raison. L'hypothèse d'une pareille 
liberté d'indifférence entraîne immédiatement l'af- 
firmation suivante, qui est caractéristique, et doit 
par conséquent être considérée comme la marque 
distinctive et l'indice de cette idée : à savoir qu'un 
homme, placé dans des circonstances données, et 
complètement déterminées par rapport à lui, peut, 
en vertu de cette liberté d'indifférence, agir de 
deux façons diamétralement opposées. 

2» QU'ENTEND- ON PAR LA CONSCIENCE? 

Réponse : la perception (directe et immédiate) 
du moi, par opposition à la perception des objets 
extérieurs, qui est l'objet de la faculté dite percep- 
tion extérieure. Cette dernière faculté , avant 

1. C'est le cas de ceux qui répondent aux déterministes 
t que les motifs éclairent la volonté, mais qu'ils ne la 
déterminent pas, » ou bien, avec Reid : « qu'ils ne nous 
déterminent pas, mais nous déterminent seulement à 
nous déterminer. » Comme si ce n'était pas déjà, objecte 
M. Fouillée, leur reconnaître une force déterminaotel 



DÉFINITIONS 15^ 

même que les objets extérieurs viennent se pré- 
senter à elle, contient certaines formes nécessaires 
[à priori] de la connaissance,. qui sont par suite 
autant de conditions de l'existence objective ^ des 
choses, c'est-à-dire de leur existence pour nous 
en tant qu'objets extérieurs : telles sont, comme 
on sait, le temps, l'espace, la causalité. Or, quoique 
ces formes de la perception extérieure résident en 
noies, elles n'ont pourtant pas d'autre but que de 
nous permettre de prendre connaissance des objets 
extérieurs en tant que tels, et dans une relation 
constante avec ces formes; aussi n'avons-nous pas 
à les considérer comme appartenant au domaine 
de la conscience, mais bien plutôt comme de sim- 
ples conditions de la possibilité de toute connais- 
sance des objets extérieurs, c'est-à-dire de la 
perception objective. 

En outre , je ne me laisserai pas abuser par le 
double sens du mot conscientia 2 employé dans 
l'énoncé de la question, et je me garderai de con- 
fondre avec la conscience proprement dite l'en- 
semble des instincts moraux de l'homme, désigné 
sous le nom de conscience morale ou de raison 

1. N'est-ce pas plutôt subjective qu'il faudrait dire ? Je 
n'ai pas osé changer le texte. 

2. En français et en latin, la confusion est possible, et 
l'on sait combien eUe est fréquente. En allemand, on a 
les deux mots Gewissen et Bewustseyrif et en anglais 
conscience et consciousness, qui permettent d'éviter toute 
équivoque. 



16 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

pratique, avec les impératifs catégoriques queKant 
(ui attribue ; et cela, d'une part, parce que ces ins- 
tincts ne commencent à se développer dans l'homme 
qu'à la suite de l'expérience et de la réflexion, c'est- 
à-dire à la suite de la perception extérieure ; d'autre 
part, parce que dans ces instincts mêmes la ligne 
de démarcation entre ce qui appartient originaire- 
ment et en propre à la nature humaine, et ce que 
Véducation morale et religieuse y ajoute, a*est pas 
encore tracée d'une façon nette et indiscutable. 
D'ailleurs il n'entre certainement pas dans Tinten 
tion de l'Académie de voir détourner artificiellement 
la question sur le terrain de la morale par une 
confusion de la conscience morale avec la cons- 
cience psychologique, et d'entendre renouveler 
aujourd'hui la preuve morale, ou bien plutôt le 
postulat de Eant, démontrant la liberté par le sen- 
timent à priori de la loi morale, au moyen du fa- 
meux argument (enthymème) : a Tu peux^ parce 
que tu dois. » 

Il ressort de ce qui vient d'être dit que la par- 
tie la plus considérable de notre faculté cognitive 
en général n'est pas constituée par la conscience, 
mais par la connaissance du non-moi, ou per- 
ception extérieure. Cette faculté est dirigée avec 
toutes ses forces vers le dehors, et est le théâtre 
(on peut môme dire, à un point de vue plus élevé, 
la condition), des objets du monde extérieur, dont 



DÉFINITIONS i7 

elle commence tout d'abord par recevoir les im- 
pressions avec une passivité apparente ; mais bien- 
tôt réunissant pour ainsi dire les connaissances 
acquises par cette voie, elle les élabore et les 
transforme en notions, qui, en se combinant indé- 
finiment avec le secours des mots^ constituent la 
pensée * . Ce qui nous resterait donc, après déduc- 
tion de cette partie de beaucoup la plus considé- 
rable de notre faculté cognitive , ce serait la con- 
science psychologique. Nous concevons, dès lors, 
que la richesse de cette dernière faculté ne saurait 
être bien grande : aussi, si c'est la conscience qui 
doit véritablement renfermer les données néces- 
saires à la démonstration du libre arbitre, nous 
avons le droit d'espérer qu'elles ne nous échappe- 
ront pas. Ou a aussi émis l'hypothèse d'un sens 
intérieur \ servant d'organe à la conscience, mais 
il faut le prendre plutôt au sens figuré qu'au sens 
réel, parce que les connaissances que la conscience 
nous fournit sont immédiates, et non médiates 
comme celles des sens. Quoi qu'il en soit , notre 



1. Dans cette assertion fort contestable, on reconnaît 
l'influence de Técole française du xvm« siècle, que Scho* 
penhauer avait étudiée de fort près. 

2. « n se trouve déjà mentionné dans Cicéron, sous le 
nom de tcu:tu8 interior (Acad» Quœst. Vf, 1), Plus explici- 
tement encore dans Saint- Augustin {de Lib, Arb., II, 3 et 
sq,), puis dans Descartes {Princ, Phil, IV, 190) ; il est 
décrit avec tous les développements désirables par 
Lx>cke« « {Note de Schopenhauer). 



18 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

prochaine question s'énonce ainsi : Quel est le cort" 
tenu de la conscience? ou bien : Gomment et sous 
quelle forme le moi que nous sommes se révèle- 
t-il immédiatement à lui-même? — Réponse : En 
tant que le moi d'un être voulant i. Chacun de 
nous, en effet, pour peu qu'il observe sa propre 
conscience , ne tardera pas à s'apercevoir que 
l'objet de cette faculté est invariablement la vo- 
lonté de sa personne; et par là il ne faut pas seu- 
lement entendre les volitions qui passent aussitôt 
à l'acte, ou les résolutions formelles qui se tra- 
duisent par des faits sensibles. Tous ceux en effet 
qui savent distinguer, malgré les différences dans 
le degré et dans la manière d'être, les caractères 
essentiels des choses, ne feront aucune difficulté 
pour reconnaître que tout fait psychologique, désir, 
souhait, espérance, amour, joie, etc., ainsi que les 
sentiments opposés, tels que la haine, la crainte, 
la colère, la tristesse, etc., en un mot toutes les 
affections et toutes les passions , doivent être 
comptées parmi les manifestations de la volonté; 
car ce ne sont encore là que des mouvements plus 

1 . « Le sentiment immédiat de la force n'est autre que 
celui de notre existence môme dont l'activité est insépa- 
rable... La cause, ou force actuellement appliquée à mou- 
voir le corps, est une force agissante que nous appelons 
volonté. Le moi s'identifie complètement avec cette force 
agissante. » (Maine de Biran» œuvres inédites, p. 49). 
C'est du reste le développement des idées de Leibniz. 
(Édit. Janet, t. II, p. 526). 



DÉFINITIONS lî> 

OU moins forts, tantôt violents et tumultueux , 
tantôt calmes et réglés, de la volonté individuelle, 
selon qu'elle est libre ou enchaînée, contente ou 
mécontente, et se rapportant t ou-, avec une grande 
variété de direction, soit à la possession ou au 
manque de Tobjet désiré, soit à la présence ou à 
Téloignement de l'objet haï. Ce sont donc bien des 
affections multiples de la même volonté, dont la 
force active se manifeste dans nos résolutions et 
dans nos actes i. On doit même ajouter à la précé- 
dente énumération les sentiments du plaisir et de 
la douleur : car, malgré la grande diversité sous 
laquelle ils nous apparaissent, on peut toujours 
les ramener à des affections relatives au désir 



i . c II est très-digne de remarque, que déjà Saint-Augus- 
tin a parfaitement reconnu ce fait, tandis qu'un grand 
nombre de philosophes modernes, avec leur prétendue 
faculté de sentir, ne paraissent pas s'en douter. Car dans 
la Cité de Dieu (lib. XIV, c. 6), il parle des affections de 
Tâme, qu'il a rangées dans le livre précédent en quatre caté- 
gories, à savoir : le désir, la crainte, la joie et la tristesse, 
et il ajoute : « La volonté est en tous ces mouvements, 
ou plutôt tous ces mouvements ne sont que des volontés. 
En effet, qu'est-ce que le désir et la joie, qu'une volonté 
qui approuve ce que nous voulons? Et qu'est-ce que la 
crainte et la tristesse, qu'une volonté qui improuve ce 
que nous ne voulons pas o ? {Note de Schopenhauer : Trad, 
Fr, de Lombert). Les modernes dont parle l'auteur sont 
sans doute les sensualistes qui oublièrent que le carac- 
tère essentiel de l'àme est d'être une force en acte, vis 
8UÎ motrix. Schopenhauer lui-même aurait dû s'en sou- 
venir, lorsque, perdant de vue ce point fondamental de 
toute saine psychologie^ il compare l'âme à une balance. 
(P. 140.) 



^0 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

OU à l'aversion, c'est-à-dire à la volonté prenant 
conscience d'elle-même en tant qu'elle est satis- 
faite ou non satisfaite, entravée ou libre : bien 
plus, cette catégorie comprend même les impres- 
sions corporelles, agréables ou douloureuses, et 
tous les innombrables intermédiaires qui séparent 
ces deux pôles de la sensibilité; puisque ce qui 
fait l'essence de toutes ces affections, c'est qu'elles 
entrent immédiatement dans le domaine de la 
conscience en tant que conformes ou non confor- 
mes à la volonté. A y regarder de près, on ne 
peut môme prendre immédiatement conscience de 
son propre corps qu'en tant qu*il est l'organe de la 
volonté agissant vers le dehors, et le siège de la 
sensibilité pour des impressions agréables ou dou- 
loureuses; or ces impressions elles-mêmes, comme 
nous venons de le dire, se ramènent à des affec- 
tions immédiates de la volonté, qui lui sont tantôt 
conformes et tantôt contraires ^ Du reste, on peut 
indifféremment compter ou ne pas compter parmi 
les manifestations de la volonté ces sensations 
simples du plaisir et de la douleur; il reste en tous 
cas que ces mille mouvements de la volonté, ces 
alternatives continuelles du vouloir et du non-vou- 
loir, qui, dans leur flux et dans leur reflux inces- 

l.'Ges idées ont été cent fois exprimées par les phUo- 
sophes français depuis Maine de Biran, avec quelle supé- 
riorité de langnge, il n'est pas besoin de le dire. 



DÉFINITIONS 2r 

sants, eonstituent Tunique objet de la conscience,, 
ou, si Ton veut, du sens intime, sont dans un rap- 
port constant et universellement reconnu avec les 
objets extérieurs que la perception nous fait con- 
naître. Mais cela, comme il a été dit plus haut^ 
n'est plus du domaine de la conscience immédiate, 
à la limite de laquelle nous sommes donc arrivés, 
au point où elle se confond avec la perception 
extérieure, dès que nous avons touché au monde 
extérieur. Or les objets dont nous prenons connais- 
sance au dehors sont la matière même et Tocca- 
sion 1 de tous les mouvements et actes de la 
volonté. On ne reprochera pas à ces mots de ren- 
fermer une pétition de principe : car que notre 
volonté ait toujours pour objet des choses exté- 
rieures vers lesquelles elle se porte, autour des- 
quelles elle gravite, et qui la poussent, au moins 
en tant que motifs, vers une détermination quel- 
conque, c*est ce que personne ne peut mettre en 
doute. Soustrait à cette influence, Thomme ne 
conserverait plus qu'une volonté complètement 
isolée du monde extérieur, et emprisonnée dans 
le sombre intérieur de la conscience individuelle. 
La seule chose qui soit encore douteuse à nos yeux, 
c'est le degré de nécessité avec lequel les objets 



1. II y a dans le mot allemand anlass quelque chose de 
plus : la véritable traduction serait cau^e excitatrice* 



^2 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

du monde extérieur déterminent les actes de la 
volonté. 

C'est donc la volonté qui est l'objet principal, 
je dirai même l'objet exclusif de la conscience*. 
Mais la conscience peut -elle trouver en elleniiême 
-et en elle seule des données suffisantes qui permet- 
tent d'affirmer la liberté de cette volonté, dans le 
sens que nous avons précisé plus haut, le seul d'ail- 
leurs qui soitclair et nettement déterminé? C'est 
là même le problème vers la solution duquel nous 
allons maintenant diriger notre course, après nous 
^n être rapprochés dans ce qui précède, en lou- 
voyant il est vrai, mais déjà toutefois d'une manière 
fiotable. 

1 . On sait que dans le système de Schopenhauer, la 
volonté est la chose en soi, le noumenon, mais « la per- 
ception interne que nous avons de notre propre volonté, 
ne peut en aucune fagon nous donner une connaissance 
complète, adéquate de la chose en soi. Gela ne pourrait 
-être que si la volonté nous était connue immédiatement. 
Mais elle a besoin d*un intermédiaire, Tintelligence, qui 
suppose elle-même un intermédiaire : le corps, le cer- 
veau. La volonté est donc, pour nous, liée aux formes de 
la connaissance ; elle est donnée dans la conscience sous 
la forme d'une perception et comme telle se scinde en 
sujet et en objet, etc. » (M. Ribot, p. 91-98;. Voir, pour 
l'exposition des fondements du système de Schopenliauer, 
MM. Ribot, La Philosophie de Schopenhauer ; Challemel- 
Lacour, Revue des Deux-Mondes du 15 mars 1870; et 
Em. Charles, dans le Dictionnaire des sciences philoso- 
phiques (nouvelle édition). 



CHAPITRE II 



LA VOLONTE DEVANT LA CONSCIENCE. 



Quand un homme veut, il veut aussi quelque 
chose : sa volition a toujours quelque objet vers 
lequel elle tend, et ne peut être pensée qu'en rap- 
port avec cet objet. Mais que signifie vouloir quel- 
que chose? Voici ce que j'entends par là. La voli- 
tion, qui en elle-même est seulement Tobjet de la 
conscience, se produit sous Tinflueuce de quelque 
mobile appartenant au domaine de la connaissance 
du non-moi, et qui par conséquent est un objet 
de la perception extérieure ; ce mobile, désigné au 
point de vue de cette influence sous le nom de 
motif, est non- seulement la cause excitatrice^ 
mais la matière de la volition, parce que celle-ci 
est dirigée sur lui, c'est-à-dire qu'elle a pour but 



24 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

de le modifier en quelque façon, qu'elle réagit par 
conséquent sur lui (à la suite de Timpulsion même 
qu'elle en reçoit) : et c'est dans celte réaction que 
consiste toute entière la volition ^ Il ressort déjà 
de ceci que la volition ne saurait se produire sans 
motif; car alors elle manquerait également de 
cause et de matière. Seulement on se demande si, 
dès que cet objet est présent à notre entendement, 
la volition doit ou non se produire nécessaire- 
ment; bien plus, si en présence d'un même motit, 
il pourrait se produire une volition différente, ou 
même diamétralement opposée ; ce qui revient à 
mettre en doute si la réaction dont nous avons 
parlé peut, dans des circonstances identiques, 
se produire ou ne se produire pas, affecter telle 
forme ou telle autre, ou mémo deux formes 
absolument contraires. En un mot, la volition 
est-elle provoquée nécessairement par le motif? 
ou faut-il admettre que la volonté , au moment oix 
nous prenons conscience du motif, conserve son 
entière liberté de vouloir 2 ou de ne pas vou- 

1. Le motif est moins la cause efficiente que la cause 
finale de l'action. C'est une particularité qui le distingue 
de la cause physique, et que Schopenhauer aurait dû 
marquer plus nettement. Peut-être qu*en approfondissant 
cette différence, on y trouverait un argument contre le 
déterminisme. 

2. Ce n'est pas la volonté qui veut, mais le moi qui se 
déte%*mine. L'expression de Schopenhauer est au moins 
impropre. (V. plus bas p. 36.) 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 25- 

loir? Ici donc la notion de la liberté , dans le sens 
abstrait que la discussion précédente lui a donné 
et que j'ai prouvé être le seul acceptable, est enten- 
due comme une simple négation de la nécessité, et 
notre problème est ainsi clairement posé. Mais c'est 
dans la conscience immédiate que nous avons à 
chercher les données nécessaires à sa solution, et 
nous examinerons jusqu'au bout le témoignage d& 
cette faculté avec toute l'exactitude possible, loin 
de nous contenter de trancher brutalement le 
nœud comme l'a fait Descartes, en émettant, sans 
prendre la peine de la justifier, l'affirmation sui- 
vante : ic Nous avons une conscience si parfaite de 
la liberté d'indifférence qui est en nous, qu'il n'est 
rien qui nous soit connu avec plus de lucidité ni- 
d'évidence. » (Princ. Phil, 1, § 41. j Leibniz lui- 
même a déjà fait ressortir ce qu'il y avait d'insuffi- 
sant dans une telle affirmation {Théod. 1, § 50, 
et III, § 292) , lui qui, cependant , sur cette ques- 
tion, s'est montré comme un frêle roseau cédant à- 
tous les vents; car après les déclarations les plus 
contradictoires, il aboutit finalement à cette con- 
clusion, que la volonté est, il est vrai, inclinée 
par les motifs, mais qu'ils ne la nécessitent pas. 
D dit en effet : t Toutes les actions sont détermi- 
nées, et jamais indifférentes, parce qu'il y a tou- 
jours quelque raison inclinante, mais non toutefois 
nécessitante, pour qu'elles soient telles plutôt que^ 

SGHOPfN^AUEIl. 2 



16 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

telles. » (Leibniz, De libertate^ Opéra, Ed. Erd- 
mann, p. 669.) Ceci me donne Toccasion de faire 
observer qu'une pareille voie, cherchant un milieu 
entre les deux termes de ralternative posée plus 
haut, n'est pas tenable, et qu'on ne peut pas dire, 
comme quelques-uns, en se retranchant à plaisir 
derrière une indécision hésitante, que les motifs ne 
déterminent la volonté qu'en une certaine me- 
sure, qu'elle subit leur influence, mais seulement 
jusqu'à un certain point, et qu'à un moment donné 
elle a le pouvoir de s'y soustraire. Car aussitôt que 
nous avons accordé à une force donnée l'attribut de 
la causalité, et reconnu par conséquent qu'elle est 
une force active, cette force n'a besoin, dans l'hy- 
pothèse d'une résistance, que d'un surcroît d'in- 
tensité, dans la mesure de cette résistance même, 
pour pouvoir achever son effet. Celui qui hésite 
encore et ne peut pas être corrompu par l'offre de 
10 ducats, le sera assurément si on lui en pro- 
pose 400, et ainsi de suite... 

Considérons donc maintenant, en vue de la so- 
lution que nous cherchons, la conscience immé- 
diate entendue dans le sens établi plus haut. Quelle 
clef cette faculté peut-elle nous fournir pour la 
solution de cette question abstraite, à savoir Tap- 
plicabilité, ou la non-applicabilité du concept de 
la nécessité à la production de la volition, en pré- 
sence d'un motif donné, c'ect-à-dire connu et 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 27 

conçu par rentendement ^ ? Nous nous exposerions 
à bien des déceptions si nous nous attendions à 
tirer de cette conscience des renseignements pré- 
cis et détaillés sur la causalité en général, et sur 
la motivation en particulier, comme aussi sur le 
degré de nécessité qu'elles portent toutes deux 
avec elles. Car la conscience, telle qu'elle habite 
au fond de tous les hommes, est chose beaucoup 
trop simple -et trop bornée, pour pouvoir donner 
des explications sur de pareilles questions. Bien 
plus, ces notions de causalité et de nécessité sont 
puisées dans Tentendement pur qui est tourné 
vers le dehors , et ne peuvent être amenées à une 
expression philosophique que devant le forum de 
la raison réilective. Mais quant à cette conscience 
naturelle, simple, je dirais même bornée 3, elle ne 
peut même pas concevoir la question, bien loin 
qu'elle y puisse répondre. Son témoignage au su- 
jet de nos volitions, que chacun peut écouter dans 
son propre for intérieur, pourra être exprimé à 
peu près commé^il suit, quand on l'aura dépouillé 
de tout accessoire inutile et étranger à la ques- 
tion, et ramené à son contenu le plus strict : a Je 
peux vouloir, et lorsque je voudrai un acte quel- 

1. Le texte ajoute : « ou de la possibilité, ou non-pos- 
sibilité, de sa non-produclion en pareil cas. » 

2. Einfache, ja, einfaeltige. Le mot simple, en français, 
peut être pris en deux sens assez diiïérents correspon- 
dant chacun à un des termes employés par Schopenhauer. 



^8 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

conque, les membres de mon corps qui sont capa- 
bles de mouvement (placés dans la sphère du 
mouvement volontaire) Taccompliront à l'instant 
même, d*une façon tout à fait immanquable. » Cela 
veut dire en peu de mots : « Je puis faire ce que 
■JE VEUX ! » La déclaration de la conscience immé- 
diate n'a pas une plus grande portée, de quelque 
manière qu'on puisse la contourner et sous quelque 
forme que l'on veuille poser la question. Elle se 
réfère donc toujours au « Pouvoir d'agir confor- 
mément à la volonté ; » mais n'est-ce pas là cette 
idée empirique, originelle et populaire de la li- 
berté, telle que nous l'avons établie dès le com- 
inencement, d'après laquelle le mot libre veut 
dire : a conforme à la volonté? » C'est cette liberté, 
et celle-là seule, que la conscience affirmera caté- 
-goriquement ^ Mais ce n'est pas celle que nous 
cherchons à démontrer. La conscience proclame la 
liberté des acies, avec la présupposition de la li- 
berté des volitions : mais c'est la liberté des voli- 
iions qui a seule été mise en question. Car nous 
étudions ici le rapport entre la volonté môme et les 
motifs : or sur ce point l'affirmation : « je peux 
faire ce que je veux, » ne fournit aucun renseigne- 
ment. La dépendance où sont nos actes, c*est-à- 



1. La page qu'on vient de lire est d'une extrême impor- 
tance : eUe est la base et en même temps le résumé de 
toute la première partie de Touvraise. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 29 

dire nos mouvements corporels, relativement à 
notre volonté (dépendance qui est affirmée , sans 
doute, par la voix de la conscience), est quelque 
chose dé tout à fait différent de Tindépendance de 
nos volitions par rapport aux circonstances exté- 
rieures^ ce qui constituerait véritablement le libre 
arbitre ; mais sur Texistence de ce libre arbitre, 
la conscience ne peut rien nous apprendre. Cette 
question, en effet, est nécessairement en dehors de 
sa sphère, parce qu'elle concerne le rapport de 
causalité du monde sensible (qui ne nous est 
donné que parla perception extérieure), avec nos 
résolutions, et que la conscience ne peut évidem- 
ment pas porter de jugement sur'le rapport d'une 
chose qui est tout à fait en dehors de son domaine, 
à une autre, qui lui appartient en propre. Car 
aucune puissance cognitive ne peut établir une 
relation entre deux termes dont l'un ne saurait lui 
être donné d'aucune manière. Or il est bien évi- 
dent que les objets de la volonté, qui déterminent 
précisément la volition, sont placés, au-delà de 
la limite de la perception interne , dans la per- 
ception du non- moi; seule, la volition se produit 
à l'intérieur, et c'est justement le rapport de cau- 
salité qui lie la volition et ces objets du dehors 
que Ton cherche à préciser. La volition seule est 
du domaine de la conscience, avec son empire 

absolu sur les membres du corps, empire dont le 

2. 



30 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

sentiment intime est, à proprement parler, à la 
racine de Taffirmation : « Je peux ce que je veux. > 
Aussi n'est-ce tout d*abord que Texercice de cet 
empire, c'est-à-dire l'acte lui-même, qui imprime 
à la volition,aux regards de la conscience, le 
sceau d'une manifestation de la volonté. Car aussi 
longtemps qu'elle s'élabore peu à peu, elle s'ap- 
pelle désir ^ : quand elle est achevée et prête à 
passer à l'acte, elle s'appelle résolution : mais 
qu'elle soit passée effectivement à l'état de réso- 
lution, c'est ce que l'action seule peut démontrer 
à la conscience ; car jusqu'à l'action qui la réalise, 
elle peut changer. Et ici nous nous trouvons ame- 
nés à la source principale de cette illusion, dont 
on ne peut guère nier la force 2, en vertu de la- 
quelle un esprit naïf, c'est-à-dire sans éducation 
philosophique, sMmagine que dans un. cas donné 
deux volitions diamétralement opposées lui se- 
raient possibles; et, fort de cette conviction, il 
s'enorgueillit de Tabondance des lumières que lui 
fournit sa conscience, dont il croit de bonne foi 
entendre là le témoignage. C'est l'effet de la con- 

1. Non pas désir, mais velléité. On verra plus bas les 
conséquences de cette confusion. 

2. Le positivisme en prend son parti : a La liberté morale 
est une réalité psychologique, ou, si l'on veut, anthropo- 
logique... Il faut l'analyser comme une nécessité phéno- 
ménologique de rintelligence humaine, comme une réaUté 
psychologique. » (A. Herzen, Revue philosophique du 
1" sept. 1876 Le morceau entier est du plus haut intérêt.) 



LA VOLONTÉ DEyANT LA CONSCIENCE 3! 

fusion entre le désir et la volonté ' . On peut, en eiïet, 
désirer deux choses opposées, on n'en peut vou- 
loir qu'une : et pour laquelle des deux s'est dé- 
cidée la volonté, c'est ce dont la conscience n'est 
instruite qu'à posteriori, par Taccomplissement 
de l'acte. Mais relativement à la nécessité ration- 
nelle en vertu de laquelle, de deux désirs opposés, 
c'est l'un et non pas l'autre qui passe à l'état de 
volition et d*acte, la conscience ne peut pas four- 
nir d'éclaircissement, précisément parce qu'elle 
apprend le résultat (du conflit des motifs) tout-à- 
fait à posteriori, et ne saurait d'aucune façon le 
connaître à priori. Des désirs opposés, avec les 
motifs à leur appui, montent et descendent devant 
elle, et se succèdent alternativement comme sur 
un théâtre : et pendant qu'elle les considère indivi- 
duellement, elle déclare simplement que dès qu'un 
désir quelconque sera passé à l'état de volition> 
il passera immédiatement après à l'état d'acte. 
Car cette dernière possibilité purement subjective 
est le privilège commun de tous les désirs {vel-- 
léités)y et se trouve justement exprimée par ces 

1. Cela n*est ni clair, ni exact. La confusion du désir 
et de la volonté conduit au contraire au déterminisme. 
Y. pour leur distinction, deux admirables pages de Maine 
de Biran {Œuvres inédites , t, III, p. 479 et 498). Scho- 
penhauer identifie à tort avec les désirs la simple vue 
des possibles, tels qu'ils se présentent à notre esprit dans 
la délibération, vue qui suscite ce qu'il appelle lui •même 
plus bas les velUilés. 



32 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

roots : a Je peux faire ce que je veux. » Mais re- 
marquons que celte possibilité subjective, est tout 
à fait hypothétique, et que le témoignage de la 
conscience se réduit à ceci : « Si je veux telle 
-chose, je puis Yaccomplir. » Or ce n'est pas là 
que se trouve la détermination nécessaire à la 
volonté : puisque la conscience ne nous révèle 
absolument que la volition^ mais non les motifs 
^ui la déterminent, lesquels sont fournis par la 
perception extérieure, dirigée vers les objets du 
dehors. D'autre part, c'est la possibilité objec- 
tive qui détermine les choses : mais cette possibi- 
iité réside en dehors du domaine de la conscience, 
•dans le monde objectif, auquel le motif et l'homme 
lui-même appartiennent. Cette possibilité subjec- 
tive dont nous parlions tout à Theure est du même 
genre que la puissance que possède le caillou de 
donner des étincelles ^ possibilité qui se trouve 
<îependant conditionnée par Tacier, où réside la 
possibilité objective dé Tétincelle. Dans le chapitre 
suivant, j'arriverai à la même conclusion par une 
autre voie, en considérant la volonté non plus par 
le dedans, comme nous l'avons fait jusqu'ici, mais 
par le dehors, et en examinant à ce point de vue 
la possibilité objective de la volition : alors la 

1 . Dans la langue d'Âristote, les étincelles sont en puis- 
sance dans le caillou, et c'est l'acier qui les fait passer à 
ïucte» 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 33 

question, se trouvant éclairée de deux côtés diiïé- 
rents, aura acquis toute sa netteté, et sera encore 
fendue plus saisissable par des exemples. 

Donc ce sentiment inhérent à notre conscience 
a je peux faire ce que je veux » nous accompagne 
toujours et partout : mais il affirme simplement ce 
fait, que nos résolutions et nos volitions, quoique 
ayant leur origine dans les sombres profondeurs 
de notre for intérieur, se réaliseront immédiate- 
ment dans le monde sensible, puisque notre corps 
en fait partie, comme tout le reste des objets. 
Cette conscience établit comme un pont entre le 
monde extérieur et le monde intérieur , qui sans 
elle resteraient séparés par un abîme sans fond; 
elle disparue, en effet, il ne resterait dans le pre- 
mier, en tant qu'objets, que de simples apparences, 
complètement indépendantes de nous dans tous 
les sens, et dans le second, que des volitions stériles, 
qui demeureraient pour nous à Tétat de simples 
sentiments. — Interrogez un homme tout à fait sans 
préjugés : voici à peu près en quels termes il s'ex- 
primera au sujet de cette conscience immédiate, que 
Ton prend si souvent pour garante d'un prétendu 
libre arbitre : « Je peux faire ce que je veux. Si je 
veux aller à gauche, je vais à gauche : si je veux 
aller à droite, je vais à droite. Cela dépend uni- 
quement de mon bon vouloir : je suis donc libre. » 
Un tel témoignage est certainement juste et véri- 



34 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

dique : seulement il présuppose la liberté de la 
volonté, et admet implicitement que la décision 
est déjèi prise : la liberté de la décision elle-même 
ne peut donc nullement être établie par cette affir- 
mation. Car il n^y est fait aucune mention de la 
dépendance ou de l'indépendance de la volition au 
moment où elle se produit, mais seulement des 
œnséquences de cet acte, une fois qu'il est ac- 
compli, ou, pour parler plus exactement^ de la 
nécessité de sa réalisation en tant que mouvement 
corporel. C'est le sentiment intime ^ qui est à la 
racine de ce témoignage, qui seul fait considérer à 
rhomme naïf, c'est-à-dire sans éducation philoso- 
phique (ce qui n'empêche pas qu'un tel homme 
puisse être un grand savant dans d'autres bran- 
ches), que le libre arbitre est un fait d'une certi- 
tude immédiate; en conséquence, il le proclame 
comme une vérité indubitable, et ne peut même 
pas se figurer que les philosophes soient sérieux 
quand ils le mettent en doute : au fond du cœur,, 
il estime que toutes les discussions qu'on a enga- 
gées à ce sujet, ne sont qu'un simple exercice 
d escrime auquel se livre gratuitement la dialec- 
tique de l'école, — en somme une véritable plai- 

1. L'action directe de la volonté sur les membres a été 
niée par Hume, malgré le témoignage formel de la cons- 
cience, par la raison que nous ne connaissons qu'à poste- 
riori quelles sont les parties de notre corps qui se trou- 
vent dans la sphère du mouvement volontaire. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 35 

santerie. Pourquoi cela ? C'est que cette certitude 
que le sens intime lui fournit (certitude qui a bien 
son importance), est constamment présente à son 
esprit; et, s'il l'interprète mal, c'est que Thomme 
étant avant tout et essentiellement un être pra- 
tique, non théorique, acquiert une connaissance 
beaucoup plus claire du côté actif de ses volitions, 
c'est-à-dire de leurs effets sensibles, que de leur 
côté passif, c'est-à-dire de leur dépendance. Aussi 
est-il malaisé de faire concevoir à l'homme qui ne 
connaît point la philosophie la vraie portée de 
notre problème, et de l'amener à comprendre 
clairement que la question ne roule pas sur les 
conséquences^ mais sur les raisons et les causes 
de ses volitions. Certes, il est hors de doute que ses 
actes dépendent uniquement de ses volitions; mais 
ce que Ton cherche maintenant à savoir, c'est de 
quoi dépendent ces volitions elles-mêmes, ou si 
peut-être elles seraient tout à fait indépendantes. 
Il est vrai qu'il peut faire une chose, quand il la 
veut^ et qu'il en ferait tout aussi bien telle autre, 
s'il la voulait à son tour : mais qu'il réfléchisse, 
et qu'il songe s'il est réellement capable de vouloir 
l'une aussi bien que Tautre. Si donc, reprenant 
notre interrogatoire, nous posons la question à 
notre homme dans ces termes : « Peux-tu vrai- 
ment, de deux désirs opposés qui s'élèvent en toi, 
donner suite à l'un aussi bien qu'à l'autre? Par 



36 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

exemple, si on te donne à choisir entre deux 
objets qui s'excluent l'un Tautre, peux-tu préférer 
indifféremment le premier ou le second ? i Alors 
il répondra : o Peut-être que le choix me paraîtra 
difficile : cependant il dépendra toujours de moi 
seul de vouloir choisir l'un ou Tautre, et aucune 
autre puissance ne pourra m'y obliger : en ce cas 
j'ai la pleine liberté de choisir celui que je veux, 
et quelque choix que je fasse je n'agirai jamais que 
conformément à ma volonté. » J'insiste, et je lui 
dis : a Mais ta volonté, de quoi dépend-elle? > 
Alors mon interlocuteur répond eh écoutant la 
voix de sa conscience : « Ma volonté ne dépend 
absolument que de moi seul ! Je peux vouloir ce 
que je veux : ce que je veux, c'est moi qui le 
veux. » Et il prononce ces dernières paroles, sans 
avoir Tintention de faire une tautologie, ni sans 
s'appuyer, à cet effet, dans le fond même de sa 
conscience, sur le principe d'identité qui seul la 
rend possible. Bien plus, si en ce moment on le 
pousse à bout, il se mettra à parler d'une volonté 
de sa volontés ce qui revient au même que s*H 
parlait d'un moi de son moi. Le voilà ramené 
pour ainsi dire jusqu'au centre, au noyau de sa 
conscience, où il reconnaît l'identité fondamentale 



1. Schopcnhauer n'a-t-il pas parlé plus haut d'un» 
volonté qui veut? (o. 24.) 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 37 

de son moi et de sa volonté S mais où il ne reste 
plus rien, avec quoi il puisse les juger Tun et 
Vautre. La volition finale qui lui fait rejeter un des 
termes entre lesquels s'exergait son choix (étant 
donnés son caractère, ainsi que les objets en pré- 
sence), était-elle contingente, et aurait-il été pos- 
sible que le résultat final de sa délibération fût dif- 
férent de ce qu'il a été ? Ou bien faut-il croire que 
cette volition était déterminée aussi nécessaire- 
ment (par les motifs) , que, dans un triangle, au 
plus grand angle doit être opposé le plus grand 
côté? Voilà des questions qui dépassent telle- 
ment la compétence de la conscience naturelle, 
qu on ne peut même pas les lui faire clairement 
concevoir. A plus forte raison, n*est-il point vrai 
de dire qu'elle porte en elle des réponses toutes 
prêtes à ces problèmes, ou même seulement des 
solutions à Tétat de germes non développés, et 
qu'il suffise pour les obtenir de l'interroger naïve- 
ment et de recueillir ses oracles ! — Il est encore 
vraisemblable que notre homme, à bout d'argu- 
ments, essayera toujours encore d'échapper à la 
perplexité qu'entraîne cette question, lorsqu'elle 

i. C'est là même una des bases de son système. 
« Quand le jour viendra où on lira mes ouvrages, on re- 
connaîtra que ma philosophie est semblable à la Thèbes 
aux cent portes : on peut y pénétrer par tous les côtés, 
et toutes les routes que Ton prend conduisent directe- 
ment jusqu'au centre. » (!'• préface de VÉthiquef 4840.) 

SCHOPËNHAUER. 3 



38 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

est vraiment bien comprise, en se réfugiant k 
l'abri de cette même conscience immédiate, et en 
répétant k satiété : « Je peux faire ce que jo veux, 
et ce que je veux, je le veux. > C'est un expédient 
auquel il recourra sans cesse , de sorte qu'il sera 
difficile de l'amener à envisager tranquillement la 
véritable question, qu'il s'efforce toujours d'esqui- 
ver. Et qu'on ne lui en veuille point pour cela : 
car elle est vraiment souverainement embarras- 
sante. Elle plonge pour ainsi dire une main inves- 
tigatrice dans le plus profond de notre être : elle 
demande , en dernière analyse , si l'homme aussi , 
comme tout le reste de la création, est ud être 
déterminé une fois pour toutes par son essence, 
possédant comme tous les autres êtres de la nature 
des qualités individuelles fixes , persistantes , qui 
déterminent nécessairement ses diverses réactions 
en présence des excitations extérieures , — et si 
l'ensemble de ces qualités ne constitue pas pour 
lui un caractère invariable, de telle sorte que ses 
modifications apparentes et extérieures soient en- 
lisement soumises k la détermination des motifs 
venant du dehors ; — on à l'homme fait seul 
exception à cette loi universelle de la naturtf. Mais 
si l'on réussit enfin b. fixer solidement sa pensée 
r cette question si sérieuse , et h lui faire claire- 
ht comprendre que ce que l'on cherche ici 
L l'origine même de ses volitions, la règle , s'il 




LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 39 

en est une, ou l'absolue irrégularité (manque de 
règle) qui préside à leur formation ; alors on dé- 
couvrira en toute évidence que la conscience im- 
médiate ne fournit aucun renseignement à ce sujet, 
par ce fait que Thomme sans préjugés renoncera 
tout à coup à alléguer cette autorité, et témoi- 
gnera ouvertement de sa perplexité en s'arrôtant 
pour réfléchir, puis en se livrant à des tentatives 
d'explication de toute sorte, en s*efforçant par 
exemple de tirer des arguments, tantôt de son 
expérience personnelle et de ses observations, 
tantôt des règles générales de l'entendement; mais 
il ne réussira par là qu'à montrer dans le plein 
jour de l'évidence, par l'incertitude et Thésitation 
de ses explications, que sa conscience immédiate 
ne donne aucun éclaircissement sur la question 
entendue comme il convient, tandis qu'elle lui en 
fournissait précédemment en abondance pour ré- 
pondre à la question mal comprise. Cela repose 
en dernière analyse sur ce que la volonté de 
l'homme n'est autre que son moi proprement dit, 
le vrai noyau de son être : c'est elle aussi qui 
constitue le fond même de sa conscience, comme 
quelque subsiratum immuable et toujours pré- 

1. On a dit souvent, à l'appui des théories dynamistes, 
que l'impossibilité où nous nous trouvons de définir la 
force, et de pénétrer sa nature intime, prouve précisé- 
ment que nous sommes nous-mêmes une force, dont la 
coQscience ne nous révèle que les manifestations. 



40 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

sent, dont il ne saurait se dégager pour pénétrer 
au-delà. Car lui-môtne il est comme il veut, et il 
veut comme il est^. Donc, quand on lui demande 
s'il pourrait vouloir autrement qu'il ne veut, on 
lui demande en vérité s'il pourrait être autrement 
quil n'est : ce qu*il ignore absolument. Aussi le 
philosophe, qui ne se distingue du premier venu 
que par la supériorité que lui donne la pratique 
de ces questions, doit, si dans ce problème diffi- 
cile il veut atteindre à la clarté, se tourner en 
dernière instance vers les seuls juges compétents, 
à savoir Ventendementt qui lui fournit ses notions 
à priori^ la raison qui les élabore, et Vexpérience 
qui lui présente ses actions et celles des autres 
pour expUquer et contrôler les intuitions de sa 
raison. Sans doute leur décision ne sera pas aussi 
facile, aussi immédiate, ni aussi simple que celle 
de la conscience, mais par cela même elle sera à 
la hauteur de la question et fournira une réponse 
adéquate. C'est la tête qui a soulevé la question : 
c'est la tête aussi qui doit la résoudre. 

D'ailleurs nous ne devons pas nous étonner qu'à 
une question aussi abstruse, aussi haute, aussi dif- 
ficile, la conscience immédiate n'ait pas de réponse 

1. Il n*y a pas là, comme on pourrait le croire, d'allusion 
prématurée à la doctrine du choix extemporel de Kant. 
Cet aphorisme prétentieux signifie simplement que notre 
essence est conforme à nos volitions , lesquelles récipro- 
quement manifestent notre essence. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 41 

à offrir. Car la conscience n'est qu'une partie très- 
restreinte de notre entendement, lequel, obscur 
au dedans, est dirigé vers le monde extérieur de 
toutes les énergies dont il dispose. Toutes ses con- 
naissances parfaitement sûres, c'est-à-dire cer- 
taines à priori^ concernent seulement le monde 
extérieur, et là il peut, en appliquant certaines 
lois générales, qui ont en lui-même leur fonde- 
ment, distinguer d'une façon infaillible ce qui est 
possible au dehors et ce qui est impossible, ce qui 
est nécessaire et ce qui ne l'est pas. G*est ainsi 
qu'ont été établies les mathématiques pures, la 
lo^que pure, et même les bases de la science na- 
turelle, toutes à prion. Ensuite l'appUcation de 
ces formes, connues à priori, aux données fournies 
par la perception sensible, lui ouvre un accès sur 
le monde visible et réel, et en même temps lui rend 
possible l'expérience * : plus tard, l'application de 
la logique et de la faculté de penser, qui en est la 
base, à ce monde extérieur révélé par les sens, lui 
fournira les concepts, ouvrira à son activité le 
monde des idées, et par suite permettra aux 
sciences de naître et à leurs résultats de fructifier 
à leur tour. C'est donc dans le monde extérieur 
que rintelligence voit devant elle beaucoup de 

1. C'est la meUleure réfutation de rempirisme . Bien loin 
que rexpérience puisse nous donner les premiers prin* 
cipes, elle est impossible sans eux, et les présuppose. 



42 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

lumière et de clarté. Mais à l'intérieur il fait 
sombre, comme dans un télescope bien noirci : 
aucun principe à priori n*éclaire la nuit de notre 
for intérieur; ce sont des phares qui ne rayon- 
nent que vers le dehors. Le sens intime, comme 
on Ta prouvé plus haut, ne perçoit directement 
que la volonté, aux différentes émotions de laquelle 
tous les sentiments dits intérieurs peuvent être ra- 
menés. Mais tout ce que cette perception intime 
de la volonté nous fait connaître se ramène, comme 
on Ta vu précédemment, au vouloir dt au non-vour 
loir; c'est à elle en outre que nous devons cette 
certitude tant prônée qui se traduit par Taffirma- 
tion : a ce que je veux, je peux le faire i», et qui 
revient en vérité à ceci m chaque acte de ma volonté 
se manifeste immédiatement à ma conscience (par 
un mécanisme qui m'est tout à fait incompréhen^ 
sible), comme un mouvement de mon corps, s  y 
regarder de près , il n'y a là pour le sujet qui Faf- 
firme qu*un principe résultant de Texpérience ^. 
Mais au-delà, on n'y découvre plus rien. Le tri- 
bunal que nous avons consulté est donc incompé- 
tent pour résoudre la question soulevée : bien 
plus, interprétée dans son véritable sens, elle ne 

i. Oa objecterait avec raison que pour expliquer îe 
premier mouvement volontaire, il faut admettre déjà un 
sentiment au moins implicite de notre pouvoir sur nos 
organes. L'assertion de Schopenhauer (reprise de Hume) 
43st donc un cercle. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 43 

peut pas lui être soumise, parce qu'elle ne saurait 
être comprise par lui. 

L'ensemble des réponses que nous avons obte- 
nues dans notre interrogatoire de la conscience 
peut se résumer ainsi qu*il suit sous une forme 
plus concise. La conscience de chacun de nous lui 
affirme très- clairement qu'il peut faire ce qu'il 
veut Or puisque des actions tout-à-fait opposées 
peuvent être pensées comme ayant été voulues 
par lui, il en résulte qu'il peut aussi bien faire une 
action que l'action opposée, s'il la veut. C'est là 
précisément ce qu'une intelligence encore mal 
armée confond avec cette autre affirmation bien 
diJB&rente, à savoir que dans un cas déterminé le 
même homme pourrait vouloir également bien 
deux choses opposées, et elle nomme libre arbitre 
ce prétendu privilège. Or que l'homme puisse 
ainsi, dans des circonstances données, vouloir à la 
fois deux actions opposées, c*est ce que ne com- 
porte en aucune façon le témoignage de la cons- 
cience, laquelle se contente d'affirmer que de deux 
actions opposées, il peut faire Tune, s'il la veut, et 
que s'il veut l'autre, il peut l'accomplir également. 
Mais est-il capable de vouloir indifféremment 
Tune ou l'autre? Cette question demeure sans ré- 
ponse, et exige un examen plus approfondi, dont 
la simple conscience ne saurait préjuger le ré- 
sultat. La formule suivante, quoique un peu em- 



44 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

preinte de scolaslique, me semblerait Texpression 
la plus courte et la plus exacte de cette conclu- 
sion : a Le témoignage de la conscience ne se rap- 
porte à la volonté qu'a parte post : la question du 
libre arbitre au contraire a parte ante. o Donc, 
cette déclaration indéniable de la conscience : a Je 
peux faire ce que je veux », ne renferme ni ne dé- 
cide rien du tout touchant le libre arbitre, car 
celui-ci consisterait en ce que chaque volition indi- 
viduelle, dans chaque cas particulier (le caractère 
du sujet étant complètement donné), ne fût pas 
déterminée d'une façon nécessaire par les circons- 
tances extérieures au milieu desquelles l'homme 
en question se trouve, mais pût s'incliner finale- 
ment soit d'un côté, soit de l'autre. Or, sur ce 
points la conscience est absolument muette : car le 
problème est tout à fait en dehors de son domaine, 
puisqu'il roule sur le rapport de causalité qui 
existe entre l'homme et le monde extérieur. Si l'on 
demande à un homme de bon sens, mais dénué 
d'éducation philosophique, en quoi consiste véri- 
tablement ce hbre arbitre qu'il affirme avec tant 
de confiance sur l'autorité de sa conscience, il ré- 
pondra : « Il consiste en ce que je peux faire ce 
que je veux, aussitôt que je ne suis pas empêché 
par un obstacle physique. » C'est donc toujours le' 
rapport entre ses actions et ses volitions dont il 
parle. Mais cette absence d'obstacles matériels ne 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 4^ 

constitue encore que la liberté physique, comme 
je Fat montré dans le premier chapitre. Lui de- 
mande- 1- on encore si dans un cas donné il pour- 
rait vouloir indifféremment telle chose ou son 
contraire, dans le premier feu de la réplique il 
s'empressera sans doute de répondre oui : maïs 
aussitôt qu*il commencera à saisir le sens profond 
de la question, il deviendra pensif, et finalement il 
tombera dans l'incertitude et le trouble; puis, pour 
s'en tirer, il essayera de nouveau de se sauver der* 
riëre son thème favori « je peux faire ce que je 
veux t et de s'y retrancher contre toutes les rai- 
sons et tous les raisonnements. Mais la véritable 
réponse à cette assertion , comme j'espère le 
mettre hors de doute dans le chapitre suivant, s'é- 
noncerait ainsi : « Tu peux, il est vrai, faire ce 
que tu veux : mais à chaque moment déterminé 
de ton existence, tu ne peux vouloir qu'une 
chose précise et une seule, à l'exclusion de toute 
autre. » 

La discussion contenue dans ce chapitre suffirait 
déjà à la rigueur pour m* autoriser à répondre né- 
gativement à la question de l'Académie Royale; 
mais ce serait là m'en tenir seulement à une vue 
d'ensemble, car cette exposition même du rôle des 
faits dans la conscience doit recevoir encore quel- 
ques compléments dans ce qui va suivre. Or il 
peut se trouver, dans un cas, que la justesse de 



46 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

notre réponse négative se voie confirmée avec 
éclat par une preuve de plus. Si en effet nous nous 
adressions maintenant, la même question sur les 
lèvres, à ce tribunal auquel nous avons été ren- 
voyés tout à Theure, comme à la seule juridiction 
compétente, — je veux dire au tribunal de l'en- 
tendement pur, de la raison qui réfléclait sur ses 
données et les élabore, et de l'expérience qui com- 
plète le travail de Tune et de l'autre, — si alors, 
dis-je, la décision de ces juges tendait à établir que 
le prétendu libre arbitre n*existe absolument 
poinf, mais que les actions des hommes, comme 
tous les phénomènes de la nature, résultent, dans 
■chaque cas particulier, des circonstances précé- 
dentes comme un effet qui se produit nécessaire- 
ment à la suite de sa cause ; cela nous donnersùt en 
outre la certitude que Vexistence même dans la 
conscience de données aptes à fournir la démons- 
tration du libre arbitre, est chose parfaitement im- 
possible. — Alors, renforcée par une conclusion a 
non posse ad non esse, qui seule peut servir à 
établir à priori des vérités négatives, notre déci- 
sion recevrait, en surcroit de la preuve empirique 
exposée dans ce qui précède, une confirmation 
rationnelle, d'où elle tirerait évidemment une certi* 
tude bien plus grande encore. Car une contradic- 
tion formelle entre les affirmations immédiates de 
la conscience, et les conséquences tirées des prin- 



LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 47 

cipes fondamentaux de la raison pure, avec leur 
application à Texpérience, ne saurait être admise 
comme possible : la conscience de Thomme ne 
peut pas être ainsi mensongère et trompease. (l 
faut remarquer à ce propos que la prétendue anti- 
monie kantienne (entre la liberté et la néces- 
sité)» n*a pas pour origine, même dans l'esprit de 
son auteur, la différence des sources à'oHi décou* 
lent la thèse et rantithèses» Tune émanant du té- 
moignage de la conscience , l'autre du témoignage 
de l'expérience et de la raison. La thèse et l'anti- 
thèse sont toutes deux subtilement déduites de 
raisons pr^ndues objectives ; et tandis que la 
thèse ne repose sur rien, si ce n'est sur la rai- 
son paresseussy c'est-à-dire sur la nécessité de 
trcHiver un point fixe dans un recul à l'iniini^ l'an- 
tithèse^ au contraire, a véritablement en sa faveur 
tous les motifs objectifs ^ 

i. Eant, en effet, n'a point dit : Thèse : Le témoignage de 
la conscience nous affirme notre libre arbitre. Antithèse : 
Le principe de raison suffisante conduit au déterminisme 
universel ; — mais bien : Thèse : La causalité d'après les 
lois natureUes n*est pas la seule dont nous puissions 
dériver tous les phénomènes; il est nécessaire d'admettre 
encore une causalité par la liberté. Preuve. Tout ce qui 
arrive suppose un état antérieur : or, cet état antérieur 
doit être lui-même devenu dans le temps (avoir une cause), 
et ainsi de suite. Si donc tout arrive suivant les seules lois 
de la nature, il n'y a jamais qu'un commencement relatf,i 
et par conséquent aucune intégralité de la série des causes 
provenant les unes des autres.) — Antithèse, — Il n'y a 
pas de liberté, mais tout dans le monde arrive suivant 



48 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

Cette étude indirecte que nous allons entre- 
prendre maintenant sur le terrain de la faculté co- 
gnitive et du monde extérieur qui se présente à 
elle, jettera en même temps beaucoup de clarté 
sur la recherche directe que nous avons effectuée 
jusqu'ici, et servira ainsi à la compléter. Elle dé- 
voilera les illusions naturelles que fait naître Fex- 
plication fausse du témoignage si simple de la 
conscience, lorsque celle-ci entre en conflit avec la 
perception extérieure, laquelle constitue la faculté 
cognitive, et a sa racine dans un seul et même 
sujet où réside également la conscience. Ce n*est 
môme qu'à la fin de cette étude indirecte qu'il se 
fera un peu de lumière pour nous sur le vrai sens 
et le vrai contenu de cette affirmation « je veux » 
.qui accompagne toutes nos actions, et sur la cons- 
cience de notre causalité immédiate et de notre 
pouvoir personnel, grâce auxquels les actions que 
nous faisons sont vraiment nôtres. Alors seulement 
l'investigation conduite jusqu'à présent par des 
procédés directs recevra enfin son couronnement. 



des lois naturelles, — On voit donc que c'est au fond 
ravàyxn 9ri}y«c qui est à la base de la Thèse» tandis que 
TAntilhèse est une déduction rigoureusement logique du 
principe de causalité. 



CHAPITRE ni 



LA VOLONTE DEVANT LA PERCEPTION 
EXTÉRIEURE. 

Si maintenant nous demandons à la perception 
extérieure des^ éclaircissements sur notre pro- 
blème, nous savons d'avance que puisque cette fa- 
culté est par essence dirigée vers le dehors, la 
volonté ne peut pas être pour elle un objet de 
connaissance immédiate, comme elle paraissait 
l'être tout à Theure pour la conscience, qui pour- 
tant a été trouvée un juge incompétent en cette 
matière. Ce que Ton peut considérer ici, ce sont 
les êtres doués de volonté qui se présentent à 
l'entendement en tant que phénomènes objectifs et 
extérieurs, c'est-à-dire en tant qu'objets de l'expé- 
rience, et doivent être examinés et jugés comme 
tels, en partie d'après des règles générales, cer- 
taines à priori, relatives à la possibiUté même de 



50 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

• 

Texpérience, en partie d'après les faits que fournit 
Texpérience réelle, et que chacun peut constater. 
Ce n'est donc plus comme auparavant sur la vo- 
lonté même, telle qu'elle n'est accessible tiu'à la 
conscience, mais sur les êtres capables de vou- 
loir, c'est-à-dire sur des objets tombant sous les 
sens, que notre examen va se porter. Si par là 
nous sommes condamnés à ne pouvoir considérer 
l'objet propre de nos recherches que médiatement 
et à une plus grande distance» c'est là un inconvé- 
nient racheté par un précieux avantage; car nous 
pouvons maintenant faire usage dans nos recher- 
ches d*un instrument beaucoup plus parCsdt que 
le sens intime, cette conscience si obscure, si 
sourde, n'ayant vue sur la réalité que d'un seul 
côté. Notre nouvel instrument d'investigation sera 
l'intelligence, accompagnée de tous les sens et de 
toutes les forces cognitives, armées, si j'ose dire, 
pour la compréhension de l'objectif. 

La forme la plus générale et la plus essentielle 
de notre entendement est le principe de causalité : 
ce n'est même que grâce à ce principe, toujours 
présent à notre esprit, que le spectacle du monde 
réel peut s'ofifrir ànos regards comme un ensemble 
harmonieux ^, car il nous fait concevoir inunédia- 

1. « Le principe de causalité est le père du monde exté- 
rieur » (V. Cousin.) Sans lui a on arriverait à considérer 
Tensemble des événements et des êtres comme un simple 
monceau, n (M. Taine). 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 51 

temeoi comme des effets les affections et les modi- 
fications survenaés dans les oi^anes de nos sens * • 
Aussitôt la sensation éprouvée, sans qu*il soit 
besoin d'aucune éducation ni d'aucune expérience 
préahd^le, nous passons immédiatement de ces 
modifications à leurs causes, lesquelles, par l'effet 
inême de cette opération de rintelUgence, se pré- 
sentent alors à nous comme des objets situés 
dans l'espace. Il suit de là incontestablement 
que le principe de causalité nous est connu à 
priori, c'eal-à-dire comme un principe néces- 
saire relativement à la possibilité de toute expé- 
rience en général; et il n'est pas besoin, à ce qu'il 
semble^ de la preuve indirecte, pénible, je dirai 
même insufOsante, que Kant a donnée de cette 
importante vérité. Le principe de causalité est 
établi solidement à priori, comme la règle géné- 
rale à laquelle sont soumis sans exception tous les 
objets réels du monde extérieur . Le caractère 
absolu de ce principe est une conséquence même 
de son àpriorité. Il se rapporte essentiellement et 
exclusivement aux modifications phénoménales; 
lorsqu'on quelque endroit ou en quelque moment, 
dans le monde objectif, réel et matériel, une 
chose quelconque, grande ou petite, éprouve une 

1 . On trouvera le développement de cette théorie dans 
la Dissertation sur le Principe de Raison Suffisante, § 21 
de la 2« édition. (Note de Schopenhauer). 



52 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

modification, le principe de causalité nous fait 
comprendre qu'immédiatement avant ce phéno- 
mène, un autre objet a dû nécessairement éprouver 
une modification, de même qu'aûn que ce der- 
nier pût se modifier, un autre objet a dû se mo- 
difier antérieurement, — et ainsi de suite à Tinfini. 
Dans cette série régressive de modifications sans 
fin, qui remplissent le temps comme la matière 
remplit l'espace, aucun point initial ne peut être 
découvert, ni même seulement pensé comme pos- 
sible, bien loin qu'il puisse être supposé comme 
existant. En vain l'intelligence, reculant toujours 
plus haut, se fatigue à poursuivre le point fixe qui 
lui échappe : elle ne peut se soustraire à la question 
incessamment renouvelée : a Quelle est la cause 
de ce changement? » C'est pourquoi une cause 
première est absolument aussi impensable que le 
commencement du temps ou la limite de l'espace *. 

1. Schopenhauer dit aiUeurs « qu'une cause première 
est une contradictio in adjecto, » Aussi rejette- t-il dédai- 
gneusement la preuve de Texistence de Dieu dite par la 
nécessité d'une cause première. (Preuve cosmologique). 
L'avàyxvi 9ri{y«c^ nécessité subjective^ peut-elle nous faire 
admettre l'existence d'un point initial? « Si le principe 
de causalité est absolu, pourquoi s'arrêter? On ne le peut. 
Si son énergie est telle qu'il enfante une série infinie de 
causes, il faut la subir. Quand nous opposons rftvayxn 
rr^yac au principe de causalité, n'est-ce pas comme si les 
principes de nos spéculations se tournaient contre nous 
pour nous confondre? » (J. Simon, École d'Alexandrie^ 
p. 29). Cf. Schopenhauer, Dissertation sur le Quadruple 
Principe, etc. P. iJ6 et sq. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 53 

La loi de causalité atteste non moins sûrement que 
lorsque la modification antécédente, — la cause — 
est entrée en jeu, la modifications conséquente qui 
est amenée par elle — TefTet — doit se produire 
immanquablement, et avec une nécessité absolue. 
Par ce caractère de nécessité, le principe de causa- 
lité révèle son identité avec le principe de raison 
suffisante S dont il n*est qu'un aspect particulier. 
On sait que ce dernier principe, qui constitue la 
forme la plus générale de notre entendement pris 
dans son ensemble, se présente dans le monde 
extérieur comme principe de causalité, dans le 
monde de la pensée comme loi logique du prin- 
cipe de la connaissance, et même dans Tespace 
vide, considéré à priori, comme loi de la dépen- 
dance rigoureuse de la position 'âes parties les 
unes à Tégard des autres; dépendance nécessaire, 
dont l'étude spéciale et développée est Tunique 
objet de la géométrie ^. C'est précisément pour 



1. Ce point de doctrine a été développé par Scho- 
penhaaer dans Touvrage qu'on vient de citer. V. aussi 
quelques belles pages de M. Fouillée, Philosophie de 
Platon, t. II, p 469 et sq. 

2. « Suivant Schopenhauer, le principe de raison suffi- 
sante a quatre formes : l» Le principe de raison suffisante 
du devenir qui gouverne tous les changements et constitue 
ce qu'on appelle d'ordinaire la loi de causalité. 2o Le 
principe de raison suffisante de la connaissance» Sous 
cette forme, surtout logique, il règle les concepts abs- 
traits, en particulier le jugement. 3^ Le principe de raison 
suffisante de Vessence qui régit le monde formel, les iu- 



54 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

ceia, comme je l'ai déjà établi en commençant, 
que le concept de la nécessité et celui de consé- 
quence d'une raison déterminée^ sont des notions 
identiques et convertibles. 

Toutes les modifications qui ont pour théâtre le 
monde extérieur sont donc soumises à la loi de 
causalité, et, par conséquent, chaque fois qu'elles 
se produisent, elles sont revêtues du caractère de 
la plus stricte nécessité. A cela il ne peut pas y avoir 
d*exception, puisque la règle est établie à priori 
pour toute expérience possible. En ce qui concerne 
son application à un cas déterminé , il suffît de 
se demander chaque fois s'il s'agit d'une modifica- 
tion survenue à un objet réel donné dans l'expé^ 
rience externe : aussitôt que cette condition est 
remplie, les modifications de cet objet sont sou- 
mises au principe de causalité, c'est-à-dire qu'elles 
doivent être amenées par une cause, et, partant, 
qu'elles se produisent d'une façon nécessaire. 

Maintenant, armés de cette règle à priori^ con- 
sidérons non plus la simple possibilité de l'expé- 
rience en général, mais les objets réels qu'elle 
offre à nos regards, dont les modifications actuelles 
ou possibles sont soumises au principe général éta- 

tui lions à priori de temps et d^espace et les vérités 
mathématiques qui en déri\rent. 4« Le principe de raison 
suffisante de l'action, qu*il appeUe aussi loi de motivation, 
qui s'applique à la causalité des événements internes. » 
Ribot, Philosophie de Schopenhauer, p. 5). 



LA VOLONTÉ D£VANT LÀ PERCEPTION EXTÉRIEURE 55 

bli plus haut. Tout d'abord nous observons entre ces 
objets un certain nombre' de différences fondamen- 
tales profondément marquées, d'après lesquelles, 
du reste, on les a classés depuis longtemps : on 
distingue en effet les corps inorganiques, c'est-à- 
dire dépourvus de vie, des corps organiques, c*est« 
à-dire vivants, et ceux-ci à leur tour se divi- 
$ent en végétaux et en animaux. Ces derniers, 
biea que présentant des traits de ressemblance 
essentiels, et répondant à une même idée générale, 
nous paraissent former une chaîne continue extrê- 
mement variée et finement nuancée {sic), qui 
monte par degré jusqu'à la perfection \ depuis 
ranimai' rudimentaire qui se distingue à peine de 
la plante, jusqu'aux êtres les plus capables et les 
plus adievés, qui répondent le mieux à l'idée de 

1. Un des mérites les plus incontestables de Scho- 
penhauei^ est ce profond sentiment de la continuité de la 
nature^ et de l'étroite parenté des êtres des trois règnes. 
Il va trop loin en attribuant la volonté aux végétaux — 
encore le mot volonté a-t-il chez lui un sens beaucoup 
plus général qu'en français : — mais les expériences 
récentes de M. Claude Bernard démontrent^ contrairement 
à Italome de Cuvier, qu'il faut accorder au moins aux 
plantes une sensibilité inconsciente, et fort analogue à 
celle de certains animaux. {Congrès de Clermont, 1876 . — 
Les pages que Ton va lire sont d'une haute valeur philo- 
sophique, et Schopenhauer a avoué lui-même (Diss. sur 
la Quadr. Racine, etc.) qu'il en était fort satisfait. Il 
est extrêmement curieux de les rapprocher d'un pas* 
sage analogue de la beUe thèse de M. Ravaisson sur l'Ha- 
bitude (1838) : ce sont les mêmes idées, quelquefois les 
mèoies expressions chez les deux philosophes. 



56 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

l*ânimalité : au haut terme de cette progression 
nous trouvons Thomme — nous-mêmes. 

Envisageons à présent, sans nous laisser égarer 
par cette diversité infinie» Tensemble de toutes les 
créatures en tant qu'objets réels de l'expérience 
externe, et essayons d'appliquer notre principe 
général de causalité aux modifications de toute 
espèce dont de pareils êtres peuvent être Tobjet. 
Nous trouverons alors que sans doute Texpérience 
vérifie partout la loi certaine, à priori, que nous 
avons posée; mais en même temps, qu'à la grande 
dilFérence signalée plus haut entre la nature des 
objets de Texpérience, correspond aussi une cer- 
taine variété dans la manière dont la causalité 
s'exerce, lorsqu'elle régit les changements divers 
dont les trois règnes sont le théâtre. Je m'explique. 
Le principe de causalité, qui régit toutes les modi- 
fications des êtres, se présente sous trois aspects, 
correspondants à la triple division des corps en 
corps inorganiques, en plantes, et en animaux ; à 
savoir : 1^ La Causation, dans le sens le plus étroit 
du mot; 2« l'Excitation (Reiz) ; 3o enfin la Motiva- 
tion. Il est bien entendu que sous ces trois formes 
différentes, le principe de causalité conserve sa 
valeur à priori^ et que la nécessité de la liaison 
causale subsiste dans toute sa rigueur. 

i^' La causation^ entendue dans le sens le plus 
étroit du mot, est la loi selon laquelle se pro- 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 57 

duisent tous les changements mécaniques, physi- 
ques et chimiques dans les objets de Texpérience. 
Elle est toujours caractérisée par deux signes 
essentiels ; en premier lieu, que là où elle agit la 
troisième loi fondamentale de Newton (l'égalité de 
Faction et de la réaction] trouve son application : 
c'est-à-dire que l'état antécédent, appelé la cause, 
subit une modification égale à celle de Tétat con- 
séquent, qui se nomme Y effet; en second lieu, 
que, conformément à la seconde loi de Newton, le 
degré d*intensité de l'efTet est toujours exactement 
proportionné au degré d'intensité de la cause, et 
que par suite une augmentation d*intensité dans l'un 
entraîne une augmentation égale dans l'autre. Il en 
résulte que lorsque la manière dont TefTet se pro- 
duit est connue une fois pour toutes, on peut aus- 
sitôt savoir, mesurer, et calculer, d'après le degré 
d'intensité de l'effet, le degré d'intensité de la 
cause, et réciproquement. Toutefois, dans l'ap- 
plication empirique de ce second critérium, on 
ne doit pas confondre l'effet proprement dit avec 
l'efTet apparent [sensible], tel que nous le voyons 
se produire. Par exemple, il ne faut pas s'attendre 
à ce que le volume d'un corps soumis à la com- 
pression diminue indéfiniment, et dans la pro- 
portion môme où s'accroît la force comprimante. 
Car l'espace dans lequel on comprime le corps 
diminuant toujours, il s'en suit que la résistance 



58 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

augmente : et si dans ce cas encore, reflFet réel, 
qui est l'augmentation de densité , s'accroît vé- 
ritablement en proportion directe de la cause 
(comme le montre, dans le cas des gaz, la loi de 
Mariotte), on voit cependant qu'il n*en est pas de 
même de l'efTet apparent, auquel on pourrait vou- 
loir à tort appliquer cette loi. De môme, une 
quantité croissante de chaleur agissant sur Peau 
produit jusqu'à un certain degré un échauffe- 
ment progressif, mais au delà de ce point un 
excès de chaleur ne provoque plus qu'une évapo- 
ration rapide \ Ici encore, comme dans un grand 
nombre d*autres cas, la même relation existe entre 
Tintensité de la cause et l'intensité réelle de Teffet. 
C'est uniquement sous la loi d*une pareille causa- 
tion (dans le sens le plus étroit du mot), que s'opè- 
rent les changements de tous les corps privés de 
vie, c'est-à-dire inorganiques. La connaissance et 
la prévision de causes de cette espèce éclairent 
l'étude de tous les phénomènes qui sont Tobjet 
de la mécanique, de Thydrostatique, de la physi- 
que et de la chimie. La possibilité exclusive d'être 
déterminé par des causes agissant de la sorte est, 
par conséquent, le caractère distinctif, essentiel, 
d'un corps inorganique. 



1. On explique ce fait de la façon la plus simple par la 
théorie mécanique de la chaleur. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 59 

2^ La seconde forme de la causalité est Vexcita- 
tion^ caractérisée par deux particularités : i^ Il 
n'y a pas proportionnalité exacte entre Faction et 
la réaction correspondante ; 2* On ne peut établir 
aucune équation entre l'intensité de la cause et 
rihtensité de FelFet. Par suite, le degré d'intensité 
de TefiTet ne peut pas être mesuré et déterminé 
d'avance lorsqu'on connaît le degré d'intensité de 
la cause : bien plus, une très-petite augmentation 
dans la cause excitatrice peut provoquer une aug- 
mentation très-grande dans l'effet, ou au contraire 
annuler complètement l'effet obtenu par une force 
moindre, et même en amener un tout opposé. Par 
exemple, on sait que la croissance des plantes 
peut être activée d'une façon extraordinaire par 
rinfluence de la chaleur, ou de la chaux mélangée 
à la terre, agissant comme stimulants de leur force 
Titale : maïs pour peu que Ton dépasse la juste 
mesure dans le degré de Vexcitation, il en résul- 
tera non plus un accroissement d'activité et une 
maturité précoce, mais la mort de la plante. C'est 
ainsi que nous pouvons par l'usage du vin ou de 
l'opium tendre les énergies de notre esprit, et les 
exalter d'une façon notable ; mais si nous dépas- 
sons une certaine limite, le résultat est tout à fait 
opposé. — C'est celte forme de la causalité, dési- 
gnée sous le nom d'excitation, qui détermine 
toutes les modifications des organismes, considé" 



60 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

rés comme tels. Toutes les métamorphoses suc- 
cessives et tous les développements des plantes, 
ainsi que toutes les modifications uniquement or- 
ganiques et végétatives, ou fonctions des corps 
animéSf se produisent sous l'influence d'excitations. 
C'est de cette façon qu'agissent sur eux la lu- 
mière, la chaleur, Tair, la nourriture, — qu'opè- 
rent les attouchements, la fécondation, etc. — 
Tandis que la vie des animaux, outre ce qu'elle a 
de commun avec la vie végétative, se meut encore 
dans une sphère toute différente, dont je vais par- 
ler à l'instant, la vie des plantes, au contraire, se 
développe tout entière sous l'influence de l'excita- 
tion. Tous leurs phénomènes d'assimilation, leur 
croissance, la tendance de leurs tiges vers la lu- 
mière, de leurs racines vers un terrain plus pro- 
pice, leur fécondation j leur germination, etc., ne 
sont que des modifications dues à Texcitation. Dans 
quelques espèces, d'ailleurs fort rares, on constate, 
outre les qualités énùmérées plus haut, la produc- 
tion d'un mouvement particulier et rapide, qui 
lui-même n'est que la conséquence d'une exci- 
tation, et qui leur a fait donner cependant le nom 
de plantes sensitives. Ce sont principalement, 
comme on sait, la Mimosa pudica, le Hedysa^ 
rum gyrans^ et la Dionœa muscipula, La dé- 
termination exclusive et absolument générale par 
l'excitation est le caractère distinctif des plantes. 



lA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 61 

On peut donc considérer comme appartenant au 
règne végétal tout corps, dont les mouvements et 
modifications particulières et conformes à sa na- 
ture se produisent toujours et exclusivement sous 
Hnfluence de l'excitation. 

3<* La troisième forme de la causalité motrice est 
particulière au règne animal, et le caractérise : 
c'est la motivation^ c'est-à-dire la causalité agis- 
sant par l'intermédiaire de l'entendement. Elle in- 
tervient dans l'échelle naturelle des êtres au point 
où la créature ayant des besoins plus compliqués 
et par suite fort variés, ne peut plus les satisfaire 
uniquement sous l'impulsion des excitations, qu'elle 
devrait toujours attendre du dehors ; il faut alors 
qu'elle soit en état de choisir, de saisir, de recher- 
cher même, les moyens de donner satisfaction & 
ces nouveaux besoins. Voilà pourquoi, dans les 
êtres de cette espèce, on voit se substituer à la 
simple réceptivité des excitationSj et aux mouve- 
ments qui en sont la conséquence, la réceptivité 
des motifs^ c'est-à-dire une faculté de représenta- 
tion, un intellect, offrant d'innombrables degrés 
de perfection, et se présentant matériellement sous 
la forme d'un système nerveux et d'un cerveau, 
avec le privilège de la connaissance. On sait d'ail- 
leurs qu'à la base de la vie animale est une vie 
purement végétative, qui en cette qualité ne pro- 
cède que sous TinHuence de l'excitation. Mais tous 

StmOPENHArER. 4 



62 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

ces mouvements d'un ordre supérieur que l'ani- 
mal accomplit en tant qu'animal, et qui pour 
cette raison dépendent de ce que la physiologie 
désigne sous le nom de fonctions animales, se 
produisent à la suite de la perception d'un objet, 
par conséquent sous l'influence de motifs. On 
comprendra donc sous l'appellation d'animaux 
tous les êtres dont les mouvements et modifica- 
tions caractéristiques et conformes à leur nature, 
s'accomplissent sous l'impulsion des motifs, c'est 
à- dire de certaines représentations présentes à 
leur entendement, dont l'existence est déjà pré- 
supposée par elles. Quelques innombrables de- 
grés de perfection que présentent dans la série 
animale la puissance de la faculté représentative, 
et le développement de l'intelligence, chaque ani- 
mal en possède pourtant une quantité suffisante 
pour que les objets extérieurs puissent agir sur 
lui, et provoquer ses mouvements, en tant que 
motifs ^ C'est cette force motrice intérieure, dont 
chaque manifestation individuelle est provoquée par 
un motif, que la conscience perçoit intérieurement, 
et que nous désignons sous le nom de volonté. 

1. Cest-à-dire en tant que causes finales de ces mou- 
vements. Il y a là un point qu'il ne faut pas perdre de 
vue : l'action des motifs sur la volonté est toujours Tac- 
tion de la volonté vers les motifs, et les déterministes 
seraient peut-être embarrassés d'expliquer pourquoi un 
cet est absolument nécessité par cela seul qu'il a un but. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 63 

Savoir si on corps donné se meut d'après des 
excitations ou d*après des motifis^ c'est ce qui 
ne peut jamais faire de doute même pour Tobser- 
vation externe (et c'est à ce point de vue quo 
nous nous sommes placés ici). L'excitation et les 
aioti& agissent en effet de deux manières si com- 
plètement différentes, qu'un examen même su- 
perficiel ne saurait les confondre. Car Fexcita- 
tion agit toujours par contact immédiat^ ou même 
par intussusceptiorif et là où le contact n'est pas 
apparent, comme dans les cas où la cause excita- 
trice est Tair, la lumière, ou la chaleur, ce mode 
d'action se trahit néanmoins parce que Teffet est 
dans une proportionnalité manifeste avec la durée 
et rintensité de l'excitation, quand même cette 
proportionnalité ne reste pas constante à tous les 
degrés. Dans le cas, au contraire, où c'est un motif 
qui provoque le mouvement, ces rapports carac- 
téristiques disparaissent complètement. Car ici Fin* 
termédiaire propre entre la cause et l'effet n*est 
pas l'atmosphère, mais seulement l'entendement. 
L'objet agissant comme motif n'a absolument be- 
soin, pour exercer son influence, que d'être perçu 
et connu; il n'importe plus de savoir pendant 
combien de temps, avec quel degré de clarté, et b 
' quelle distance (du sujet), l'objet perçu est tombé 
sous les sens. Toutes ces particularités ne chan- 
gent rien ici à l'intensité de l'effet; dès que l'objet 



64 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

a été seulement perçu, il agit d'une façon tout à fait 
constante; — à supposer toutefois qu'il puisse être 
un principe de détermination pour la volonté indi- 
viduelle qu'il s'agit d'émouvoir. Sous ce rapport, 
d'ailleurs, il en est de même des causes physiques 
et chimiques, parmi lesquelles on range toutes les 
excitations, et qui ne produisent leur effet que si le 
corps à affecter présente à leur action une récep- 
tivité propice. Je disais tout à Theure : « de la 
volonté qu'il s'agit d'émouvoir, » car, comme je 
l'ai déjà indiqué, ce qui est désigné ici sous le nom 
de volonté, force immédiatement et intérieurement 
présente à la conscience des êtres animés, est cela 
même qui, à proprement parler, communique au 
motif la force d'action, et le ressort caché du 
mouvement qu'il sollicite. Dans les corps qui se 
meuvent exclusivement sous l'influence de l'exci- 
tation, les végétaux, nous appelons cette condi- 
tion intérieure et permanente d'activité, la force 
vitale — dans les corps qui ne se meuvent que 
sous l'influence de motifs (dans le sens le plus 
étroit du mot), nous l'appelons force naturelle, ou 
l'ensemble de leurs qualités*. Cette énergie inté- 
rieure doit toujours être posée d'avance, et anté- 
rieurement à toute explication (des phénomènes), 

1. « Qualitaet. » On traduirait plus exactement ce mot 
par le terme scolastique de quiddité {notérm) correspon- 
dant au rb rc ^y cevac d'Âristote, qu'on a nommé plus tard 
la forme substantielle. (V. Aristote, Mt'taph, VII, 6.) 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 65 

comme quelque chose i' inexplicable ^ parce qu'il 
n'est dans le sombre intérieur des êtres aucune 
conscience aux regards de laquelle elle puisse être 
immédiatement accessible. Maintenant, laissant de 
côté le monde phénoménal, pour diriger nos rocher* 
ches sur ce que Kant appelle la chose en ^oij nous 
pourrions nous demander si cette condition inté- 
rieure de la réaction de tous les êtres sous Tin- 
fluence de motifs extérieurs, subsistant même dans 
le domaine de l'inconscient et de Tinanimé, ne se- 
rait peut-être pas essentiellement identique à ce 
que nous désignons en nous-mêmes sous le nom 
de volonté, comme un philosophe contemporain a 
prétendu le démontrer ; — mais c*est là une hypo- 
thèse que je me contente d'indiquer, sans vouloir 
toutefois y contredire formellement ^ 

Par contre, je ne dois pas laisser sans examen la 
différence qui, dans la motivation même, constitue 
l'excellence de l'entendement humain relativement 
i, celui de tout autre animal. Cette excellence, 
que désigne à proprement parler le mot raison ^ 
consiste en ce que l'homme n est pas seulement 
capable, comme l'animal, de percevoir par les 
sens le monde extérieur, mais qu'il sait aussi, par 



i. c On comprend que c'est de moi-même qu'il s'agit en 
ce passage, mais je ne pouvais m'exprimer à la première 
personne, l'incognito étant de rigueur. » (Note de Scho- 
penliauer.) -- V. Th. Ribot, Ouvr. cit^ p. 63 92. 



66 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

l'abstraction, tirer de ce spectacle des notions gé- 
nérales (notiones universales)^ qu'il désigne par 
des mots, afin de pouvoir les fixer et les conserver 
dans son esprit. Ces mots donnent lieu ensuite à 
d'innombrables combinaisons, qui toujours, il est 
vrai, comme aussi les notions dont elles sont for - 
mées, se rapportent au monde perçu par les sens, 
mais dont l'ensemble constitue cependant ce qu'on 
appelle la pensée, grâce ^ à laquelle peuvent se 
réaliser les grands avantages de la race humaine 
sur toutes les autres, à savoir le langage, la ré* 
flexion, la mémoire du passé, la prévision de l'a- 
venir, l'intention, Tactivité commune et méthodique 
d'un grand nombre d'intelligences, la société poli- 
tique, les sciences, les arts, etc. Tous ces privilèges 
dérivent de la faculté particulière à l'homme de 
former des représentations non sensibles, abs- 
traites, générales, que Ton appelle concepts (c*esl- 
à-dire formes collectives et universelles de la réa- 
lité sensible), parce que chacune d'elles comprend 
une collection considérable d'individus *. Cette fa- 
culté fait défaut aux animaux, même aux plus intel- 
ligents : aussi n'ont-ils d'autres représentations que 
des représentations sensibles , et ne connaissent-ils 
que ce qui tombe immédiatement sous leurs sens, 

I. En allemand, Berpiff, concept ou notion, vient du 
verbe begreifen, qui bigniûe comprehendere. La rigueur 
philosophique de la langue est ici parfaite. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 67 

vivant uniquement renfermés dans le moment pré- 
sent. Les mobiles par lesquels leur volonté est in* 
fluencée doivent par suite être toujours présents et 
sen^bles. Il en résulte que leur choix ne peut être 
que fort limtté, car il ne peut s'exercer qu'entre 
les objets accessibles à Finstant même à leur vue 
bornée et à leur pouvoir représentatif étroit, c'est- 
à-dire contigus dans l'espace et dans le temps. De 
ces objets, celui qui est le plus fort en tant que 
motif détermine aussitôt leur volonté : chez eux, par 
conséquent, la causalité directe du motif se révèle 
d'une façon très-manifeste. Le dressage» qui n*est 
qu'une crainte opérant par l'intermédiaire deThabi- 
tude, constitue une exception apparente à ce qui 
précède ; les actes instinctifs en sont uneautre, véri- 
table sous certains rapports; car l'animal, en vertu 
de l'instinct qui est en lui, est mû, dans l'ensemble 
de ses^ actions, non pas, à proprement parler, par 
des motifs, mais par une impulsion et une puissance 
intérieures. Cette impulsion cependant, dans le 
détail des actions individuelles et pour chaque 
moment déterminé, est dirigée d'une façon précise 
par des motifs, ce qui nous permet de rentrer 
dans la donnée générale. L'examen plus approfondi 
de la théorie de l'instinct m'entraînerait ici trop 
loin de mon sujet : le 27' chapitre du second vo- 
lume de mon ouvrage principal y est consacré. — 
L^homme, par contre, grâce à sa capacité de former 



68 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

des représentations non sensibles, au moyen des- 
quelles il pense et réftéchity domine un horizon 
infiniment plus étendu, qui embrasse les objets 
absents comme les objets présents, Tavenir comme 
le passé : il offre donc, pour ainsi dire, une surface 
beaucoup plus grande à Taction des motifs exté- 
rieurs, et peut, par conséquent, exercer son choix 
entre un nombre beaucoup plus considérable d'ob*^ 
jets que Tanimal, dont les regards sont bornés 
aux limites étroites du présent. En général, ce 
n'est pas ce qui est immédiatement présent dans 
Tespace et dans le temps à sa perception sensible, 
qui détermine ses actions : ce sont bien plus sou- 
vent de simples pensées, qu'il porte partout avec 
lui dans sa tête et qui peuvent le soutraire à Faction 
immédiate et fatale de la réalité présente ^ Lors- 
qu'elles ne remplissent pas ce rôle, on dit que 
rhomme agit déraisonnablement : au contraire, 
on dit que sa conduite est raisonnable^ lorsqu'il 
agit uniquement sous l'influence de pensées bien 
mûries, et par suite complètement indépendantes 
de l'impression des objets sensibles présents. Le fait 
même que l'homme est dirigé dans ses actes pai* 
une classe particulière de représentations que ra- 
nimai ne connaît pas (notions abstraites , pensées) 
se révèle jusque dans son existence intérieure ; 

1. Fatis avolea voluntas. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 69 

car rhomme imprime à toutes ses actions, même 
aux plus insignifiantes, même à ses mouvements 
et à ses pas, l'empreinte et le caractère de Yinteri' 
fionnalité et de la préméditation. Ce caractère dif- 
férencie si nettement la manière d'agir de l'homme 
de celle des animaux, que Ton conçoit par quels 
fils déliés et à peine visibles (les motifs constitués 
par de simples pensées) ses mouvements sont 
dirigés, tandis que les animaux sont mus et gou- 
vernés par les grossières et visibles attaches de la 
réalité sensible. Mais la différence entre l'homme 
et ranimai ne s'étend pas plus loin. La pensée 
devient motif, comme la perception devient motif, 
aussitôt qu'elle peut exercer son action sur une 
volonté humaine. Or tous les motifs sont des causes, 
et toute causalité entraîne la nécessité. L'homme 
peut d'ailleurs, au moyen de sa faculté de penser, 
' évoquer devant son esprit dans l'ordre qui lui 
plaît, en les intervertissant ou en les ramenant 
à plusieurs reprises, les motifs dont il sent Tin- 
fluence peser sur lui, afin de les placer succes- 
sivement devant le tribunal dé sa volonté; c'est en 
cette opération que consiste la délibération *• 



1. n y a là une inconséquence grave. Si Schopenhauer 
reconnaît à rhomme le pouvoir de faire agir les motifs 
sur sa volonté dans l'ordre qui lui plaît, la question du 
libre arbitre est résolue contre les déterministes. Qu'est-ce 
d'ailleurs que cet être qui veut séparé de sa volonté, puis- 
que c'est sur elle-même que se porte sa volition ? Est-ce 



70 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

L'homme est capable de délibération, et, en vertu 
de cette faculté, il a, entre divers actes possibles, 
un choix beaucoup plus étendu que Fanimal. Il y 
a déjà là pour lui une liberté relative, car il devient 
indépendant de la contrainte immédiate des objets 
présents, à l'action desquels la volonté dé l'ani- 
mal est absolument soumise. L'homme, au con- 
traire, se déterminé indépendamment des objets 
présents, d'après des idées, qui sont ses motifs à 
lui. Cette liberté relative n'est en réalité pas autre 
chose que le libre arbitre tel que l'entendent des 
personnes instruites, mais peu habituées à aller au 
fond des choses : elles reconnaissent avec ra^on 
dans cette faculté un privilège exclusif de l'homme 
sur les animaux. Mais cette liberté n'est pourtant 
que relative^ parce qu'elle nous soustrait à la 
contrainte des objets présents, et comparatit:e, en 
ce qu'elle nous rend supérieurs aux animaux \ 

la substance dernière qui nous constitue, un aubstra- 
tum de nos facultés, auquel Schopenhauer se voit mal- 
gré lui obligé d'accorder la liberté? Ce serait le cas de 
rappeler les paroles d'un profond phiiosophe que nous 
avons plus d'une fois cité dans ces notes : < Le nécessaire 
ne saurait être primitif... le libre peut seul offrir ce ca- 
ractère. Le principe des choses ne peut pas être une né- 
cessité de quelque genre qu'elle soit, mais une liberté, 
parce que la liberté seule est infime et absolue. » 

1. C'est celte liberté relative que revendique seule 
l'auteur des lignes suivantes, auxquelles a souscrit M. Ra* 
vaisson : t De ce que la volonté dépend toujours des 
motifs qui la déterminent, faut-il conclure que la volonté 
n'est pas libre? Non; car ces motifs qui me déterminent 



LÀ VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 71 

Elle ne fait que modifier la manière dont s'exerce 
la motivation, mais la nécessité de l'action des 
motifs n'est nullement suspendue, ni même di- 
minuée. Le motif abstrait, consistant simplement 
dans une pensée, est un motif extérieur, nécessitant 
la volonté, aussi bien que le motif sensible, pro- 
duit par la présence d'un objet réel : par suite, 
c'est une cause aussi bien que tout autre motif, et 
môme , comme les autres , c'est toujours un 
motif réel, matériel, en tant qu'il repose en der- 
nière analyse sur une impression de l'extérieur, 
perçue en quelque lieu et à quelque époque que ce 
soit. La seule différence est dans la longueur plus 
grande du âl directeur des mouvements humains : 
je veux dire par là que les motifs de cette espèce 
n'agissent pas comme les motifs purement sensibles, 
sous la condition expresse de l'immédiation dans 
le temps et dans l'espace, mais que leur influence 
s'étend à une distance plus grande, à un inter- 
valle plus long, grâce à l'enchaînement successif 
de notions et de pensées se rattachant les unes 
aux autres. La cause en est dans la constitution 
même, et dans l'éminente réceptivité de l'organe 
qui subit l'influence des motifs , et se modifie en 

sont mes motifs. En leur obéissant c'est à moi que j'obèijs 
et la liberté consiste précisément à ne dépendre que de 
soi. » — « Ces explications, remarque un critique, sont 
peut-être fortes contre le déterminisme^ mais elles le 
sont encore plus contre le libre arbitre. » 



72 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

conséquence, à savoir le cerveau de l'homme, ou 
la raison. Mais cela n^atténue pas le moins du 
monde la puissance causale des motifs, ni la né- 
cessité avec laquelle s'exerce leur action. Ce n'est 
donc qu'en considérant la réalité d'une façon très- 
superficielle qu'on peut prendre pour une liberté 
d'indifférence celte liberté relative et comparative 
dont nous venons de parler. La faculté délibéra- 
tive qui en provient n'a en vérité d'autre effet que 
de produire le conflit si souvent pénible entre les 
motifs, que précède l'irrésolution, et dont le champ 
de bataille est Tâme et l'intelligence tout entière 
de l'homme. Il laisse, en effet, les motifs essayer à 
plusieurs reprises leurs forces respectives sur sa 
volonté*, en se contrebalançant les uns les autres, 
de manière que sa volonté se trouve dans la môme 
situation qu'un corps sur lequel différentes forces 
agissent en des directions opposées, — jusqu'à ce 
qu'enfin le motif le plus fort oblige les autres à lui 
céder la place et détermine seul la volonté. C'est 
cette issue du conflit des motifs qui s'appelle la 
résolution, et qui se trouve revêtue, en cette qua- 
lité, d'un caractère d'absolue nécessité. 

Si maintenant nous envisageons encore une fois 
toute la série des formes de la causalité, parmi les- 

1 . V. la note de la page 69. Schopenhauer accuse ridée 
du libre arbitre d'ôlre impensable : il paraît qu'il éprouve 
lui-même quelque difficullé à rester conséquent avec son 
idée déterministe. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 73 

quelles on distingue nettement les causes dans le 
sens le plus étroit du mot, puis les excitationSy et 
enûn les motifs (qui eux-mêmes se subdivisent en 
motifs sensibles et en motifs abstraits), nous re- 
marquerons que, lorsque nous parcourons de bas 
en haut la série des êtres, la cause et reflet se dif- 
férencient de plus en plus, se distinguent plus 
clairement et deviennent plus hétérogènes, la cause 
devenant de moins en moins matérielle et pal- 
pable; — de sorte qu'il semble qu'à mesure que 
Ton avance, la cause contient toujours moins de 
force, et l'effet toujours davantage; le lien qui 
existe entre la cause et l'effet devient fugitif, insai- 
sissable, invisible ^ . Dans la causation mécanique, 
ce lien est le plus apparent de tous, et c'est pour- 

1. Il est intéressant de voir comment M. Ravaisson tire 
de prémisses presque semblables une conclusion tout à 
fait opposée : nous résumons ses paroles plutôt que nous 
ne les reproduisons : < Dans la vie inorganique, Taction 
et la réaction sont égales : dès le premier degré de la 
vie animale, eUes s'écartent et se difîérencient de plus en 
plus. Les affections de la réceptivité et les actes de la 
spontanéité deviennent de plus en plus différents en 
grandeur : une cause hyper-organique apparaît. Car si la 
réaction est de plus en plus indépendante de l'action à 
laquelle elle répond, il faut nécessairement qu'il y ait un 
centre qui leur serve de commune limite, où l'une arrive 
et dont l'autre parte. D'ailleurs ce n'est pas un moyen 
terme indifférent comme le centre des forces opposées du 
levier; c'est un centre qui, par sa propre vertu, mesure 
et dispense la force. Ce juge, ce dispensateur de l'action, 
c*esi Vàme libre. — Ainsi semble apparaître dans l'empire 
de la Nature le régne de la connaissance, de la pré- 
voyance, et poindre la première lueur de la liberté. » Rap- 

5 



74 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

quoi cette forme de la causalité est la plus facile à 
comprendre : de là cette tendance née au siècle 
dernier, encore subsistante en France, et qui plus 
récemment s'est révélée même en Allemagne, de 
ramener toute espèce de causalité à celle-là, et 
d'expliquer par des causes mécaniques tous les 
phénomènes physiques et chimiques, puis, en 
s'appuyant sur la connaissance de ceux-ci, d'expli- 
quer mécaniquement jusqu'au phénomène de la 
vie 1. Le corps qui donne une impulsion meut le 
corps immobile qui la reçoit, et il perd autant de 
force qu'il en communique; en ce cas nous voyons 
immédiatement la cause se transformer en un effet 
de même nature : ils sont tous les deux parfaite- 
ment homogènes, exactement commensurables, et 
en même temps sensibles. Il en est ainsi dans tous 
les phénomènes purement mécaniques. Mais Ton 
trouvera que ce mode d'action se transforme de 
plus en plus à mesure que l'on remonte l'échelle 
des êtres, et que les différences indiquées plus 
haut tendent à s'accentuer. 

prochez cette conception de la liberté de celle qui est 
exposée à la p. 70, note 1. 

1. C'est ViatrO'physicisme. « Le mécanisme de Des- 
cartes et de Boerhaave subsiste encore, sinon à Tétat de 
doctrine, du moins à l'état de tendance. Il y a aujour- 
d'hui, et il y aura longtemps encore des physiciens con- 
vaincus qu'on peut ramener tous les phénomènes de la 
nature, même ces phénomènes si délicats et si compli* 
qués de l'organisalion, aux lois générales du mouve- 
ment. » (E. Saisset, Revue des Deux-Mondes, 15 août 1862. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 75 

Que Ton examine, pour s'en convaincre, le rap- 
port entre l'effet et la cause à différents degrés 
d'intensité, par exemple, entre la chaleur en tant 
que cause et ses divers effets, tels que la dilata- 
tion, l'ignition, la fusion, l'évaporation, la combus- 
tion, la thermo-électricité, etc., — ou entre l'éva- 
poration en tant que cause, et le refroidissement, 
la cristallisation, qui en sont les effets : ou entre 
le frottement du verre, envisagé comme cause , et 
le développement de l'électricité libre avec ses 
singuliers phénomènes ; ou bien entre l'oxydation 
lente des plaques, et le galvanisme, avec tous les 
^ihénomènes électriques, chimiques, et magnéti- 
ques qui s'y rattachent. Donc la cause et l'effet se 
diffiérendent de plus en plus, deviennent de plus 
en plus hétérogènes, leur lien devient plus difficile 
à saisir, l'effet semble renfermer plus que la cause, 
parce que celle-ci paraît de moins en moins pal- 
pable et matérielle. Toutes ces différences se ma- 
nifestent plus clairement encore quand nous pas- 
sons au règne organique, où ce ne sont plus que 
de simples excitations, — tantôt extérieures comme 
celles de la lumière, de la chaleur, de Tair, du 
sol, de la nourriture ; tantôt intérieures , comme 
l'action des sucs et Taclion réciproque des or- 
ganes — qui agissent comme causer, tandis que 
la vie, dans sa complication infinie et ses variétés 
d'aspect innombrables, se présente comme l'effet 



76 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

et la résultante de toutes ces causes, sous les dif- 
férentes formes de l'existence végétale et animale ^ 

Mais pendant que cette hétérogénéité, cette in- 
commensurabilité, cette obscurité toujours crois- 
sante des rapports entre la cause et Teffet se ma- 
nifestent dans le règne organique, la nécessité que 
la liaison causale impose se trouve-t-elle atténuée 
en rien? Aucunement, pas le moins du monde. La 
même nécessité qui fait qu'une bille en roulant 
met en mouvement la bille qui est en repos, fait 
qu'une bouteille de Leyde, quand on la tient d'une 
main et qu'on la touche de l'autre, se décharge, 
— que l'arsenic tue tout être vivant, que le grain 
•de semence, qui, préservé dans un milieu sec, n'a, 
pendant des milliers d'années, subi aucune trans- 
formation, aussitôt qu'on l'enfouit dans un terrain 
propice, qu'on le soumet à l'action de la lumière, 
de l'air, de la chaleur, de l'humidité, doit germer, 
croître, et se développer jusqu'à devenir une 
plante ^. La cause est plus compliquée, l'effet plus 
hétérogène, mais la nécessité de son intervention 
n'est pas diminuée de l'épaisseur d'un cheveu (sic). 

Dans la vie des plantes et dans la vie végétative 
des animaux, l'excitation et la fonction organique 

1. V. Touvrage de Schopenhaur intitulé « La volonté 
dans la nature, » p. 80 de la 2« édition, où ces idées sont 
reprises avec quelques développements. 

2. Le fait a été constaté sur des grains de blé trouvés 
dans des sarcophages égyptiens. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 77 

provoquée par elle, sont, il est vrai, fort différentes 
sous tous les rapports, et peuvent être nettement 
distinguées Tune de l'autre. Cependant elles ne sont 
pas encore à proprement parler séparées, et il faut 
toujours que le passage de l'une à Vautre s'effechie 
par un contact, quelque léger et quelque imper- 
ceptible qu'il soit. La séparation complète ne com- 
mence à se produire que dans la vie animale, dont 
les actes sont provoqués par des motifs; dès lors 
la cause, qui jusque-là était toujours rattachée ma- 
tériellement à Teffet, se montre complètement indé- 
pendante de lui, d'une nature tout à fait différente, 
tout immatérielle, et n'est qu'une simple repré- 
sentation. C'est donc dans le motif qui provoque les 
mouvements de l'animal que cette hétérogénéité de 
la cause et de l'effet^ leur différenciation de plus en 
plus profonde, leur incommensurabilité, l'immaté- 
rialité de la cause, et, par suite, son manque appa- 
rent d'intensité quand on la compare à l'effet, — 
atteignent leur plus haut degré. L'inconcevabilité 
du rapport qui les lie deviendrait même absolue» 
si ce rapport, comme les autres relations causales, 
ne nous était connu que par le dehors; or, on sait 
qu'il n*en est pas ainsi. Une connaissance d'une 
autre nature, tout intérieure , complète celle que 
les phénomènes nous donnent, et nous percevons 
au dedans de nous la transformation que subit la 
cause, avant de se manifester de nouveau comme 



78 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

effet. L'instrument de cette transformation, nous 
le désignons par un terminus ad hoc : la volonté. 
Que d*autre part, ici comme ailleurs, comme dans 
le cas le plus simple de l'excitation, la causalité 
n'a rien perdu de son pouvoir nécessitant, c'est ce 
que nous prononçons d'une façon décisive aussitôt 
que nous reconnaissons Texistence d'un rapport 
de causalité entre l'effet et la cause, et que nou9 
pensons ces deux phénomènes par rapport à cette 
forme essentielle de notre entendement. En outre, 
nous trouvons que la motivation est essentielle- 
ment analogue aux deux autres formes de la cau- 
salité examinées plus haut, et qu'elle n'est que le 
degré le plus élevé auquel celles-ci atteignent 
dans leur évolution progressive. Au plus bas degré 
de l'échelle animale, le motif est encore très-voi- 
sin de la simple excitation : les zoophytes, les 
radiaires en général , les acéphales parmi les mol- 
lusques, n'ont qu'un faible crépuscule de connais- 
sance, juste ce qu'il en faut pour apercevoir leur 
nourriture ou leur proie, pour l'attirer vers eur, 
quand elle se présente, ou même, en cas de néces- 
sité, pour changer leur séjour contre un plus favo- 
rable. Aussi, dans ces êtres inférieurs, l'action du 
motif nous semble-t-elle encore aussi claire, aussi 
immédiate, aussi apparente, que celle de l'excita- 
tion. Les petits insectes sont attirés par Téclat de 
la lumière jusque dans la llamme : la moucha vient 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 79 

se poser avec confiance sur la tête du lézard, qui 
à l'instant même , sous ses yeux, a englouti une de 
ses pareilles. Qui songera ici à la liberté ? Chez les 
animaux supérieurs et plus intelligents, l'influence 
des motifs devient de plus en plus médiate : en 
effet le motif se différencie de plus en plus nette- 
ment de Faction qu il provoque, à tel point que 
Ton pourrait môme se servir de ce degré de diffé-^ 
renciation entre Fintensité du motif et celle de 
Tactequi en résulte, pour mesurer Tintelligence des 
animaux. Chez l'homme, cette différence devient 
incommensurable. Par contre, même chez les ani- 
maux les plus sagaces, la représentation, qui agit 
comme motif de leurs actions, doit toujours encore 
être une image sensible : même là où un choix 
commence déjà à être possible, il ne peut s'exercer 
qu'entre deux objets sensibles également présents. 
Le chien reste hésitant entre l'appel de son mai- 
iare et la vue d*une chienne : le motif le plus fort 
détermine son action, et la nécessité avec laquelle 
elle se produit alors n'est pas moins rigoureuse 
que celle d'un effet mécanique. De même nous 
voyons un corps soustrait à sa position d'équi-» 
libre, osciller pendant quelque temps de droite à 
gauche, jusqu'à ce qu'il soit décidé de quel côté 
se trouve son centre de gravité, et qu'il se précii- 
pite dans cette direction. Or, aussi longtemps que 
la motivation est bornée à des représentations sen- 



80 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

sibles, son affinité âvec rexcitation et la causation 
en général devient encore plus apparente par ce 
fait que le motif, en tant que cause active, doit être 
quelque chose de réel et de présent, et même 
exercer encore sur les sens, par la lumière, le son, 
ou par rôdeur, une action qui, bien que médiate, 
reste toujours cependant une action physique. En 
outre, pour l'observateur, la cause est ici aussi 
apparente que Teffet : il voit le motif entrer en jeu 
et Faction de ranimai en êlre l'inévitable consé- 
quence, aussi longtemps qu'aucun autre motif non 
moins frappant, ou TefTet du dressage, n'influe en 
sens contraire. Il est impossible de mettre en 
doute le lien qui les rattache. C'est pourquoi 
il n'entrera même dans Tesprit de personne de 
prêter aux animaux une liberté d'indifférence , 
c'est-à-dire de leur attribuer des actes qui ne soient 
déterminés par aucune cause. 

Mais dès que la faculté cognitive devient le pri- 
vilège d*un être raisonnable, dès qu'elle devient 
capable de s'étendre aux objets non sensibles, de 
s'élever à des notions abstraites et à des idées , 
alors les motifs deviennent tout à fait indépen- 
dants du moment présent et des objets immédia- 
tement contigus; ils restent par suite cachés à 
l'observateur. Car ce ne sont plus que de simples} 
idées, que l'homme porte avec lui dans sa tête, 
dont Torigine est toujours cependant dans la réa- 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 8i 

iité extérieure^ quoique souvent bien loin en arrière 
dans le passé ; tantôt en effet il les doit à l'expé- 
rience personnelle des années écoulées, tantôt à 
une tradition communiquée par récriture ou par! 
la parole, datant même des temps les plus reculés, 
mais ayant toujours pourtant un commencement 
réel et objectif. — Ajoutons que grâce à la combi- 
naison souvent difficile de circonstances extérieu- 
res fort compliquées, beaucoup d'erreurs, et, par 
reflet de la tradition, beaucoup d'illusions, par suite 
aussi beaucoup de folies, doivent être comptées 
parmi les motifs bumains. Il faut encore remar- 
quer que rhomme cache souvent à tout le monde 
les motifs de sa conduite, parfois môme à sa propre 
conscience, comme dans les cas où il a honte de 
s'avouer le véritable motif qui le pousse à faire telle 
ou telle chose. Cependant, dès que l'on perçoit ses 
actes, on cherche par conjecture à en pénétrer les 
motifs, et on les présuppose avec autant de con- 
fiance et de sûreté que la cause physique des 
mouvements sensibles des corps bruts, dans la 
conviction que les uns comme les autres sont im- 
possibles sans causes. En accord avec ce qui vient 
d'être dit, nous faisons aussi entrer en ligne de 
compte, dans la formation de nos projets et la 
construction de nos plans, l'influence des divers 
motifs sur l'esprit des hommes. Nous le faisons 

même avec une sûreté qui pourrait devenir égale 

5. 



82 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

à celle avec laquelle on calcule les effets des appa- 
reils de mécanique, si Ton pouvait connaître aussi 
exactement le caractère individuel des hommes 
avec lesquels on est en rapport, que la longueur et 
répaisseur des planches, le diamètre des roues, le 
poids des fardeaux, etc. C'est là une hypothèse 
(rinfluence des motifs sur les actes humains) à 
laquelle chacun se conforme instinctivement tant 
qu'il tourne ses regards vers le dehors, qu'il a 
affaire avec ses semblables, et qu'il poursuit des 
buts pratiques : car c est à ceux-là surtout que 
l'intelligence humaine est véritablement destinée. 
Mais dès que Thomme essaie de juger la question 
au point de vue théorique et philosophique, ce qui 
n'est pas à proprement parler dans le rôle de son 
intelligence, et qu'il se fait lui-même l'objet de son 
jugement, il se laisse tromper par l'immatérialité 
des motifs humains, consistant en simples pensées, 
qui ne se rattachent à rien de présent ni à rien de 
ce qui Tentoure, et dont les obstacles mêmes ne 
sont que de simples pensées, agissant comme des 
motifs contraires. Alors il met en doute leur exis* 
tence, ou, en tous les cas, la nécessité de leur action, 
et s'imagine que ce qu'il fait, il pourrait aussi bien 
ne pas le faire, que la volonté se décide spontané? 
ment, sans motifs, et que chacun de ses actes esi 
le premier anneau d'une série de modifications im- 
possibles à calculer et à prévoir. Cette illusion, se 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 83 

trouve encore renforcée par la fausse interpréta- 
tion du témoignage de la conscience : « Je peux faire 
ce que je veux », surtout lorsque ce témoignage, 
qui accompagne du reste tous nos actes, se fait 
entendre à nous au moment même où s'exerce 
l'influence de plusieurs motifs , s' excluant l'un 
l'autre, et sollicitant tour à tour la volonté. 

Telle est, dans toute sa complexité, la source de 
riUusion naturelle qui nous fait croire à tort que 
la conscience affirme l'existence «du libre arbitre, 
en ce sens que, contrairement à tous les principes 
à priori de la raison pure et à toutes les lois natu- 
relles, la volonté seule soit une force capable de 
<8e décider sans raison suffisante, dont les résolu- 
tions, en des circonstances données, pour un seul 
^et même individu, puissent incliner indilTérem- 
ment dans une direction ou dans l'autre. 

Pour élucider d*une façon spéciale et aussi 
claire que possible l'origine de cette erreur si im- 
portante pour notre tbèse, et compléter par là 
l'étude du témoignage de la conscience entreprise 
au chapitre précédent, nous allons nous figurer 
on homme, qui, se trouvant par exemple à la rue, 
«e dirait : « Il est à présent six heures du soir, ma 
journée de travail est finie. Je peux maintenant 
faire une promenade ; ou bien je peux aller au 
club ; je peux aussi monter sur la tour, pour voir 
4e coucher du soleil; je peux aussi aller au théâtre , 



84 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

je peux faire une visite à tel âmi ou à tel autre ; j»^ 
peux même m'échapper par la porte de la ville, 
m^élancer au milieu du vaste univers, et ne jamais 
revenir... Tout cela ne dépend que de moi, j*aila 
pleine liberté d'agir à ma guise ; et cependant je 
n'en ferai rien, mais je vais rentrer non moins 
volontairement au logis, auprès de ma femme. » 
G*eBt exactement comme si l'eau disait : c Je 
peux m*élever bruyamment en hautes vagues (oui 
certes, lorsque }a mer est agitée par une tem- 
pête!) — je peux descendre d'un cours précipité 
en emportant tout sur mon passage (oui, dans 
le Ut d'un torrent), — je peux tomber en écu- 
mant et en bouillonnant (oui , dans une cascade), 
— • je peux m'ôlever dans l'air, libre comme un 
rayon (oui» dans une fontaine) , — je peux enfin 
m'évaporer et disparaître (oui , à 100 degrés de 
ohaleur) ; — et cependant je ne fais rien de tout 
cela, mais je reste de mon plein gré, tranquille et 
limpide, dans le miroir du lac. :» Comme l'eau ne 
peut se transformer ainsi que lorsque des causes 
déterminantes l'amènent à l'un ou à l'autre de ces 
états ; de même l'homme ne peut faire ce qu'il se 
persuade être en son pouvoir, que lorsque des 
motifs particuliers l'y déterminent. Jusqu'à ce que 
les causes interviennent, tout acte lui est impos- 
sible : mais une fois qu'elles agissent sur lui, il 
doit, aussi bien que Teau, agir comme l'exigent les 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 85 

circonstances correspondant à chaque cas. Son 
erreur, et en général l'illusion provenant ici d'une 
fausse interprétation du témoignage de la conscience 
(qu'il puisse, en un instant donné, accomplir indif- 
féremment ces divers actes), repose, à y regarder 
de près, sur ce fait, que son imagination ne peut 
se rendre présente qu'une seule image à la fois, 
laquelle, au moment où elle lui apparaît, exclut 
toutes les autres. Si maintenant il se représente 
le motif d'une de ces actions proposées comme 
possibles, il en sent immédiatement l'influence sur 
sa volonté, qui est sollicitée par lui : le terme 
technique pour désigner ce mouvement est vel- 
léité ^. Mais il s'imagine qu'il peut aussi transfor- 
mer cette velléité en volitiortj c'est-à-dire accom- 
plir l'action qu'il envisage actuellement : et c'est en 
cela que consiste son illusion. Car aussitôt la ré- 
flexion interviendrait et rappellerait à son souvenir 
les motifs agissant sur lui dans d'autres sens, ou 
les motifs contraires : et alors il verrait qu'il ne 
peut pas réaliser cette action. Pendant que des 
motife s'excluant l'un l'autre se succèdent de la 
sorte devant l'esprit, avec l'accompagnement per- 
pétuel de l'affirmation intérieure : a Je peux faire ce 
que je veux, » la volonté se meut comme une gi- 



1. C'est la velléitéy à proprement parler* que Scho* 
penhauer a confondue plus haut (p. 30; avec le désir. 



86 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

rouelle 1 sur un support bien graissé et par un 
vent inconstant; elle se tourne aussitôt du côté 
de chaque motif que rimagination lui représente; 
tous les possibles influent sur elle tour à lour ; et 
Thomme croit à chaque fois qu'il est dans son pou- 
voir de vouloir telle ou telle chose, et de fixer la 
girouette en telle ou telle position; ce qui est une 
pure illusion. Car son affirmation « je peux vouloir 
ceci » est en vérité hypothétique, et il doit la com^ 
pléter en ajoutant : « si je ne préfère telle autre 
chose. 9 Mais cette restriction seule suffit pour in- 
firmer rhypothèse d'un pouvoir absolu du moi sur 
la volonté. — Reprenons l'exemple de tout à l'heure, 
notre individu qui délibère à six heures du Sfoir/ét 
figurons-nous qu'il s'aperçoive tout à coup que je me 
tiens derrière lui, que je philosophe sur son compte, 
et que je lui conteste la liberté d'accomplir lK)usles 
actes qui lui sont possibles ; alors il pourrait fadle- 
ment arriver que, pour me contredire, il en accom- 
plit un quelconque : mais en ce cas ce serait juste- 
ment l'expression de mon doute et l'influencequ'e^e 
a exercée sur son esprit de contradiction, qui au- 
raient été les. motifs nécessitants de son action ^. 



1. Comparaison reprise de Bayle. 

2. Les déterministes réfutent ainsi l'argument puéril 
dit des pariSy qui vaut tout au plus contre le fatalisme 
mahométan, et qu'on s'étonne de retrouver dans Le .Devoir 
(p. 5). M. Fouillée en a fai* justice. [Liberté et Déteimi- 
niame, p. 15) 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 87 

Toutefois une pareille circonstance ne pourrait le 
décider qu'à Tune ou à l'autre des actions faciles 
parmi celles qu'il lui est loisible d accomplir, par 
exemple d'aller au théâtre, mais nullement à celle 
que j'ai nommée en dernier lieu, d'aller courir les 
aventures dans le monde ; pour cela un motif de 
contradiction serait beaucoup trop faible. — 
Telle est encore l'erreur de beaucoup de gens, 
qui, tenant à la main un pistolet chargé, s'imagi- 
nent qu'il est en leur pouvoir de se tuer en le dé- 
chargeant. Pour l'accomplissement d'un acte sem- 
blable, le moyen mécanique d'exécution est ce 
qu'il y a de moins important. La condition capitale 
est l'intervention d'un motif d'une force écrasante, 
et par là même fort rare, possédant la puissance 
énorme qui est nécessaire pour contrebalancer en 
nous l!amour de la vie, ou plus exactement la 
crainte de la mort. Ce n'est qu'après qu*un pareil 
motif est entré en jeu, que l'on peut se décider 
vraiment, et alors il le faut, — à moins qu'il ne 
se présente un motif opposé plus puissant encore, 
si toutefois il peut en exister de tel. 

Je peux faire ce que je veux : je peux, si je 
veux, donner aux pauvres tout ce que je possède, 
et devenir pauvre moi-même — si je veux ! — Mais 
il n'est pas en mon pouvoir de le vouloir, parce 
que les motifs opposés ont sur moi beaucoup trop 
d'empire. Par contre, si j'avais un autre carao 



\ 



88 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

tèrcy et si je poussais l'abnégation jusqu'à la sain- 
teté, alors je pourrais vouloir pareille chose : mais 
alors aussi je ne pourrais pas m'empôcher de la 
faire, et je la ferais nécessairement. — Tout cela 
s'accorde parfaitement avec le témoignage de la con- 
science a je peux faire ce que je veux », où aujour- 
d'hui encore quelques philosophâtres sans cervelle 
slmaginent trouver la preuve du libre arbitre* , et 
qu'ils font valoir en conséquence comme une vérité 
de fait que la conscience atteste. Parmi ces derniers 
se distingue M. Cousin, qui mérite sous ce rapport 
une mention honorable, puisque dans son Cours 
d'Histoire de la Philosophie, professé en 1810- 
1820, et publié par Yacherot, 1841, il enseigne 
que le libre arbitre est le fait le plus certain dont 
témoigne la conscience (vol. I, p. 19, 20) ; et il 
blâme Kant de n'avoir démontré la liberté que par 
la loi morale, et de l'avoir énoncée comme un 
postulat, tandis qu'en vérité elle est un fait : 
c Pourquoi démontrer ce qu'il suffit de constater? » 
(Page 50). « La liberté est un fait, et non une 
croyance > (Ibid.). — D'ailleurs il ne manque pas 



1. Maine de Biran, Fénelon, Bossuet, et môme Descartes 
€ notre grand Descartes, le fondateur de la philosophie 
subjective, » comme l'appelle quelque part Schopenhauer, 
ont admis la liberté d'indifférence comme un fait attesté 
par la conscience, sans mériter pourtant, à ce qu'il semble, 
répithète peu courtoise que Schopenhauer inflige à 
M. Cousin. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 89 

non plus en Allemagne d'ignorants, qui, jetant au 
vent tout ce que de grands penseurs ont dit à ce 
sujet depuis deux cents ans et se targuant du témoi- 
gnage de la conscience tel quHl a été analysé plus 
haut (témoignage qu'ils interprètent à faux, de 
même que le vulgaire en général), préconisent le 
libre arbitre comme une vérité de fait. Et cependant 
je leur fais peut-être tort; car il se peut qu'ils ne 
soient pas aussi ignorants qu'ils le paraissent, mais 
seulement qu'ils aient bien faim, et que, dans l'es- 
poir d*un morceau de pain très-sec, ils enseignent 
tout ce qui pourra être bien vu par un haut mi- 
nistère ^. 

Ce n'est nullement une métaphore, ni une 
hyperbole, mais seulement une vérité bien simple 
et bien élémentaire, que, de même qu'une bille 

1. « Hobbes, Spinoza, Priestley, Voltaire, même Kant, 
ont déjà enseigné avant moi la détermination rigoureuse 
des actes. Cela n'empêche point que nos dignes profes- 
seurs de philosophie parlent du libre arbitre comme d'une 
chose dont on ne doute plus. Mais enfin, je le demande 
à ces messieurs, pourquoi s'imaginent-ils que ces grands 
hommes que je viens de nommer ont, par un bienfait de 
la nature, paru sur la terre? Pour qu'ils puissent, eux, 
vivre de la philosophie, — n'est-ce pas? » — (Disser- 
tation sur le Quadruple Principe, etc..) — « Une seconde 
classe de gens qui vivent du besoin métaphysique de 
rhomme, ce sont ceux qui vivent de la philosophie. On 
les appelait chez les Grecs sophistes ; chez les modernes, 
ce sont les professeurs de philosophie. Mais il arrive 
rarement que ceux qui vivent de la philosophie vivent 
pour la philosophie. > {Welt als Wille, t. II, chap. 17; 
passage traduit par M. Ribot, p. 28 de l'ouvr. cité.) 



90 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

sur un billard ne peut entrer en mouvement, avant 
d'avoir reçu une impulsion, ainsi un homme ne 
peut se lever de sa chaise, avant qu'un motif ne 
l'y détermine : mais alors il se lève d'une façon 
aussi nécessaire et aussi inévitable que la boule se 
meut après avoir reçu Timpulsion. Et s'attendre 
à ce qu'un homme agisse de quelque manière, 
sans qu'aucun intérêt ne Ty sollicite, c'est comme 
si j'allais m'imaginer qu'un morceau de bois pût se 
mettre en mouvement pour venir vers moi, sans 
être tiré par une corde i. Celui qui soutenant cette 
théorie dans une société rencontrerait une contra- 
diction obstinée, se tirerait d'affaire de la façon la 
plus ezpéditive en priant un tiers de s'écrier tout 
à coup d'une voix forte et convaincue : a Le pla<^ 
fond s'écroule! > et les contradicteurs devraient 
bien vite se ranger à son opinion, et confesser 
qu'un motif peut être aussi puissant pour faire fuir 
des gens hors d'une maison que la cause mécani- 
que la plus efficace. 

L'homme, en effet, ainsi que tous les objets de 
l'expérience, est un phénomène dans l'espace et 
dans le temps, et comme la loi de la causalité vaut 
à priori pour tous les phénomènes, et par suite 



i. Toutes les comparaisons de ce genre pèchent par 
la base : elles reposent sur une confusion systémaii- 
que entre les causes efficientes et les causes finales. 
(V. suprà, p. 62 ) 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 91 

ne souffre pas d'exception, Thomme doit aussi être 
soumis à cette loi. C'est cette vérité que proclame 
la raison pure à priori, que confirme l'analogie 
qui persiste dans toute la nature, que Texpérience 
ùû tous les jours démontre à chaque instant, 
poorva qu'on ne se laisse pas tromper par l'ap- 
parence. Ce qui produit l'illusion c'est que, tan- 
dis que les êtres de la nature, s'élevant de degré 
en d^ré, deviennent de plus en plus compliqués, 
et que leur réceptivité, naguère purement méca-^ 
nique, se perfectionne graduellement jusqu'à der 
venir chimique, électrique, excitable, sensible, et 
s'élève enfin jusqu'à la réceptivité intellectuelle et 
rationnelle, la nature des causes influentes doit en 
même temps suivre cette gradation d'un pas égal, 
et se modifier à chaque degré en rapport avec 
Tètre qui doit subir leur action; c'est pourquoi 
aussi les causes paraissent de moins en moins pal- 
pables et matérielles, de sorte qu'à la fin elles ne 
sont plus visibles à l'œil, mais seulement accessi- 
bles à la raison, qui, dans chaque cas particulier, 
les présuppose avec une confiance inébranlable et 
les découvre aussi après les recherches suffisantes. 
Car ici les causes agissantes se sont élevées à la 
hauteur de simples pensées, qui se trouvent en 
lutte avec d'autres pensées, jusqu'à ce que la plus 
puissante porte le premier coup et mette la volonté 
en mouvement ; toutes opérations qui se poursui* 



92 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

vent avec la même nécessité dans Fenchainement 
causal, que lorsque des causes purement méca- 
niques, dans une liaison compliquée , agissent à 
rencontre les unes des autres, et que le résultat 
calculé d'avance arrive immanquablement. Cette 
exception apparente aux lois de la causalité, résul- 
tant de l'invisibilité des causes, parait se produire 
aussi bien dans le cas des petites balles de liège 
électrisées qui sautent dans toutes les directions 
sous la cloche de verre, que dans celui des mou- 
vements humains : seulement, ce n'est pas à l'œil 
qu'il appartient de juger, mais à la raison. 

Si l'on admet le libre arbitre, chaque action 
humaine est un miracle inexplicable, un etTet sans 
cause. Et si l'on essaie de se représenter cette 
Uberté d'indifférence, on se convaincra bientôt 
qu'en présence d'une telle notion la raison est 
absolument paralysée : les formes mêmes de l'en- 
tendement y répugnent. Car le principe de raison 
suffisante, le principe de la détermination univer- 
selle et de la dépendance mutuelle des phéno- 
mènes, est la forme la plus générale de notre 
entendement, laquelle, suivant la diversité des 
objets qu'il considère, revêt elle-même des aspects 
fort différents i. Mais ici il faut que nous nous 
figurions quelque chose qui détermine sans être 
déterminé, qui ne dépende de rien, mais dont 

1. Voyez la note de la page 53. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 93 

â*autres choses dépendent, qui, sâns nécessité et 
par suite sans raison, produit actuellement A, 
tandis qu*il pourrait aussi bien produire B, ou G, 
ou D, et cela dans des circonstances identiques, 
c'est-à-dire sans qu'il y ait à présent rien en A, qui 
puisse lui faire donner la préférence sur B (car ce 
serait là un motif, et par conséquent une cause), 
pas plus que sur G ou sur D. Nous sommes rame- 
nés ici à la notion indiquée dès le commencement 
de ce travail (p. 11), celle du hasard absolu. Je le 
répète : une telle notion paralyse complètement 
l'esprit, à supposer même qu'on réussisse à la lui 
faire concevoir. 

Il convient maintenant de nous rappeler ce 
qu*est une cause en général : La modification 
antécédente qui rend nécessaire la modification 
conséquente ^ Jamais aucune cause au monde ne 
tire son effet entièrement d'elle-même, c'est-à-dire 
ne le crée ex nihilo 2. H y a toujours une matière 
sur laquelle elle s'exerce, et elle ne fait qu'occa- 
sionner à un moment, en un lieu, et sur un être 

1. La définition scolastique : c Per causam intelligo 
id quo suhlato toîlitur effectua, > a le défaut de s'appli- 
quer aussi bien aux conditions d*un fait qu'à sa cause. 

2. Il est assez remarquable que ceux qui nient la 
création et soutiennent Vaséité du inonde, nient aussi le 
libre arbitre : Spinoza, les matérialistes du xyiii» siècle, 
Schopenhauer(y. infrà^ p. 144) sont dans ce cas. — L'ana- 
logie profonde qui existe entre l'acte créateur de la toute- 
puissance divine et l'acte libre de la volonté humaine, a 



94 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

donnés, une modification qui est toujours conformé 
à la nature de cet être, et dont la possibilité devait 
donc préexister en lui. Par conséquent chaque effet 
est la résultante de deux facteurs, un intérieur et 
un extérieur : l'énergie naturelle et originelle de la 
matière sur laquelle agit la force en question, et la 
cause déterminante, qui oblige cette énergie à se 
réaliser, en passant de la puissance à Tacte. Cette 
énergie primitive est présupposée par toute idée de 
causalité et par toute explication qui s'y rapporte 
aussi une explication de ce genre, quelle: qu'elle 
soit, n'explique jamais tout, mais laisse toujours 
en dernière analyse quelque chose, dlnexplicable. 
C'est ce que nous constatons à chaque instant dans 
la physique et la chimie. L'explication des phéno- 



été admirablement marquée par M. Cousin : c L'homme 
ne tire point du néant Taction qu'il n'a pas faite encore, 
et qu'il va faire, il la tire de la puissance très-réelle qu'il 
a de la faire. La création divine est de la même nature. 
Dieu en créant l'univers ne le tire pas du néant, qui 
n'existe pas, qui est un pur mot, il le tire de lui-môme^ 
de cette puissance de causation et de création diont nous 
possédons une faible partie, etc. » (Cours de VHist, de la 
Phil. moderne^ t. I, p. 100 sqq.) Ce n'est donc pas sans 
quelque surprise que nous avons lu ces lignes de II. Va- 
cherot, auxquelles la citation précédente peut servir de 
réfutation : « Le plus inintelligible des mystères, c'est la 
création ex nihilo, . . Et cela est tout simple : pour qu'une 
explication, si hypothétique qu*elle soit, devienne inteUi- 
gibie, il faut qu'elle se fonde sur une analogie quelconque. 
Or il rCest aucune opération.,, qui puisse éveiller dans 
l'esprit ridée de la création ex nihilo, » {Revue des Deux» 
Mondes du 1»' septembre 1876.) 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 95 

mènes, c'est-à-dire des effets, ainsi que les raisonne- 
ments qui ramènent ces phénomènes à leur source 
dernière, présupposent toujours l'existence de cer- 
taines forces naturelles. Une force naturelle consi- 
dérée en elle-même n'est soumise à aucune expli- 
cation, mais elle est le principe de toute explication.. 
De même, elle n'est non plus soumise en elle-même 
à aucune causalité, mais elle est précisément ce qui 
donne à chaque cause la causalitéj c'est-à-dire la 
possibilité de produire son effet. Elle-même est le 
substratum commun de tous les effets de cette 
espèce, et est présente dans chacun d'eux. C'est 
ainsi que les phénomènes magnétiques peuvent 
être ramenés à une force originelle, appelée élec- 
tricité. L'explication ne peut pas aller plus loin : 
elle ne donne que les conditions sous lesquelles 
une pareille force se manifeste, c'est-à-dire les 
causes qui provoquent son activité. Les explica- 
tions de la mécanique céleste présupposent toutes 
comme force primitive la gravitation, en vertu 
de laquelle les causes individuelles, qui détermi- 
nent la marche des corps célestes, exercent leur 
action. Les explications de la Chimie présupposent 
les forces cachées, qui se manifestent, en tant 
qu'affinités électives , d'après certains rapports 
stœchiométriques, et sur lesquelles reposent en 
dernière analyse tous les effets qui, appelés par 
des causes que Ton détermine à l'avance, entrent 



96 ESSAI SUH LE LIBRE ARBITRE 

en jeu avec une exactitude rigooreuse. Ainsi en- 
core les explîcatioDsâeîapbyâoIogie présupposent 
la force Titale, qui réagit dans les phénomènes 
vitaux sous TinOuence d'excitations spéciales, inté- 
rieures et extérieures. Il en est de même pour 
toutes les sciences. Il n'est point jusqu*aux causes 
dont s'occupe la science si claire de la mécanique, 
comme la poussée et la pression, qui ne présup- 
posent rimpénétrabilité, la cohésion, la rigidité, la 
dureté, l'inertie, la pesanteur, l'élasticité, pro- 
priétés naturelles des corps qui dérivent des forces 
irréductibles dont nous avons parlé plus haut. Il 
s'en suit que les causes en général ne déterminent 
jamais que le quando et le ubi des manifesta- 
tions de certaines forces originelles, impénétrables, 
sans lesquelles elles n'existeraient pas en tant que 
causes, c'est-à-dire en tant que forces actives, 
produisant nécessairement certains effets parti- 
culiers. 

Ce qui est vrai des causes dans le sens le plus 
étroit du mot, ainsi que des excitations, Test éga- 
lement des motifs, puisque la motivation ne diffère 
pas essentiellement de la causation en général, 
mais n'en est qu'une forme particulière, à savoir 
la causation qui opère par l'intermédiaire de Ten- 
lendement. Ici encore la cause ne fait que pro- 
ifoquer la manifestation d'une force irréductible à 
tarem plot simples, et qu'il faut admettre 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 97 

30inme un fait premier et inexplicable, laquelle, 
portant le nom de volonté ^ se distingue des 
autres forces de la nature en ce qu'elle ne se fait 
pas seulement sentir à nous par le dehors, mais, 
grâce à la conscience, nous est aussi connue par 
le dedans et immédiatement. Ce n'est qu'avec la 
présupposition qu'une telle volonté existe, et, dans 
chaque cas particulier, qu'elle a une nature déter- 
minée, que les causes dirigées sur elle, appelées ici 
motifs, peuvent exercer leur action. Cette nature 
spéciale et individuellement déterminée de la 
volonté, en vertu de laquelle sa réaction sous 
l'influence de motifs identiques diffère d'un homme 
à l'autre, constitue ce qu'on appelle le carac- 
tère de chacun, et même (parce qu'il n'est pas 
connu à priori , mais seulement à la suite de 
l'expérience), son caractère empirique. C'est la 
nature de ce caractère qui détermine le mode 
d'action particulier des différents motifs sur cha- 
que individu donné. Car il est à la base de tous les 
effets que les motifs provoquent, comme les forces 
naturelles générales sont à l'origine des effets 



1. a Mais si on se pose cette question dernière : 
« Cette volonté qui se manifeste dans le monde et par le 
monde, qu'est-elle absolument et en elle-même ^ 9 II n'y 
a aucune réponse possible à cette question f puisque être 
connu est en contradiction avec être en soi et que tout 
ce qui est connu est par là-môme phénomène. » {Welt als 
Wiîle, t. II ch. 25 — Cité par M Ribot, p. 92). 

6 



98 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

produits par les causes prises dans le sens le plus 
étroit du mot, comme la force vitale est à la source 
des phénomènes produits par les excitations. Et de 
même que toutes les forces de la nature, il est, lui 
aussi, primitif, inaltérable, impénétrable. Chez les 
animaux, il varie d'espèce à espèce; diez les 
hommes, d'individu à individu. Ce n'est que dans 
les animaux supérieurs les plus intelligents que se 
montre déjà un caractère individuel nettement 
défini, au dessus duquel le caractère général de 
l'espèce se révèle toujours encore comme domi- 
nant. 

Le caractère de l'homme est : !• Individuel: il dif- 
fère d'individu à individu. Sans doute, les traits géné- 
raux du caractère spécifique forment la base com- 
mune de tous, et c'est pourquoi certaines qualités 
principales se retrouvent chez tous les hommes. Mais 
il y a là une telle différence dans le plus et le moins, 
dans la combinaison des qualités et leur modifica- 
tion les unes par les autres, que la dissemblance 
morale des caractères peut être considérée comme 
égale à celle des facultés intellectuelles, ce qw 
veut beaucoup dire, — et que toutes les deuî 
sont incomparablement plus considérables que le.' 
inégalités corporelles entre un géant et un nain, 
entre Apollon et Thersite. C'est pourquoi l'action 
d'un môme motif varie tant d'un homme à un 
autre, de môme que la lumière du soleil blanchit 



LA VOLONTÉ DRVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 99 

la cire et noircit le chlorure d'argent, et que la 
chaleur ramollit la cire, mais durcit Targile. C'est 
pourquoi encore la connaissance des motifs ne 
suffit pas pour prédire l'action qui doit en résul- 
ter : il faut en outre la connaissance exacte du 
caractère qu'ils sollicitent. 

2* Le caractère de Thomme est empiHque. Par 
Texpérience seule on apprend à le connaître, non- 
seulément tel qu'il est dans autrui, mais tel qu'il 
est en nous-mômes. Aussi n'est-on pas moins 
souvent désillusionné sur son propre compte que 
sur celui des autres, lorsque l'on découvre qu'on 
ne possède pas telle ou telle qualité, par exemple la 
justice, le désintéressement, la bravoure, au même 
degré qu'on le supposait, avec trop de complai- 
sance pour soi. Dans le cas d'un choix difficile qui 
se trouve soumis à notre volonté, notre résolution 
finale reste pour nous-mêmes un secret, comme la 
résolution d*une personne étrangère, aussi long- 
temps que nous ne nous sommes pasdécidés : tantôt 
nous pensons qu'elle inclinera d'un côté, tantôt de 
l'autre, selon que tel ou tel motif est présenté plus 
immédiatement à la volonté par l'entendement, et 
qu'il essaie au moment même sa force sur elle : 
c'est alors que cette pensée < je peux faire ce que 
je veux » nous offre l'apparence trompeuse d'une 
affirmation du libre arbitre. Enfin le motif le plus 
fort fait valoir définitivement son droit sur la vo- 



100 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

lonté ; et le choix tombe souvent autrement que 
nous ne supposions d'abord. Par suite, nul ne peut 
savoir comment un autre homme, ni même com- 
ment lui en personne agira dans une circonstance 
déterminée, avant qu'il ne s'y soit trouvé. Ce n'est 
qu'après une épreuve subie qu'il peut être certain 
des autres et de lui-même. Mais alors il peut l'ôtre 
en toute sécurité : l'amitié éprouvée, des servi- 
teurs éprouvés, sont les choses les plus sûres du 
monde *. En général, nous traitons un homme qui 
nous est exactement connu, comme toute chose, 
dont nous avons déjà appris à connaître les qua- 
lités, et nous prévoyons avec assurance, dans l'a- 
venir, ce qu'il nous est permis ou non d'attendre 
de lui. Celui qui a fait une fois telle chose, agira 
encore de même le cas échéant, en bien comme 
en mal. Aussi celui qui a besoin d'une aide considé* 
rable, extraordinaire, s'adressera-t-il de préférence 
à un homme ayant donné des preuves de sa gran- 
deur d'âme : et celui qui veut aposter un meur- 
trier, jettera lés yeux sur les gens qui ont déjà 
trempé leurs mains dans le sang. D'après le récit 
d'Hérodote (VII, 164), Gélon de Syracuse, se trou- 
vant dans la nécessité de confier une très -forte 
somme à un homme pour la porter à l'étranger, 
choisit à cet effet Kadmos, qui avait donné jadis un 

!• Mn* Necker a écrit dans le môme esprit : « La 
probité reconnue est le plus sûr de tous les serments. » 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 101 

témoignage éclatant d'une loyau é et d'une bonne 
foi rares et même inouïes. Sa confiance fut pleine- 
ment justifiée. — Pareillement, ce n'est que par Tex- 
périence, et à mesure que l'occasion s'en présente, 
que notre connaissance de nous-mêmes s'approfon- 
dit, et c'est sur elle que repose noire confiance ou 
notre méfiance en nos propres moyens. Selon que 
dans un cas nous avons montré de la réflexion, du 
courage, delà loyauté, de la discrétion, de la délica 
tesse, ou toute autre qualité que pouvaient récla- 
mer les circonstances, — ou que ne us avons donné 
la preuve de l'absence de ces qualités, cette con- 
naissance plus intime avec nousrr êmes nous ins- 
pire de la satifaction ou du mécontentement tou- 
chant notre propre nature. Ce n'est que la con- 
naissance exacte de son caractère empirique qui 
donne à l'homme ce qu'on appelle le caractère ac- 
quis : celui-là le possède, qui connaît exactement 
ses qualités personnelles^ les bonnes comme les 
mauvaises, et voit par là sûrement ce qu'il peut 
ou ne peut pas attendre et exiger de lui-même. Il 
joue dès lors son rôle, que naguère, au moyen de 
son caractère empiiique, il ne faisait que natura- 
liser (réaliser), — avec art et méthode, fermeté et 
convenance, sans jamais, comme on dit, se départir 
de son caractère, ce qui n'arrive qu'à ceux qui 
entretiennent quelque illusion sur leur propre 

compte. 

6. 



102 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

3^ Le caractère de l'homme est invariable : il 
reste le même pendant toute la durée de sa vie. 
Sous Tenveloppe changeante des années, des cir- 
constances où il se trouve, même de ses con- 
naissances et de ses opinions, demeure, comme 
Fécrevisse sous son écaille, Thomme identique et 
individuel, absolument immuable et toujours le 
même. Ce n'est que dans sa direction générale et 
dans sa matière que son caractère éprouve des 
modifications apparentes, qui résultent des difiEé*^ 
rencesd'âges,et des besoins divers qu'ils suscitent. 
Vhomme même ne change jamais : comme il â 
agi dans un cas, il agira encore, si les mêmes cir^ 
constances se présentent (en supposant toutefois 
qu'il en possède une connaissance exacte). L'expô? 
rience de tous les jours peut nous fournir la cou* 
fîrmation de cette vérité : mais elle semble le ptas 
frappante, quand on retrouve une personne de 
connaissance après vingt ou trente années, et qu'on 
découvre bientôt qu'elle n'a rien changé à ses pro- 
cédés d'autrefois. — Sans doute plus d'un niera en 
paroles cette vérité : et cependant dans sa conduite 
il la présuppose sans cesse, par exemple quand il re- 
fuse à tout jamais sa confiance à celui qu'il a trouvé 
une seule fois malhonnête, et, inversement, lors- 
qu'il se confie volontiers à l'homme qui s'est un jour 
inontré loyal. Car c'est sur elle que repose la pos- 
sibilité de toute connaissance des hommes, ainsi 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 103 

que la ferme confiance que l'on a en ceux qui ont 
donné des marques incontestables de leur mérite. 
Et môme lorsqu'une «pareille confiance nous a 
trahis une fois, nous ne disons jamais : « le carac- 
tère d'un tel a changé », mais : a je me suis abusé 
sur son compte. » G* est en vertu de ce même prin- 
cipe que lorsque nous voulons juger de la valeur 
morale d'une action, nous cherchons avant tout h 
connaître avec certitude le mo6f qui Ta inspirée, 
et qu'alors notre louange ou notre blâme ne porte 
pas sur le motif, mais sur le caractère qui s'est 
laissé déterminer par lui, en tant que second fac- 
teur de cette action, et le seul qui soit inhérent b 
Fhomme. — C'est pourquoi aussi l'honneur vé- 
ritable (non pas l'honneur chevaleresque, qui 
est celui des fous), une fois perdu, ne se retrouve 
jamais, mais que la tache d'une seule action mé- 
prisable reste attachée à l'homme, et, comme on 
dit, le stigmatise. De là le proverbe : a Voleur 
un jour, volera toujours. »> — De même encore, 
si dans quelque aiSaire d'État importante il a été 
jugé nécessaire de recourir à la trahison, et par- 
tant de récompenser le traître dont on a em- 
ployé les services, une fois le but atteint, la pru- 
dence commande d'éloigner cet homme, parce que 
lescirconstances peuvent changer, tandis que son 
caractère ne le peut pas. — Pour le même mo- 
tif, on sait que le plus grave dé£aut d'un auteur 



104 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

dramatique est que ses caractères ne se soutiennent 
pas, c'est-à-dire qu^ils ne soient pas tracés d'un 
bout à l'autre comme ceux»que nous ont repré- 
sentés les grands poètes , avec la constance et 
l'inflexible logique qui président au développement 
d'une force naturelle (je l'ai prouvé par un exemple 
emprunté à Shakespeare, Parerga, V, 2, § 118, 
p. 196 de la 1" édition). — C'est encore sur cette 
vérité que repose la possibilité de la conscience 
morale, qui nous reproche jusque dans la vieillesse 
les méfaits de notre jeune âge. C'est ainsi, par 
exemple, que J.-J. Rousseau, après plus de qua- 
rante ans, se rappelait avec douleur avoir accusé 
la servante Marion d'un vol, dont il était lui-môme 
l'auteur. Cela n'est explicable qu'en admettant 
que le caractère soit resté invariable dans l'in- 
tervalle; puisque au contraire les plus ridicules 
méprises, la plus grossière ignorance , les plus 
étonnantes folies de notre jeunesse ne nous font 
pas honte dans l'âge mûr ; car tout cela a changé^ 
c'était TafTaire de Tintelligence, nous sommes re- 
venus de ces erreurs, et nous les avons mises 
de côté depuis longtemps comme nos habits de 
jeunes hommes. — De là découle encore ce fait^ 
qu'un homme, même quand il a la connaissance la 
plus claire de ses fautes et de ses imperfections 
morales, quand il les déteste même, quand il prend 
la plus ferme résolution de s'en corriger, ne se 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 105 

corrige néanmoins jamais complètement ; bientôt, 
malgré de sérieuses résolutions, malgré des pro- 
messes sincères, il s'égare de nouveau, quand 
l'occasion s'en présente, sur le même sentier 
qu'auparavant, et s* étonne lui-même quand on le 
surprend à mal faire ^ Sa connaissance seule peut 
être redressée : on peut arriver à lui faire com- V 
prendre que tels ou tels moyens, qu'il employait 
autrefois, ne conduisent pas à son but, ou lui pro- 
curent plus de dommage que de profit : alors il 
change de moyens, mais non de but. C'est là le 
principe du système pénitencier américain : il ne 
se propose pas d'améliorer le caractère, le cœur 
même du coupable, mais plutôt de rétablir l'ordre 
dans sa tête, et de lui montrer que ces mêmes fins, 
qu'il poursuit nécessairement en vertu de sa na- 
ture et de son caractère, lui coûteront à atteindre 
beaucoup plus de difficulté, de fatigue, et de danger, 
sur le chemin de la malhonnêteté suivi par lui 
jusque-là, que sur la voie de la probité, du travail 
et de la tempérance. En général ce n'est que jus- 
qu'à la région de la connaissance que s'étend la 
sphère de toute amélioration possible et de tout 

1. Les poètes anciens ont souvent exprimé cette vérité, 
mais aucun ne l'a fait avec autant de vigueur que 
Perse (V, 159) : 

Nam et lactata canis nodum abripit : attamen illr 
Qaam fugit, a oollo trahitar para loaga caten». 



106 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

enDoblissement de Tâme. Le caractère est inva- 
riable, Faction des motifs fatale : mais ils doivent 
aArant d'agir passer parrentendement, qui est le me- 
(Muni des motifs. Or celui-ci est susceptible à des 
degffés infinis des perfectionnements les plus divers 
et d*un redressement incessant : c'est là le but 
même vers lequel tend toute éducation. La cul- 
ture de Tintelligence, enrichie de connaissances 
et de vues de toute sorte, dérive son importance 
de ce que des motifs d'ordre supérieur, auxquels 
sans cette culture l'homme ne serait pas acces^ 
sàble^ peuvent se frayer ainsi un chemin jusqu'à sa 
volonté. Aussi longtemps que l'homme ne pouvait 
pas comprendra ces moti&, ils étaient pour sa vo- 
lonté comme s'ils n^existaient pas. C'est pourquoi, 
les circonstances extérieures restant identiques, la 
position d*ùn homme relativement à une résolution 
possible peut être fort dififérente la seconde fois 
de ce qu'elle était la première : il peut, pendant 
L'intervalle, être devenu capable de concevoir les 
mêmes circonstances d'une f^çon plus exacte: et 
plus complète, et c'est ainsi que des motifs, aux- 
quels il était autrefois inaccessible^ peuvent l'in- 
fluencer aujourd'hui. Dans ce sens les scolastiques 
disaient très-justement : c Causa finalis (le bût, 
le motif) movet non secundum suum esse reaie, 
sed secundum esse cognitum.. (Le motif meut 
[la volonté] non d'après ce qu'il est en soi mais 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 407 

seulement en tant qu*il est connu.) Mais au- 
cune influence morale ne peut avoir pour résultat 
d*autre redressement que celui de la connaissaMce 
et l'entreprise de vouloir corriger les défauts du 
caractère d*un homme par des discours et des 
sermons de morale , et de transformer ainsi sa 
nature même et sa propre moralité , n'est pas 
moins chimérique que celle de changer le plomb 
en or en le soumettant à une influence extérietire, 
ou d'amener un chêne, par une culture très-soi- 
gnée, à produire des abricots ^ 

Cette invariabilité fondamentale du caractère se 
trouve déjà affirmée comme un fait indubitable 
d«is Apulée (Oratio de Magiâ), où, se défeniâkant 
de l'accusation de magie, il en appelle à son carac- 
tère bien connu, et s'exprime ainsi ^ : « La mora- 
ralité d'un homme est le plus sûr témoignage, et 
si quelqu'un a constamment persévéré dans la 
vertu ou dans le mal-, ce doit être le plus fort ar- 
gument de toute poursuite ou de toute justifica- 
tion 2.» 



/ 



1 . Théognis : dUAà Jc^àffxuv — oGiron "Koniivttç r^y xoexày âvS/^' 
6iyoi.Bàv. — Schopenhauer citait encore souvent le mot de 
Sénèque : VeVe non discitur, II est vrai qu'on pourrait lui 
répondre avec le même philosophe : Non dat natura virtU' [ 
tem : ars est bonum fieri. *' 

2. Certum indicium cujusque animum esse, qui sempr ^ 
eodem ingenio ad virtutem vel ad malitiam morattts, fir* 
mum argumentum est accipiendi criminis, aut respuendi* 
— Trad. de M. Bétolaud. 



408 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

40 Le caractère individuel est inné : il n'est pas 
une œuvre d'art *, ni le produit de circonstances 
fortuites, mais Touvrage de la nature elle-même. 
Il se manifeste d*abord chez l'enfant, et montre 
dès lors en petit ce qu'il doit être en grand. C'est 
pourquoi deux enfants, soumis à une même édu- 
cation et à l'influence d'un même entourage, ne 
tardent pas cependant à révéler le plus claire- 
ment possible deux caractères essentiellement dis- 
tincts : ce sont les mêmes qu'ils auront un jour 
étant vieillards. Dans ses traits généraux, le ca- 
ractère est même héréditaire, mais du côté du 
père seulement, Tintelligence par contre venant 
de la mère : sur ce point, je renvoie au chapitre 45 
de mon ouvrage capital 2 (Welt als Wille), 

De cette explication de l'essence du caractère 
individuel, il résulte sans doute que les vertus et 
les vices sont choses innées. Cette vérité peut 
paraître choquante à plus d'un préjugé et à plus 
d'une philosophie de vieilles commères 3, jalouse 
de ménager les prétendus intérêts pratiques, c'est-à- 

1. Les Stoïciens anciens et modernes ont miUe fois 
répété que l'homme est artifex vitœ, arlifex sut, « Tou- 
vrier de sa nature morale, et l'artisan de son bonheur ou 
de son malheur ici-bas. • 

2. Schopenhauer aimait à se citer lui-même comme un 
exemple à Tappui de cette théorie, du reste sans valeur. 
(V. Ribot, ouvr. cit., p. 11.) 

3. Rockenphilosophiey mot à mot, philosophie de que^ 
nouilles. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 109 

dire ses idées mesquines, étroites, et ses vues bor- 
nées d'écoles primaires ; mais telle était déjà la con- 
viction du père de la morale, Socrate,qui, selon le 
témoignage d'Aristole {Ethica magna, i ,9), préten- 
dait a qu'il ne dépend pas de nous d'être bons on 
méchants. » Les raisons qu'Aristote invoque contre 
cette thèse sont manifestement mauvaises; d'ail- 
leurs il partage lui-môme sur ce point l'opinion de 
Socrate, et il l'exprime de la façon la plus claire 
dans V Éthique à Nicomaque (vi, 11) : « Tout le 
monde croit que chacune des qualités morales que 
nous possédons se trouve en quelque mesure en 
nous par la seule influence de la nature. Ainsi, 
nous sommes disposés à devenir équitables et 
justes, sages et courageux, et à développer d'au- 
tres vertus, dès le moment de notre naissance. » 
(Trad. de M. Barthélémy Saint-Hilaire.) 

Et si l'on considère l'ensemble des vertus et des 
vices tels qu'Aristote les a résumés en un rapide 
tableau dans son ouvrage «: De virtutibus et 
vitiis, on reconnaîtra que tous, supposés exis* 
tant chez des hommes réels, ne peuvent être 
pensés que comme des qualités innées, et ne sau- 
raient être vrais que comme tels : par contre, s'ils 
étaient nés de la réflexion et acceptés par la vo- 
lonté, ils ressembleraient, à vrai dire, à une sorte 
de comédie, ils seraient faux^ et par suite on ne 

pourrait compter aucunement ni sur leur persis- 

7 



ilO ESSAI SUK LE LIBRE ABBITRB 

Unce, m sur leur durée, soos la pression variable 
des drconsUnces. Il en est de même de cette 
verlQ chrétienne de Tamoar, caritaSj ignorée d'A- 
rîstote OHnme de tons les anciens ^. Gomment se 
poarrait41 que la bonté infatigable d*un homme, 
aussi bien que la perversité incon^ible, profondé- 
ment enracinée de tels autres, le caractère d'un An- 
lonin, d^un Adnen, d'un Titus ^ d'une part, et celui 
de Caligula^ de Néron, de Domitien de Fautre, 
fussent en quelque sorte nés du dehors, l'ouvrage 
de circonstances fortuites, ou une pure affaire d*in- 
telligence et d^éducation! Sénèque ne fut-il pas 
le précepteur de Néron? — CTest bien plutôt dans 
le caractère inné, ce noyau véritable de l'homme 
moral tout entier, que résident les germes de 
toutes ses vertus et de tous ses vices. Cette con- 
viction naturelle à tout homme sans préjugés gui- 
dait déjà la plume de Yelleius Paterculus, quand 
il écrivait les lignes suivantes sur Gaton (II, 35) : 
« Gaton était Timage de la vertu même. Plus sem- 
blable aux Dieux qu'aux hommes, par sa droiture 
et par son génie, il ne fit jamais le bien pour pa- 
raître le faire, mais parce qu'il lui était impos- 
sible de faire autrement >. • (Trad. française de 
M. Herbet.) 

1. Il semble cependant qu*eUe n*est pas tout à fflât 
étrangère au fameux Hoino sum du Tieux Térence ! 

2. « Ce passage tend à devenir peu à peu mie arma 
régulière dans l'arsenal des déterministes, hooneur auquel 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIlEURE lU 

Au contraire, dans l'hypothèse du libre arbitre, 
la vertu et le vice, ou plus généralement ce fait, 
que deux hommes semblabiement élevés, dans des 
circonstances tout à fait pareilles, et soumis aux 
mêmes influences, puissent agir tout différemment, 
voire même de deux façons diamétralement oppo- 
sées, sont des choses dont il est absolument impos- 
sible de se rendre compte. La dissemblance effec- 
tive, originelle, des caractères, est inconciliable avec 
la supposition d*un libre arbitre consistant en ce que 
tout homme, dans quelque position qu'il se trouve, 
puisse agir également bien de deux façons oppo- 
sées. Car alors il faudrait qu'à l'origine son carac- 
tère fût une tabula rasa, comme Test l'intelligence 
d'après Locke, et n'eût d'inclination innée ni dans 
un sens, ni dans un autre ; parce que toute ten- 
dance primitive supprimerait déjà le parfait équi- 
libre, tel qu'on se le figure dans l'hypothèse de la 

le bon vieil historien, il y a dix-huit cents ans, n*avait 
certainement jamais rêvé. Hobbes Ta relevé le premier, 
et après lui Priestley. Ensuite Schilling l'a reproduit, à la 
p. 478 de sa dissertation sur la liberté, dans une traduc- 
tion légèrement faussée au profit de sa thèse ; c'est pour 
cela qu'il ne cite pas le nom de Velleius Paterculus, mais 
se contente de dire, avec autant de réserve que de ma- 
jesté : « un Ancien ». EtSiQ je n'ai pu m'empêcher de le 
citer à mon tour, puisqu'il osl verilablementici à sa place. » 
(Note de Schopenbauer.) — La vertu suprême ne détruit 
pas plus le libre arbitre que la vie spirituelle n'anéantit la 
personnalité : elle l'acbève au contraire, el en est la plus 
haute expression. — Cf. Jouffroy, Mélanp» Philosophiques, 
p. 361 sqq« 



C 



112 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

liberté d'indifférence. Avec cette hypothèse, ce 
n'est donc pas dans le subjectif que peut résider 
la cause de la différence indiquée plus haut entre 
les manières d'agir des différents hommes; encore 
moins serait-ce dans Yobjectif^ car alors ce se- 
raient les objets extérieurs qui détermineraient 
nos aclions, et la prétendue liberté serait entiè- 
rement abolie. Il resterait encore une dernière 
issue : ce serait de placer Torigine de cette grande 
divergence constatée entre les façons d'agir des 
hommes dans une région moyenne entre le' sujet 
et l'objet, en lui assignant pour origine les diverses 
manières dont l'objet est perçu et compris par le 
sujet, c'est-à-dire les divergences entre les juge- 
ments et les opinions des hommes. Mais alors 
toute la moralité reviendrait à la connaissance 
vraie ou fausse des circonstances présentes, ce qui 
réduirait la différence morale de nos façons d'agir 
à une simple différence de rectitude entre nos ju- 
gements, et ramènerait la morale à la logique. — 
Enfm les partisans du libre arbitre peuvent es- 
sayer encore d'échapper à ce difficile dilemme, en 
disant : « Il n'existe pas de différence originelle 
entre les caractères, mais une pareille différence 
est bientôt produite par l'action des circonstances 
extérieureS|Jes impressions du dehors, l'expérience 
personnelJje^^s exemples^ les enseignements, etc.; 
et lorsque de celte manière le caractère individuel 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 413 

s'est une fois définitivement fixé, on peut ensuite 
expliquer par la différence des caractères la diffé- 
rence des actions. » A cela on répond : 1^ que 
dans cette hypothèse le caractère devrait se former 
très-tard, — tandis qu'il est de fait qu'on le recon- 
naît déjà chez les enfants, — et que la plupart des 
hommes mourraient avant d'avoir acquis un ca- 
ractère; 2o que toutes ces circonstances exté- 
rieures, dont le caractère de chacun serait le ré- 
sultat, sont tout à fait indépendantes de nous, et 
se trouvent, quand le hasard, ou, si Ton veut, la 
Providence les amène, complètement déterminées 
dans lei)r nature. Si donc le caractère était le pro- 
duit de ces circonstances, et que le caractère fût la 
source de la différence des façons d'agir, on voit 
que toute responsabilité morale serait absolument 
supprimée, puisqu'il est manifeste que nos actions 
seraient en dernière analyse Tœuvre du hasard 
ou de la Providence. Nous voyons donc, dans l'hy- 
pothèse du libre arbitre, l'origine de la différence 
morale entre les actions humaines et par suite l'ori- 
gine du vice et de la vertu, en même temps que le 
fondement de la responsabilité, flotter en l'air sans 
point d'appui, et ne trouver nulle part la moindre 
petite place où pousser des racines dans le sol. Il 
en résulte que cette supposition, quelque attrait 
qu'elle puisse exercer au premier abord sur une 
intjslligence peu cultivée, est pourtant au fond 



114 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

tout autant en contradiction avec nos convictions 
morales, qu'avec le principe fondamental que do- 
mine tout noire entendement (le principe de rai- 
son suffisante), comme il a été démontré plus haut. 
La nécessité avec laquelle les motifs, ainsi que 
toutes les causes en général, exercent leur action, 
n'est donc pas une doctrine qui ne repose sur rien. 
Nous avons maintenant appris à connaître le fait qui 
lui sert de base, le sol même sur lequel elle s'appuie, 
je veux dire le caractère inné et individuel. De: 
même que chaque effet dans la nature inorganique 
est le produit nécessaire de deux facteurs, qui 
sont d'une part la force naturelle et primitive dont 
l'essence se révèle en lui, et de l'autre la cause 
particulière qui provoque cette manifestation; 
ainsi chaque action d'un homme est le produit 
nécessaire de son caractère, et du motif entré en 
jeu. Ces deux facteurs étant donnés, l'action résulte 
inévitablement. Pour qu'une action différente pût 
se produire, il faudrait qu'on admît Texistence 
d'un motif différent ou d'un autre caractère. Aussi 
Ton pourrait prévoir, et même calculer d'avance 
avec certitude chaque action, si le caractère n'é- 
tait pas très-difficiie à déterminer exactement, et 
si les motifs ne restaient pas souvent cachés, et 
toujours exposés aux contre-coups d'autres mo- 
tifs 1, qui seuls peuvent pénétrer dans la sphère 

1. Les motifs moraux. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 115 

de la pensée humaine , et sont incapables d*agir 
sur tout autre être que sur Thomme. Par le ca- 
ractère inné de chaque homme, les fins en général 
vers lesquelles il tend invariablement, sont déjà dé- 
terminées dans leur essence : les moyens auxquels 
il a recours pour y parvenir sont déterminés tantôt 
par les circonstances extérieures, tantôt par la 
compréhension et par la vue qu'il en a, vue dont la 
justesse dépend à son tour de son intelligence et 
de la culture qu'elle possède. Comme résultat 
final, nous trouvons Fenchaînement de ses actes, 
et l'ensemble du rôle qu'il doit jouer dans le monde. 
C'est donc avec autant de justesse dans la pen- 
sée que de poésie dans la forme que Goethe, 
dans une de ses plus belles strophes, a résumé 
comme il suit cette théorie du caractère indivi- 
duel : 

Comme dans le jour qui t'a donné au monde, 
Lé soleil était là pour saluer les planètes, 
lu as aussitôt grandi sans cesse, 
D'après la loi selon laquelle tu as commencé, 
lelle est ta destinée, tu ne peux échapper à toi-même 
Ainsi parlaient déjà les sibylles, ainsi les prophètes ; 
Aucun temps, aucune puissance ne brise 
La forme empreinte, qui se développe dans le cours de 

[la vie 1. 

Nous disions donc que la vérité fondamentale 
sur laquelle repose la nécessité de l'action de 

1. Dieu et le monde, poésies orphiques. ^ Traduclior 
de M. Porchat, t. I, p. 312. 



!i6 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

toutes les causes, est roxistence d*une essence in- 
térieure dans tout objet de la nature, que cette es- 
sence soit simplement une force naturelle géné- 
rale qui se manifeste en lui, ou la force vitale, ou 
la volonté : tout être, de quelque espèce qu'il soit, 
réagira toujours sous l'influence des causes qui le 
sollicitent conformément à sa nature individuelle. 

Cette loi, à laquelle toutes les choses du monde, 
sans exception, sont soumises, était énoncée par 
les scolastiques sous cette forme : Operari sequitur 
esse. (Chaque être agit conformément à son es- 
sence.) Elle est également présente à l'esprit du 
chimiste lorsqu'il étudie les corps en les soumet- 
tant à des réactifs, et à celui de l'homme, quand il 
étudie ses semblables en les soumettant à diverses 
épreuves. Dans tous les cas, les causes extérieures 
provoqueront nécessairement l'être affecté à ma- 
nifesterce qu*il contient (son essence intérieure) : 
car celui-ci ne peut pas réagir autrement qu'il 
n'est. 

Il faut rappeler ici que toute existence présup- 
pose une essence : c'est-à-dire que tout ce qui est 
doit aussi être quelque chosey avoir une essence 
déterminée. Une chose ne peut pas exister et en 
même temps n'être rien^ quelque chose comme 
l'ens metaphysicum des scolastiques, c'est-à-dire 
une chose qui est, et n'est rien de plus qu'une exis- 
tence pure, sans aucun attribut ni qualité, et par 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 117 

suite sans la manière d'agir déterminée qui en dé- 
coule. Or, pas plus qu'une essence sans existence 
(ce que Kant a expliqué par l'exemple connu des 
cent écus] * , une existence sans essence ne pos- 
sède de réalité. Car toute chose qui est doit avoir 
une nature particulière, caractéristique, grâce à la- 
quelle elle est ce qu'elle est, nature qu'elle atteste 
par tous ses actes, dont les manifestations sont 
provoquées nécessairement par les causes exté- 
rieures ; tandis que, par contre, cette nature même 
n'est aucunement l'ouvrage de ces causes, et n'est 
pas modifiable par elles. Mais tout ceci est aussi 
vrai de l'homme et de sa volonté, que de tous les 
êtres de la création. Lui aussi, outre le simple at- 
tribut de l'existence, a une essence fixe, c'est-à- 
dire des qualités caractéristiques, qui constituent 
précisément son caractère, et n'ont besoin que 
d'une excitation du dehors pour entrer en jeu. Par 
suite, s'attendre à ce qu'un homme, sous des 
influences identiques^ agisse tantôt d'une façon, 
et tantôt d'une autre absolument opposée, c'est 
comme si Ton voulait s'attendre à ce que le 
même arbre qui l'été dernier a porté des cerises, 
porte l'été prochain des poires. Le libre arbitre 
implique, à le considérer de près, une exis^ 
tence sans essence, c'est-à-dire quelque chose 

1. Critique de la Raison Pure, Logique Transcendentale, 
p 220 de la trad. Tissot. 

7. 



118 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

qui est et qui en même temps nest rien, par con- 
séquent qui n'est pas, — d'où une contradiction 
manifeste ^ 

C'est aux vues exposées ci-dessus, comme aussi 
à la valeur certaine à priori et par suite absolu- 
ment générale du principe de causalité, qu'il faut 
attribuer ce fait, que tous les penseurs vraiment 
profonds de toutes les époques, quelque différentes 
que pussent être leurs opinions sur d'autres ma- 
tières, se sont accordés cependant pour soutenir la 
nécessité des volitions sous Tinlluence de motifs, 
et pour repousser d'une commune voix le libre ar- 
bitre. Et même — précisément parce que la grande 
et incalculable majorité de la multitude, incapable 
de penser et livrée tout entière à l'apparence et 
au préjugé, a de tous temps résisté obstinément à 
cette vérité, — ils se sont complus à la mettre en 
toute évidence, à l'exagérer même^ et à la sou-^ 
tenir par les expressions les plus décidées, sou^ 



i . On ne peut songer à discuter ici tout au long cette ar- 
gumentation très-bien conduite et très-serrée. Nous accor* 
dons volontiers à Schopenhauer que nos actes sont la ré^ 
sultante de notre caractère et des molifs, mais, comme Ta 
très-bien vu Reid, les motifs en eux-mêmes sont quelque 
chose d'absolument inerte et indéterminé, et toute la 
force qu'ils possèdent, c'est nous, le sujet, qui la leur don- 
nons. En renonçant à la liberté d'indifférence, il n*est pas 
impossible d'éviter le déterminisme : et Schopenhauer 
aurait dû examiner de plus près Topinion de Leibniz, au 
lieu de se contenter, en passant, de faire une aUusion dé 
baigneuse à ce remarquable essai de conciliation. 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 4f9 

vent même les plus dédaigneuses. Le symbole 
le plus connu qu'ils aient adopté à cet effet est 
ïâne de Buridan^ que Ton cherche toutefois en 
vain, depuis environ un siècle, dans les ouvra- 
ges qui nous restent sous le nom de ce so- 
phiste. Je possède moi-même une édition des So- 
phîsmata^ imprimée apparemment au xv® siècle, 
sans indication de lieu, ni de date, ni même de 
pagination, que j'ai souvent, mais inutilement, 
feuilletée à cet effet, bien que presque à chaque 
page l'auteur prenne pour exemples des ânes. 
Bayle, dont l'article Buridan dans le Diction^ 
naire Historique est la- base de tout ce qui a été 
écrit sur cette question , dit très-inexactement 
qu'on ne connaît de Buridan que ce seul so- 
phisme, tandis que je possède de lui tout un in- 
quarto qui en est rempli. Bayle, qui traite la ques- 
tion si explicitement, aurait dû aussi savoir (ce 
qui d'ailleurs ne parait pas non plus avoir été re- 
marqué depuis) que cet exemple, qui, dans une 
certaine mesure, est devenu Texpression typique et 
symbolique de la grande vérité pour laquelle je 
combats, est beaucoup plus ancien que Buridan. 
Il se trouve déjà dans le Dante, qui concentrait en 
lui toute la science de son époque, et qui vivait 
avant Buridan. Le poète, qui ne parle pas d'ânes, 
msùs d'hommes, conunence le 4* livre de son Pa- 
radiso par le tercet suivant : 



120 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

Entre deux mets placés à pareille distance, 
fous deux d*égal attrait, rhomme libre balance 
Mourant de faim avant de mordre à l'un des deux >. 

Aristote lui-même exprime déjà cette pensée, lors- 
qu'il dit (De cœlo, ii, i3) : « Il en est comme d'un 
homme ayant très-faim et très-soif, mais se trou- 
vant à une distance égale d*un aliment et d'une 
boisson : nécessairement, il restera immobile. » 
Buridan, qui a emprunté son exemple à cette 
source, se contenta de mettre un âne à la place de 
rhomme, simplement parce que c'est l'habitude 
de ce pauvre scolastique de prendre pour exeni- 
pies Socrate, Platon, ou asinus 2. 

La question du libre arbitre est vraiment une 
pierre de touche avec laquelle on peut distinguer 
les profonds penseurs des esprits superficiels, ou 
plutôt une limite où ces deux classes d'esprits se 



1. Traduction de M. Ratisbonne. — Voici le tercet origi- 
nal : Intra duo cibi, distanti è moventi — D'un modo, 
2*rima si morria di fame^ — Che liber' uomo Vun recasse 
à denti. 

2. Depuis Schopenhauer, on n*a pas retrouvé dans Buri- 
dan le sophisme en question. Personne non plus, à ce 
qu'il semble, n*a tenu compte des intéressants rapproche- 
ments qu'on vient de lire avec le Dante et Aristote. La 
dernière édition du Dictionnaire Philosophique répète, au 
sujet de Buridan, les explications de Bayle et de Tiede- 
nann. — Quant à l'édition des Sophismata^ dont parle 
Schopenhauer, elle se trouve partout mentionnée sans 
rindication de la date ni du lieu de publication, tantôt 
comme un in-4* et tantôt comme uo in-8». 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 121 

séparent, les uns soutenant à runanimité la nê- 
cessitation rigoureuse des actions humaines, étant 
donnés le caractère et les motifs , les autres par 
contre se ralliant à la doctrine du libre arbitre, 
d* accord en cela avec la grande majorité des 
hommes. Il existe encore un parti moyen, celui des 
esprits timides, qui, se sentant embarrassés, lou- 
voient de côté et d'autre, reculent le but pour eux- 
mêmes et pour* autrui, se réfugient derrière des 
mots et des phrases, ou tournent et retournent la 
question si longtemps, qu'on finit par ne plus savoir 
de quoi il s'agit. Tel a été autrefois le procédé de 
Leibniz S qui était bien plutôt un mathématicien 
et un polygraphe qu'un philosophe. Mais pour 
mettre au pied du mur ces discoureurs indécis et 
flottants, il faut leur poser la question de la manière 
suivante, et ne pas se départir de ce formulaire : 
1° Un homme donné, dans des circonstances 
données, peut-il faire également bien deux actions 
différentes, ou doit-il nécessairement en faire 
une ? — Réponse de tous les penseurs profonds : 
Une seulement. 

1. « C'est la correspondance de Leibniz avec Coste 
fOpera Phil., éd. Ennann, p. 447), qui nous montre le plus 
clairement combien ses idées étaient peu arrêtées à ce 
sujet. On en trouvera une autre preuve dans la Théodicée, 
§ 45-53. » (Note de Schopenhauer). — En réalité, ce que 
Schopenhauer ne peut pas pardonner à Leibniz, c'est 
d'avoir été avant iui un « théoricien de la notion de 
force. » V. infrà. 



iî? ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

2* Est-ce que la carrière écoulée de la vie d'un 
homme domié — ^ant admis que d'une part son 
caractère reste invariable, et de l'antre qae les 
circonstances dont il a eu à subir l'influence soient 
déterminées nécessairement d'un bout à l'autre, 
et jusqu'à la plus infime, par des moti& exté- 
rieurs qui entrait toujours en jeu avec une né* 
cesâté rigoureuse, et dont la chaîne continue, 
formée d'une suite d'anneaux tous également 
nécessaires, se prolonge à l'infini — est-ce que 
cette carrière, en un point quelconque de son 
parcours, dans aucun détail, aucune action, au- 
cune scène, aurait pu être différente de ce qu'elle 
a été? — Non , est la réponse conséquente et 
exacte. 

Le résultat de ces deux principes est celui-ci : 
Tout ce qui arrive, les plus petites choses comme 
les plus grandes, arrive nécessairement. Quidquid 
fity necessario fit. 

Celui qui se récrie à la lecture de ces principes 
montre qu'il a encore quelque chose à apprendre 
et quelque chose à oublier : mais il reconnaîtra 
ensuite que cette croyance à la nécessité univer- 
selle est la source la plus féconde en consolations 
et la meilleure sauvegarde de la tranquillité de 
Tâme. — Nos actions ne sont d'ailleurs nulle- 
ment un premier commencement ^ et rien de véri- 
tablement nouveau ne parvient en elles à l'exis- 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 123 

leïice : mais par ce que nous faisons seulement^ 
nous apprenons ce que nous sommes. 

C'est aussi sur cette conviction, sinon claire- 
ment analysée, du moins pressentie, de la rigou- 
reuse nécessité de tout ce qui arrive, que repose 
Topinion si fermement établie chez les anciens au 
sujet du Fatum^ reîfxapfjLevYi, comme aussi le fata- 
lisme des Mahométans ^ ; j'en dirai autant de la 
croyance aux présages, si répandue et si difficile 
à extirper, précisément parce que môme. le plus 
petit accident se produit nécessairement, et que 
tous les événements, pour ainsi dire, marchent en 
mesure sous une même loi, de manière que tout 
se répercute dans tout. Enfin cette croyance im- 
plicite peut servir à expliquer pourquoi l'homme, 
qui, sans la moindre intention et par un pur hasard, 
en a tué ou estropié un autre, porte toute sa vie le 
deuil de ce piaculum^ avec un sentiment qui 
semble se rapprocher du remords, et subit aussi 
de la part de ses semblables une espèce particu- 
lière de discrédit en tant que persona piacularis 
(homme de malheur). Il n'est pas jusqu'à la doc- 
trine chrétienne de la prédestination 2, qui ne soit 

1. Les philosophes anciens ont presque toujours con- 
fondu le fatalisme avec le déterminisme, qui en est, si 
l'on peut dire, la forme scientifique. II est curieux de 
suivre sur ce point les oscillations de la pensée d'un pro- 
fond penseur comme Tacite, V. infrà, note 1 de la page ult. 

2. Cette doctrine, comme on Ta remarqué, ressemble 



124 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

un produit lointain de cette conviction innée de 
l'invariabilité du caractère et de la nécessité de 
ses manifestations. — Enfin je ne veux pas sup- 
primer ici une remarque, tout à fait incidente du 
reste, et à laquelle chacun, suivant ce qu'il pense 
sur certains sujets, peut attacher la valeur qu'il lui 
plaira. Si nous n*admettons pas la nécessitation 
rigoureuse de tout ce qui arrive, en vertu d'une 
causalité qui enchaîne tous les événements sans 
exceptiop, et si nous laissons se produire en une 
infinité d'eniroits de cette chaîne des solutions de 
continuité, par l'intervention d'une liberté abso- 
lue ; alors toute prévision de l'avenir, soit dans le 
rêve, soit dans le somnambulisme clairvoyant, soit 
dans la seconde vue, devient, même objective» 
mentj tout à fait impossible, et par conséquent 
inconcevable ; parce qu'il n'existe plus aucun ave- 
nir vraiment objectif, qui puisse être possiblement 
prévu ; tandis que maintenant nous n'en mettons 
en doute que les conditions subjectives, c'est-à- 
dire la possibilité subjective seulement. Et ce 
doute lui-même ne peut plus subsister aujourd'hui 
chez les personnes bien renseignées \ après que 

singulièrement à celle de Kant^ et de Schopenhauer lui- 
même, sur le choix extemporel. 

1. Une aussi étrange affirmation doit surprendre au 
premier abord dans la bouche d'un penseur comme Scho- 
penhauer : elle est cependant^ à y regarder de près, en 
parfaite harmonie avec sa philosophie athée, ou plutôt elle 



LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 125 

d*innombrables témoignages, issus de sources di- 
gnes de foi, ont établi l'exactitude (la possibilité) 
de cette anticipation de l'avenir. 

J'ajoute encore quelques considérations, comme 
corollaires à la doctrine ci-dessus établie, relative- 
ment à la nécessité de tous les événements. 

Que deviendrait le monde, si la nécessité n'était 



en est une conséquence. A Rome, quand on ne crut plus à 
Jupiter, on crut à Apollonius de Tyane : Schopenhauer, qui 
ne croit pas en Dieu, croit aux devins et aux somnam- 
bules. — Un peintre distingué, M. Lunteschutz, qui fut 
pendant de longues années un des amis les plus intimes 
de Schopenhauer, dont il nous a conservé un très-beau 
portrait à l'huile (aujourd'hui à Francfort, dans un salon 
de VHôtel d'Angleterre), me communique à ce sujet les 
renseignements suivants : « Dans le commerce familier, 
Schopenhauer parlait souvent de rêves, de somnambu- 
lisme, de magnétisme, et il ne cachait point sa crédulité 
à cet égard. Il m'a raconté aussi beaucoup d'histoires de 
revenants, dont il ne semblait pas mettre en doute l'au- 
thenticité, car il les racontait avec la plus grande émo- 
tion .. Je n'ai pas connaissance qu'il ait jamais consulté 
lui-même des somnambules... Pour ce qui est des pro- 
phéties, il n'y croyait pas moins fermement qu'à l'appari- 
tion des esprits. Je me souviens qu'un jour il me faisait 
remarquer que cette croyance à la divination se retrouve 
dans les traditions religieuses de tous les peuples et dans 
les œuvres de leurs grands poètes. » Ces défaillances du 
caractère trahissent les défauts de la doctrine. Combien 
il serait à désirer que tous ceux qui ont vu de près Scho- 
penhauer rassemblassent avec soin , comme Ta fait 
M. Lindner, tous les souvenirs qu'ont laissés en eux ses 
interminables conversations! La philosophie de Schopen- 
hauer ne sera bien jugée que lorsque le philosophe lui- 
même sera complètement connu j avec ce mélange de 
grandes qualités , de bizarreries et de faiblesses, qui font 
de lui une des figures les plus originales du siècle. 



426 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

point le fil conducteur qui passe pour ainsi dire à 
travers toutes choses * et qui les unit, si surtout 
elle ne présidait pas à la production des individus? 
Une monstruosité, un amas de décombres, une 
grimace (sic) dénuée de signification et de sens, — 
un produit du hasard véritable et proprement dit. 
Souhaiter que quelque événement n'arrive point, 
c'est s'infliger follement un tourment gratuit : car 
cela revient à souhaiter quelque chose d'absolu- 
ment impossible, et n'est pas moins déraisonnable 
que de souhaiter que le soleil se lève à l'Ouest. En 
effet, puisque tout événement, grand ou petit, est 
absolument nécessaire, il est parfaitement oiseux 
de méditer sur l'exiguïté ou la contingence des 
causes qui ont amené tel ou tel changement, et de 
penser combien il eût été aisé qu'il en fût diffé- 
remment : tout cela est illusoire, car ces causes 
sont entrées en jeu et ont opéré en vertu d'une 
puissance aussi absolue que celle par laquelle le 
soleil se lève à l'Orient. Nous devons bien plutôt 
considérer les événements qui se déroulent devant 
nous du même œil que les caractères imprimés sur 
les pages d'un livre que nous lisons, en sachant 
bien qu'ils s'y trouvaient déjà, avant que nous les 
lussions *• 



1. J'ai tenu à conserver Timage du texte, qui est fort belle. 

2. La comparaison ne manque pas de profondeur, mais 
Schopenhauer est bien près du fatalisme* 



CHAPITRE IV 



MES PRÉDÉCESSEURS. 



A l'appui de raffirmation formulée par moi plus 
haut au sujet de l'opinion de tous les profonds pen- 
seurs touchant notre problème, je veux rappeler 
au souvenir du lecteur des citations tirées des 
écrits de quelques grands hommes, qui se sont 
prononcés dans le même sens que nous. 

Tout d'abord , pour tranquilliser ceux qui peu- 
vent peut-être croire que des motifs religieux 
soient opposés à la vérité que je soutiens, je rap- 
pellerai que déjà Jérémie (10, 23) a dit : « Sei- 
gneur, je sais que la voie de l'homme n'est point à 
lui, et qu'il n'appartient pas à l'homme de marcher 
et de diriger lui-même ses pas i. » Mais je m'en 
réfère surtout à Luther, qui, dans un livre consacré 

1. Traduction de M. de Genoudo. 



128 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

spécialement à cette question (le De Servo Arbi- 
trio)*^ combat avec toute sa violence la doctrine 
du libre arbitre. Quelques passages de ce livre suf- 
fisent pour caractériser son opinion, à Tappui de 
laquelle il invoque naturellement des raisons théo- 
logiques et non philosophiques. Je les cite d'après 
l'édition de Séb. Schmidt, Strasbourg, 4707. — 
Page 145 : « C'est pourquoi il est écrit dans tous les 
«œurs que le libre arbitre n'existe point : bien que 
cette vérité soit obscurcie par tant d'argumenta- 
tions contradictoires , et Fautorité de tant de 
grands hommes. — Page 244 : Je veux avertir ici 
les partisans du libre arbitre, pour qu'ils se le 
tiennent pour dit, qu'en affirmant le libre arbitre , 
ils nient le Christ. — Page 220 : Contre le libre 
arbitre militent tous les témoignages de TÉcriture 

1. Le De Servo Arbitno, auquel Érasme de Rotterdam 
répondit par un ouvrage plein de verve {,De Libero Arhi" 
trio) a été publié pour la première fois à Wittemberg, 
1545-1559. Il n'a jamais été traduit en français. Nous pen- 
sons que nos lecteurs nous sauront gré de leur donner 
un échantillon de la langue si vigoureuse, quoique sou- 
vent barbare, du Réformateur i Quare simul in omnium 
cordibus scriptum invenitur^ liberum arbitrium nihil esse, 
licet obscuretur tôt disputationibus contrariis et tantâ tôt 
virorum auctoritate, — Hoc loco admonitos velim liberi 
nrbitrii tutores, ut sciant, sese esse abnegatores Christi, 
dum asaerunt liberum arbitrium, — Contra liberum arbi* 
trium pugnabant scripturœ testimonia, quotquot de Christo 
loquuntur, At ea sunt innumerabilia, immo tota scriptura. 
Ideo, si scriptura judice causam agimus, omnibus modis 
vicero, ut ne iota unum aut apex sit reliquus, qui non 
damnet dogma liberi arbitrii. 



MES PRÉDÉCESSEURS 12^ 

qui prédisent la venue du Christ. Mais ces témoi- 
gnages sont innombrables; bien plus, ils sont 
rÉcriture tout entière. Aussi, si l'Écriture doit 
être juge de ce différend, notre victoire sera &i 
complète qu'il ne restera même plus à nos adver- 
saires une seule lettre, un seul iota qui ne con- 
damne la croyance au libre arbitre. » 

Passons maintenant aux philosophes. Les an- 
ciens ne sont pas à consulter sérieusement sur 
cette question, parce que leur philosophie, pour 
ainsi dire encore à l'état d'innocence (d'enfance), 
ne s'était pas fait une idée adéquate des deux pro- 
blèmes les plus profonds et les plus graves de la 
philosophie moderne, à savoir celui du libre ar-^ 
bitre et celui de la réalité du monde extérieur, ou 
du rapport de Tidéal et du réel. Quant au degro 
de clarté et de compréhension auquel ils avaient 
amené la question du libre arbitre, c'est ce dont 
on peut se rendre compte d'une façon satisfai- 
sante par YÉthique à Nicomaque d'Aristoto 
(III, c. 1-8) ; on reconnaîtra que son jugement à ce 
sujet ne concerne essentiellement que la liberté 
physique et intellectuelle, et c'est pourquoi il ne 
parle jamais que de réxoucrtov (volontaire) et de 
ràxouatov (involontaire), confondant les actes i;o- 
lontaires avec les actes libres. Le problème beau- 
coup plus difficile de la Liberté morale ne s'est 
pas encore présenté à lui, quoique par moments sa 



130 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

pensée s'étende jusque-là, surtout dans un pas- 
sage de VÉthique à Nicomaque (II, 2, et III, 7) ; 
mais il commet l'erreur de déduire le caractère 
des actions, au lieu de suivre la marche inverse. 
De môme il critique très à tort l'opinion de Socrate 
citée plus haut (p. 109) : mais en d'autres endroits il 
se l'est appropriée, par exemple lorsqu'il dit (Ét/ii- 
que à Nicomaque^ X, 10) : a Quant à la disposi- 
tion naturelle, elle ne dépend évidemment pas de 
nous ; c'est par une sorte d'influence toute divine 
qu'elle se rencontre dans certains hommes, qui 
ont vraiment , on peut dire , une chance heu- 
reuse. » {Tr, de Barthélémy Saint-Hilaire.) Plus 
loin : La première condition, c'est que le cœur 
soit naturellement porté à la vertu, aimant le beau 
et détestant le laid (Id.) — ce qui s'accorde avec 
le passage cité plus haut, ainsi qu'avec celui-ci de 
VEthica magna (1, 10) : a Pour être le plus ver- 
tueux des hommes, il ne suffira pas de vouloir, si 
la nature ne nous y aide pas ; mais néanmoins on 
sera beaucoup meilleur, par suite de cette noble 
résolution. » Aristote traite la question du libre ar- 
bitre au môme point de vue dans VEthica magna 
(1, 9 18) et dans VEthica Eudemia (II, 6-10), où 
il s'approche encore un peu plus de la véritable 
donnée du problème : mais là aussi il reste hési- 
tant et superficiel. Sa méthode constante est de ne 
pas aborder les problèmes directement, par voie 



MES PRÉDÉCESSEURS 131 

d'analyse, mais de procéder synlhétiquement, de 
tirer des conséquences d*indices extérieurs; au 
lieu de pénétrer dans la question, pour atteindre 
le fond des choses, il s'en tient aux caractères 
extérieurs, voire même aux mots. Cette méthode 
égare facilement, et dans les problèmes plus com- 
plexes ne conduit jamais à la solution. Ici il s'ar- 
rête court devant la prétendue antithèse entre le 
nécessaire et le volontaire, dvayxatov xal Ixouaiov, 
comme devant un mur : or, ce n'est qu'en s'éle- 
vant au-dessus de cette contradiction apparente 
qu'on peut atteindre à un point de vue supérieur, 
d'où l'on reconnaît que le volontaire est néces' 
saire précisément en tant que volontaire^ à cause 
du motif qui détermine la volonté, sans lequel une 
volition est tout aussi peu possible que sans un 
sujet voulant; ce motif est d'ailleurs une cause, 
aussi bien que la cause mécanique, dont iJ ne se 
distingue que par des caractères secondaires. Aris- 
tote le reconnaît lui-môme (Eth. Eudem. II, 10) t 
€ Le cujus gratiâ (la cause finale) est elle-même 
une espèce de cause ^ » 

C'est pourquoi cette antinomie entre le volon- 
taire et le nécessaire n'est aucunement fondée ; 
bien qu aujourd'hui encore plusieurs prétendus phi- 

1. H yà^ 6t <v8xa ^cm râv «.irlàèê èvWv. Oa connaît la dis- 
tinction péripatéticienne entre les causes efflcientes 
finales, matérielles et formellest 



432 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

losophes en soient encore là-dessus au même point 
qu*Aristote. 

Gicéron expose assez clairement la question du 
libre arbitre, dans le livre De Fato (c. 10 et c. 17). 
Le sujet de son ouvrage le conduit d'ailleurs très- 
facilement et très- naturellement à Texanaen de 
cette difficulté. Gicéron est personnellement par- 
tisan du libre arbitre ; mais nous voyons par lui 
que déjà Chrysippe et Diodore ont dû se faire du 
problème une idée assez exacte. — Il faut aussi 
signaler le 13« dialogue des morts de Lucien , 
entre Minos et Sostrate, dans lequel le libre arbitre 
et avec lui la responsabilité sont expressément 
niés 

Le 4« Livre des Machabées, dans la Bible des 
Septante (il manque dans la Bible de Luther), est 
lui-même en quelque façon une dissertation sur le 
libre arbitre, en tant qu'il y est prouvé que la 
raison (XoYtTfxoç) possède la force de surmonter 
toutes les passions et toutes les affections, ce que 
l'auteur confirme par Texemple des martyrs juifs 
dans le second livre. 

La plus ancienne expression précise à moi connue 
de notre problème se trouve dans Clément d'A- 
lexandrie S qui dit [Strom, 1, § 17) : « Ni les 

1. G*e8t dans cet auteur également que Schopenhauer 
avait trouvé la première expression de la vérité sur la- 
quelle il insiste tant, la subordination de l'intelligence âk 



MES PRÉDÉCESSEURS ISÎ" 

éloges, ni les honneui^, ni les supplices ne sont 
fondés en justice, si l'âme n'a pas la libre puis- 
sance de désirer et de s'abstenir, et si le vice est 
involontaire. » Puis, après une phrase relative à 
une idée exprimée plus haut, il ajoute : a afin 
qu'autant que possible Dieu ne soit pas la cause 
des vices des hommes, d Cette conclusion haute- 
ment remarquable montre dans quelles intentions 
l'église s'empara aussitôt du problème, et quelle so- 
lution elle adoptait d'avance comme conforme à ses 
intérêts. — Presque deux cents ans plus tard nous 
trouvons la doctrine du libre arbitre exposée avea 
détail par Némésius, dans son ouvrage de Naturâ 
hominis (chap. 35, ad finerriy et chap. 39-41). Le- 
libre arbitre y est identifié sans plus ample discus- 
sion avec l'acte volontaire, ou le choix, et, en con- 
séquence, exposé et défendu avec ardeur. Malgré 
cela, il y a déjà dans ce livre un pressentiment de 
la véritabte question. 

Mais le premier qui ait fait preuve d'une con- 
naissance parfaitement adéquate de notre pro- 
blème avec tout ce qui s'y rattache est le Père de 
l'Eglise Saint- Augustin, qui, par cette raison, quoi- 
qu'il soit bien plutôt un théologien qu'un philo- 
sophe, mérite d'être pris en considération. Toute- 
la volonté : « al y y/9 Arfyc;<ac SuvxfMtç toO j99ÛAs»ôat St»x6vot »«• 

fvxMi, » (Les facultés rationp^JhBs sont, de leur nature» 
soumises à la volonté). — V. Kibot, p. 73. 

8 



134 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

fois nous le voyons aussitôt plongé dans un em- 
barras remarquable, et livré en proie à une hési- 
tation et à un doute qui le conduisent jusqu'à des 
inconséquences et à des contradictions, dans ses 
trois livres de libero arbitrio. Il ne veut pas, en 
effet, à l'exemple de Pelage, accorder à Thomme le 
libre arbitre, de crainte que le péché originel, 
la nécessité de la rédemption, et la libre élection 
à la grâce ne se trouvent ainsi supprimés, et qu'en 
môme temps l'homme puisse par ses propres forces 
devenir juste et mériter le salut. Il donne même 
à entendre {Argumentum inlibros de lib. arb. ex 
Lib. I, c. 9, Retractationum desumtum) que sur 
ce point de doctrine (pour lequel Luther combattit 
si vivement plus tard) , il en aurait dit encore 
davantage, si son livre n'avait pas été écrit avant 
l'hérésie de Pelage , contre laquelle il rédigea 
immédiatement son ouvrage De la nature et de la 
grâce. Il dit d'ailleurs (de lib, arb. III, 18) : « Si 
rhomme, étant autrement, serait bon, et qu'étant 
comme il est maintenant, il ne le soit pas, et qu'il 
se trouve dans l'impuissance de l'être, soit en ne 
voyant pas comment il devrait être, soit en le 
voyant sans le pouvoir devenir, [qui peut douter 
qu'un tel état ne soit pas une peine et un châti- 
ment ^ ?] » Plus loin : « On ne doit point s'étonner 

1. Traduct. Fr. de Villafore, Paris, 1701. {La seule exis- 



MES PRÉDÉCESSEURS 135 

que l'ignorance Tempôche d'avoir une volonté 
libre pour choisir le bien, ni que par la résistance 
habituelle de la chair, dont les forces et les révol- 
tes se sont en quelque façon naturellement accrues 
par la succession des temps, et des hommes sujets 
à la mort S il voie ce qu'il faudrait faire, et qu'il le 
veuille sans le pouvoir accomplir. :s> Et dans l'ar- 
gument précité : c Si donc la volonté même n'est 
délivrée par le secours de Dieu de la servitude qui 
la fait devenir esclave du péché, et si elle n'est 
aidée pour vaincre les vices, les hommes mortels 
ne peuvent vivre ni avec justice ni avec piété. » 
D'autre part cependant trois motifs le sollicitaient 
à défendre le libre arbitre : 

!• Son opposition envers les Manichéens, contre 
lesquels les trois Uvres sur le libre arbitre sont 
expressément dirigés, parce qu'ils niaient le libre ar- 
bitre et admettaient une autre source du mal moral 
et du mal physique. (Le principe du mal, Hylé). 
C'est à eux qu'il fait déjà allusion dans }e dernier 
chapitre du Uvre de anirnse quantitate ; a L'âme 
a reçu en don le libre arbitre, et ceux qui essaient 
de le lui contester par des raisons frivoles (nuga- 
toriis) sont tout à fait aveugles. » 

tante,) — Les mots entre crochets sont omis par Scho* 
penhauer, dont la citation tronquée est inintelligible. 

1. L'expression de Saint- Augustin est très-belle : 
« Violentia mortalis successionnis , » Cf. le mot célèbre 
du même Père : « Lex peccati est violentia consvtetudinis. » 



136 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

2"* L'illusion naturelle, dont nous avons dévoilé 
4'origine, et par l'effet de laquelle le témoignage de 
la conscience a je peux faire ce que je veux » est 
-considéré comme l'affirmation du libre arbitre, et 
le volontaire confondu avec le libre (V. De lib. 
-arb. 1, 12) : a Car qu'y-a-t-il de plus au pouvoir de 
la volonté que la volonté elle-même? » 

3*^ La nécessité de mettre en harmonie la respon- 
sabilité morale de l'homme avec la justice de Dieu. 
En effet, la pénétration d'esprit de St.-Augustin n'a 
pas laissée inaperçue une très -haute question, 
^i difficile à résoudre que tous les philosophes 
postérieurs , à ce que je sache , trois seulement 
exceptés (que nous allons pour cela même con- 
sidérer tout à l'heure de plus près), ont préféré 
tourner autour d'elle sans bruit, comme si elle 
n'existait pas. St.-Augustin, au contraire, avec une 
iioble franchise, l'énonce sans détour dès les pre- 
miers mots de son livre de libero arbitrio : t Dis- 
moi; je te prie. Dieu n'est-il pas l'auteur du mal?» 
Et bientôt, d'une façon plus explicite dans le second 
chapitre : « Puisque nous croyons que Dieu est le 
-principe de tous les êtres, et que néanmoins il 
n'est pas l'auteur du péché, notre esprit a quelque 
peine à comprendre comment il se peut faire que 
les péchés étant commis par les âmes, et ces âmes 
étant créées par Dieu, ces péchés ne lui soient pas 
immédiatement rapportés comme à leur principe. » 



MES PRÉDÉCESSEURS 137 

A cela, rinterlocuteur (Evode) répond : c Vous 
venez de dire précisément ce qui m*embârrasse 
quand j'approfondis cette matière. x> — Cette diffi- 
culté si sérieuse a été reprise de nouveau par 
Luther, et mise en lumière par lui avec toute la 
fougue de son éloquence (De servo arbitrioy p. 144): 
« Que Dieu, par sa propre liberté, doive nous im- 
poser à nous la nécessité, c'est ce que la raison 
naturelle elle-même nous force d'avouer. — Si Ton 
accorde à Dieu la prescience et la toute-puissance, 
il suit naturellement, par une conséquence irréfra- 
gable, que nous ne sommes pas créés par nous- 
mêmes, que nous ne vivons ni n'agissons en rien, 
si ce n*est par sa toute-puissance... La prescience 
et la toute-puissance divine sont dans une opposi- 
tion diamétrale avec notre libre arbitre... Tous les 
hommes sont forcés d'admettre, par une consé- 
quence inévitable, que nous n'existons pâs par 
notre volonté, mais par la nécessité; de même que 
nous n agissons point à notre gré, en vertu d'un 
libre arbitre qui serait en nous, mais que Dieu a 
tout prévu et qu'il nous mène par un conseil et 
une vertu infaillible et immuable, etc. » 

Au commencement du 17' siècle, nous rencon- 
trons Vanini, qui est tout à fait pénétré de la même 
opinion. Elle est le principe et l'âme de sa révolte 
continuelle contre le Théisme, bien que, par égard 
pour l'esprit de son époque, il ait dû la dissimuler 



138 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

avec le plus de ménagements possibles. A chaque 
occasion il y revient, et ne se lasse pas de l'exposer 
sous les aspects les plus divers. Par exemple, dans 
son Amphithéâtre de l'éternelle Providence ^ 
(exercice 16) il dit : c Si Dieu veut le mal il le fait, 
car il est écrit : Il a.fait tout ce quHl a voulu. S'il 
ne le veut pas, comme il n'en a pas moins lieu, il 
faut dire de Dieu, ou qu'il est imprévoyant ou im- 
puissant, ou cruel, puisqu'il ne sait ou qu'il ne peut 
pas réaliser sa volonté, ou qu'il néglige de le faire. 
Mais les philosophes repoussent cette doctrine 
sans difficulté, car ils disent que si Dieu ne voulait 
pas d'actions impies en ce monde, il lui suffirait 
assurément d'un seul mouvement de tête pour 
anéantir tout le mal jusqu'aux confins du monde. 
Qui de nous, en effet, pourrait résister à sa volonté? 
Gomment donc le mal se commet-il malgré lui, 
quand lui-même donne aux coupables les forces 
nécessaires? Et encore, si l'homme pêche malgré 
la volonté divine, Dieu sera donc inférieur à 
l'homme qui le combat et lui résiste ? De là, ils. con- 
cluent que le monde est tel que Dieu le désire, et 
qu'il serait meilleur, si Dieu le voulait meilleur. » 
— Et dans l'exercice 44 : « L'instrument agit 
toujours d'après la direction que lui donne son 
principal agent : or, puisque notre volonté dans 
ses actes n'est qu'un instrument, et que Dieu est l'a- 
gent principal, il suit que Dieu est responsable dea 



MES PRÉDÉCESSEURS 139 

erreurs de notre volonté Notre volonté relève 

entièrement de Dieu pour la substance; il faut tout 
rapporter à Dieu, qui a fait ainsi la volonté, et qui 
la met en mouvement. » Plus loin encore : « Puis- 
que l'essence et le mouvement de la volonté vienr 
nent de Dieu, il faut imputer à Dieu toutes les opé- 
rations de la volonté, bonnes ou mauvaises, puis- 
qu'elle n'est qu'un instrument dans ses mains ^ » 
Mais il faut, en lisant Vanini, avoir toujours 
présent à l'esprit qu'il se sert perpétuellement 
d'un artifice consistant à mettre dans la bouche 
d'un contradicteur, comme un sujet d'horreur et 
de dégoût contre lequel il s'insurge, ses véritables 
opinions, et à faire parler ce contradicteur de la 
façon la plus convaincante et la plus solide; par 
contre, à lui présenter, comme réfutation, des 
objections frivoles et des arguments boiteux; après 
quoi il fait semblant de conclure d'un air triom- 
phant, tanquam re benè gesta^ comptant sur la 
malignité et la pénétration du lecteur. Par cette 
ruse il a môme trompé la savante Sorbonne, qui, 
prenant toutes ses hardiesses pour de l'or en 
barres, apposa naïvement son permis d'imprimer 
sur des ouvrages athées. D'autant plus douce fut la 
joie de ces docteurs, lorsque, trois ans plus tard, 
ils le virent brûler vif, après qu'on lui eût préala- 

1. Tr, Fr. de Rou88elot, Paris, 1842. L'ouvrage original, 
écrit en latin, est presque introuvable. 



140 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

blement coupé cette langue qui avait blasphémé 
<îontre Dieu. On sait à la vérité que c'est là le seul 
argument puissant des théologiens, et depuis qu'on 
les en a privés, les choses marchent pour eux tout 
à fait à reculons ^ 

Parmi les philosophes dans le sens plus étroit 
ilu mot, Hume est, si je ne me trompe, le premier 
^ui n'ait pas essayé d*éluder la grave difficulté 
soulevée d'abord par saint- Augustin; au contraire 
•(sans toutefois penser ni à St.-Augustin , ni à 
Luther, encore moins à Vanini), il Texpose ouver- 
tement dans son Essai sur la liberté et la néceS' 
mté^ où il s'exprime ainsi (ad finem) : « Le dernier 
auteur de toutes nos volitions est le créateur du 
monde, qui le premier imprima le mouvement à 
-cette immense machine, et plaça tous les êtres 
dans cette position particulière d'où tout événement 
subséquent devait résulter par une nécessité inévi- 
table. Les actions humaines peuvent donc ou bien 
ne renfermer aucune malice, comme procédant 
<l'une cause si parfaite, ou si elles en renferment, 
elles doivent envelopper notre créateur dans le 
blâme qu'elles méritent, puisqu'on reconnaît qu'il 
en est la cause dernière et le véritable auteur. 
€ar de même qu'un homme, qui a mis le feu à une 



1. « La théologie et la philosophie sont comme les deux 
plateaux d'une balance. Plus Tune monte, plus l'autre 
descend. » (Memorabilien, cité par M. Ribot)« 



MES PRÉDÉCESSEURS 141 

tnine, est responsable de toutes les conséquences 
de cet acte, que la traînée de poudre soit longue 
ou courte, — de même partout où se trouve une 
chaîne continue de modifications nécessaires , 
TËtre, fini ou infini, qui a produit la première doit 
être également regardé comme Fauteur de toutes 
les autres. » Il fait un essai pour résoudre cette 
difficulté, mais il avoue en terminant qu'il la consi- 
dère comme insurmontable. 

Kant lui-même, indépendamment de ses prédé- 
cesseurs, se heurte à cette pierre de la difQculté, 
dans la Critique de la raison pratique, p. 180 et 
suivantes de la 4« édition, et p. 232 de Tédition 
Rosenkranz : c 11 semble nécessaire, aussitôt 
qu'on admet Dieu comme cause première univer- 
selle, d'accorder qu'il est la cause de l'existence 
de la substance même. Dès lors les actions de 
l'homme ont leur cause déterminante en quelque 
chose qui est tout à fait hors de son pouvoir, c'est-à- 
dire dans la causalité d'un être suprême distinct 
de lui, de qui dépend absolument son existence, 
et toutes les déterminations de sa causalité..... 
L'homme serait comme une marionnette ou 
comme un automate de Yaucanson, construit et 
mis en mouvement par le suprême ouvrier, que la 
conscience de lui-même en ferait sans doute un 
automate pensant; mais il serait la dupe d'une illu- 
sion, en prenant pour la liberté la spontanéité dont 



142 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

il aurait conscience, car celle-ci ne mériterait ce 
nom que relativement, puisque, si les causes pro- 
chaines qui le mettraient en mouvement, et toute 

la série des causes, en remontant à leurs causes 
déterminantes, étaient intérieures, la cause der- 
nière et suprême devait être placée dans une main 
étrangère *. » 

Il s'efforce de lever cette grave difficulté en 
faisant intervenir la distinction entre la chose en 
soi et le phénomène : mais il est si évident que 
cette distinction ne change rien au fond de la 
difficulté, que je suis convaincu qu'il ne l'a nul- 
lement prise lui-même pour une solution sé- 
rieuse. Lui-même d'ailleurs en confesse l'insufii- 
ran^e, p. 184, et il ajoute : c Mais je demande si 
toute autre explication que Ton a tentée ou que 
Ton pourra essayer dans la suite, est plus facile et 
plus aisée à comprendre? On dirait plutôt que les 
docteurs dogmatiques de la métaphysique ont 
cherché à prouver leur subtilité plus que leur sin- 
cérité, en éloignant autant que possible de nos 
yeux ce point difficile, dans l'espérance que s'ils 
n'en parlaient pas du tout, il se pourrait que per- 
sonne n'y songeât, d 

Après avoir ainsi rapproché les témoignages de 
penseurs si différents, qui pourtant disent tous la 

1. Page 292 de la traduction française de M. Barni (avec 
quelques ebangemenis). 



MES PRÉDÉCESSEURS 143 

même chose, je reviens à notre Père de l'Eglise. 
Les raisons par lesquelles saint Augustin espère 
écarter la difficulté dont il a déjà pressenti toute 
la gravité sont théologiques, non. philosophiques, 
et par conséquent n'ont pas une valeur absolue. 
L'appui de ces mêmes raisons est, comme je l'ai 
dit plus hautjle troisième motif pour lequel il cher- 
che à défendre la doctrine d'un libre arbitre ac- 
cordé par Dieu à l'homme. L'hypothèse d*une pa- 
reille liberté, s'interposant entre le créateur et les 
péchés de sa créature, serait véritablement suffi- 
sante pour résoudre toute la difficulté ; à la condi- 
tion toutefois que cette conception, si facile à af- 
firmer en paroles et satisfaisante peut-être pour 
une pensée qui ne va pas beaucoup plus loin que 
les mots, pût du moins, quand on la soumet à un 
examen plus sérieux et plus profond,rester intelligi- 
ble {pensable). Or comment peut-on se figurer qu'un 
être dont toute l'existence et toute l'essence sont 
l'ouvrage d'un autre puisse cependant se déter- 
miner lui-même dès Torigine et dans le principe, et 
par conséquent être responsable de ses actes? Le 
principe operari sequitur esse^ c'est-à-dire que 
les actions de chaque être sont des conséquences 
nécessaires de son essence, détruit cette supposi- 
tion, mais lui-même il est inébranlable. Si un 
homme agit perversement, cela résulte de ce qu'il 
est pervers. A ce principe se rattache encore le 



144 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

corollaire ergo undeessej inde operari^ (d'où vient 
l'essence, de là vient aussi l'action.) Que dirait- 
on de l'horloger qui s'irriterait contre sa montre 
parce qu'elle marche mal ? Quelque désir que l'on 
éprouve de faire de la volonté une tabula rasa, 
on ne pourra cependant pas s' empocher d'avouer, 
que si, de deux hommes, l'un suit par hasard une 
façon d'agir entièrement opposée à celle de l'autre, 
au point de vue moral, cette différence, qui doit 
évidemment provenir de quelque chose., a sa rai- 
son d'être soit dans les circonstances extérieures, 
(auquel cas il est évident que la faute n'est pas 
imputable à l'homme), soit dans une différence 
originelle entre leurs volontés mêmes, et alors le 
mérite ou le démérite ne saurait leur être attribué, 
si tout leur être et toute leur substance sont l'œu- 
vre d'autrui. Après que les grands hommes dont 
nous avons invoqué le témoignage se sont vaine- 
ment efforcés de sortir de ce labyrinthe par quelque 
issue, j'avoue volontiers à mon tour que penser à la 
responsabilité morale de la volonté humaine sans 
admettre en principe Yaséité de Thomme, est une 
chose qui dépasse ma puissance de conception. 
C*est sans doute le sentiment de la même impossi- 
bilité qui a dicté à Spinoza les définitions 7 et 8 
par lesquels débute son Éthique : » Une chose est 
libre quand elle existe par la seule nécessité de sa 
nature et n'est déterminée à agir que par soi- 



MES PRÉDÉCESSEURS 145 

même; une chose est nécessaire ou plutôt con- 
trainte quand elle est déterminée par une autre 
chose à exister et à agir suivant une certaine loi 
déterminée. » {Traduction d'Emile SaisseL) 

Si en effet une mauvaise action provient de la 
nature, c'est-à-dire de la constitution innée de 
l'homme, la faute en est évidemment à Fauteur de 
cette nature. C'est pour échapper à cette consé- 
quence qu'on a inventé le libre arbitre. Mais en 
admettant celui-ci il n'est absolument pas possible 
de concevoir d*oti une mauvaise action puisse 
provenir; parce qu'au fond il n'est qu'une qualité 
négative, et implique seulement que rien n'oblige 
ou n'empêche l'homme d'agir de telle ou telle 
façon. Mais alors il faut renoncer absolument à 
expliquer quelle est la source dernière d'où découle 
l'action, puisqu'on ne veut pas la faire dériver de 
la nature innée ni de la nature acquise de l'homme , 
ce qui ferait retomber la faute sur son créateur ; 
ni des circonstances extérieures seules, car alors 
on pourrait l'attribuer au hasard , l'homme res- 
tant innocent dans le^deux hypothèses, — tandis 
qu'on le rend pourtant responsable. L'image natu- 
relle dune volonté libre est une balance non 
chargée; elle se tient immobile, et ne sortira 
jamais de son état d'équilibre à moins qu'on ne 
place quelque objet dans un de ses plateaux. 
Comme la balance est incapable de se mettre 

8CU0P£NHAU£R. 9 



146 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

d*elle-même en mouvement, de même la libre vo- 
lonté ne peut pas tirer de son propre fonds la 
moindre action; et cela, en vertu du principe que 
rien ne se fait de rien. La balance doit-elle s*in- 
cliner d'un côté? il faut qu'un corps étranger soit 
placé sur un des plateaux, et c'est ce corps qui 
sera ensuite la cause du mouvement. Pareillement 
toute action humaine doit être produite par quelque 
orce, qui agisse d'une façon positive, et soit 
quelque chose de plus que cette qualité toute né- 
gative de la liberté. Mais ceci ne peut s'expliquer 
que de deux manières : ou bien les motifs, c'est-à- 
dire les circonstances extérieures, produisent l'ac- 
tion par eux-mêmes : et alors il est évident que 
l'homme n'est pas responsable (il faudrait aussi, 
dans cette hypothèse, que tous les hommes agis- 
sent exactement de même dans les mêmes circons* 
tances) ; ou bien Taction provient de la réceptivité 
(accessibilité) de l'homme pour tels ou tels motifs, 
c'est-à-dire du caractère inné, des tendances ori- 
ginellement existantes, qui peuvent différer d'in- 
dividu à individu, et d'après lesquelles les motifs 
exercent leur action. Mais alors l'hypothèse du 
libre arbitre disparaît, parce que ces tendances re- 
présentent précisément le poids placé sur le pla- 
teau de la balance. La responsabilité de nos fautes 
retombe sur celui qui a mis en nous ces pen- 
chants, c'est-à-dire sur celui dont l'homme, avec 



M£S PRÉDÉCESSEURS 147 

les instincts primitifs de sa nature, est Touvrage. 
Donc la condition indispensable de la responsabi- 
lité morale de l'homme est son aséité^ c'est-à-dire, 
qu'il soit lui-même son propre ouvrage \ 

Toutes les considérations exposées précédem- 
ment sur cette épineuse question font concevoir 
quelles immenses conséquences sont attachées à la 
croyance au libre arbitre, qui creuse un abîme 
sans fond entre le créateur et les péchés de sa 
créature. Aussi n'est-il pas surprenant que les théo- 
logif^ns adhèrent si obstinément à cette doctrine, 
et qvie leurs humbles serviteurs et défenseurs 2, 
les professeurs de philosophie , les appuient avec 
tant d'ardeur et un si profond sentiment de leurs 
devoirs envers eux, que, sourds et aveugles en 
présence des dénégations les plus concluantes des 
grands penseurs, ils soutiennent le libre arbitre et 
combattent pour lui, comme pro aris et focis. 

Mais pour terminer enûn mon examen de l'opi- 
nion de saint Augustin, je dirai qu'elle peut se ré- 
duire à ceci, que Thomme n'a eu un libre arbi- 
tre absolu qu'avant sa chute, mais que depuis, 
devenu la proie du péché, il n'a plus à espérer son 
salut que de la prédestination et de la rédemption, 
— ce qui s'appelle parler en vrai Père de l'EgUse. 

1. V. la note de la page 32. 

2. Schildknapp, écuyer qui portait le bouclier du cbe* 
valier. 



i48 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

Cependant, grâce à saint Augustin et à la dispute 
entre les Manichéens et les Pélasgiens, la philoso- 
phie est enfin parvenue à se faire une idée nette 
et exacte de notre problème. Dès lors, les tra- 
vaux de la scholastique lui donnèrent de jour en 
jour plus de précision : le sophisme de Boridan 
et le passage cité du Dante en sont des témoi- 
gnages. — Mais le premier qui toucha au cœur 
même de la question est, à ce qu*il me semble, 
Thomas Hobbes, qui publia en 1656 un ouvrage 
spécial sur ce sujet, intitulé : Quœstiones de liber- 
iate et necessitate, contrk Doctorem BranhaU 
lum : ce livre est rare aujourd'hui. Il se trouve 
transcrit en anglais dans les Œuvres morales et 
politiques de Th. Hobbes (i vol. m-folio, Lon- 
dres, 1750, p. 469, et sq). J'en extrais le passage 
capital que Ton va lire (p. 483) : 

a (6) Rien ne tire son origine de soi-même, mais 
de l'action de quelque autre agent immédiat. Donc, 
lorsque pour la première fois l'appétit ou la vo- 
lonté * d'un homme se porte vers quelque chose, 
pour laquelle il n'éprouvait précédemment ni ap- 
pétit ni volonté ; la cause de ce mouvement de la 
volonté n'est pas la volonté même, mais quelque 
autre chose qui n'est pas en sa puissance. Donc, 
puisqu'il est hors de doute que la volonté est la 

1. Lisez le désir. La contusion du désir et de la volonté 
est perpétueUe chez Hobbes. 



MES PRÉDÉCESSEURS 449 

cause nécessitante des actes volontaires, et que 
d'après ce que je viens de dire la volonté est né- 
cessairement causée par d'autres choses indépen- 
dantes d'elle ; il s'ensuit que tous les actes volon- 
taires ont des causes nécessaires, et par suite sont 
nécessités. 

(7) Je considère comme une cause suffisante 
celle à qui il ne manque rien qui soit nécessaire 
à la production de Veffet. Une telle cause est 
aussi une cause nécessaire : car, s'il était possible 
qu'une cause suffisante ne produisît pas Teffet, alors 
il lui manquerait quelque chose de ce qu'il faut 
pour le produire ; en ce cas elle ne serait donc pas 
suffisante. Mais s'il est impossible qu'une cause 
suffisante ne produise pas son effet, alors une 
cause suffisante est aussi une cause nécessaire. 
D'où il est manifeste que tout ce qui est produit, 
est produit nécessairement. Car toute chose qui 
est produite a eu une cause suffisante^ sans quoi 
elle n'aurait pas été produite : et c'est pourquoi 
aussi les actions volontaires sont nécessitéeSé 

(8) La définition ordinaire d'un agent libre ^ 
implique une contradiction, et n'a pas de sens 
(is nonsense) ; car c'est comme si l'on disait qu'une 



1. « Un agent libre est celui qui, toutes les causes 
étant réunies qui sont nécessaires pour lui faire produire 
un certain effet, peut néanmoins ne pas le produire. ^^ 
(Hobbes). 



^^>^ ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

cause peut être suffisante, c'est-à-dire nécessi- 
tante, et cependant que Teffét ne suivra pas. 

P. 485. — a Tout événement, quelque contingent 
qu'il puisse sembler ou quelque volontaire qu'il 
puisse être, est produit nécessairement «. » 

Dans son fameux livre de Civé, c. 1, § 7, il dit : 
« Tout homme est porté à rechercher ce qui lui est 
utile, et & fuir ce qui lui est nuisible, mais sur- 
tout le plus grand des maux naturels, la mort; et 
cela par une nécessité naturelle non moins ligon- 
reuse que celle qui entraîne la pierre dans sa 
chute. » 

Aussitôt après Hobbes nous voyons Spinoza, qui 
est imbu de la même conviction. Pour caractériser 
son opinion à ce sujet, quelques citations seront 
suffisantes : 

Efh., Parsi, propos. 32. La volonté ne peut être 
appelée cause libre, mais seulement cause néces- 
saire. — Corel. IL Car la volonté, comme toute 

1. Le point de vue auquel s'est placé Hobbes n'est 
certainement pas très- élevé : mais il n'est pas juste de 
dire qu'il ait confondu la liberté morale avec la liberté 
physique. Le passage que nous venons de traduire 
suffirait pour montrer l'inexactitude de ces paroles de 
Jouffroy: « La première manière denier la liberté humaine 
est celle qui déplace cette liberté, et la met où elle n'est 
pas. C'est là ce que Hobbes a fait. Hobbes s'est arrêté à 
cette conception vulgaire du mot liberté que nous adoptons 
tous quand nous disons qu'un homme qui était enchaîné et 
qui maintenant ne l'est plus, a recouvré sa liberté^ etc. » 
iCoura de Droit naturel, v. 1, p. 27.) 



MES PRÉDÉCESSEURS 151 

chose, demande une cause qui la détermine à exis- 
ter et à agir d'une manière donnée. 

Ibid.y Pars II, dernier scholie. Quant à la qua- 
trième objection (le sophisme de Buridan), j'ai à 
dire que j'accorde parfaitement qu'un homme, 
placé dans cet équilibre absolu qu'on suppose 
(c'est-à-dire qui, n'ayant d'autre appétit que la 
faim et la soif, ne perçoit que deux objets, la nour- 
riture et la boisson, également éloignés de lui) ; 
j'accorde, dis-je, que cet homme périrait de faim 
et de soif. 

Ibid., P. III, propos. 2, Scholie. Les décisions de 
l'âme naissent en elle avec la même nécessité que 
les idées des choses qui existent actuellement. Et 
tout ce que je puis dire à ceux qui croient qu'ils 
peuvent parler , se taire , en un mot agir en vertu 
d'une libre décision de l'âme, c'est qu'ils rêvent 
les yeux ouverts. 

Lettre 62. Toute chose est déterminée néces- 
sairement par une cause extérieure, à exister et 
à agir suivant une certaine loi. Exemple : Une 
pierre soumise à Timpulsion d'une cause extérieure 
en reçoit une certaine quantité de mouvement 
en vertu de laquelle elle continue de se mou- 
voir, même quand la cause motrice a cessé d'agir. 
Concevez maintenant que cette pierre, tandis 
qu'elle continue de se mouvoir, soit capable de 
penser, et de savoir qu'elle s'efforce, autant qu'elle 



152 . ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

peut, de continuer de se mouvoir. 11 est clair 
qu'ayant ainsi conscience de son effort, et n'étant 
nullement indifférente entre le repos et le mou- 
vement, elle se croira parfaitement libre et sera 
convaincue qu'il n'y a pas d'autre cause que sa vo- 
lonté propre qui la fasse persévérer dans le mou- 
vement. Voilà cette liberté humaine dont tous les 
hommes sont si fiers. Au fond, elle consiste en ce 
qu'ils connaissent leurs appétits par la conscience, 
mais ignorent les causes extérieures qui les dé- 
terminent J'ai suffisamment expliqué par 

là mon sentiment touchant la nécessité libre et la 
nécessité de contrainte, ainsi que la prétendue li- 
berté des hommes * . » 

Une circonstance à noter est que Spinoza n'est 
arrivé à cette opinion que dans les dernières an- 
nées de sa vie, c'est-à-dire après avoir passé la 
quarantaine (1672), tandis que plus tôt, en l'année 
1665, comme il était cartésien, il avait soutenu avec 
décision et vivacité la doctrine opposée, dans ses 
Cogitatis metaphysiciSy c. 12, et avait môme dit, 
à propos du sophisme de Buridan, et en contradic- 
tion directe avec le dernier scholie de la seconde 
partie, que je viens de citer : a Si nous supposons 
un homme à la place de Tâne dans une telle posi- 
tion d'équilibre, cet homme devra être considéré 

1. Traduction d'Emile Saisset, sauf quelques change- 
monts. 



MES PRÉDÉGESSEIT.S 153 

non comme une chose pensante, mais comme le 
plus vil des ânes, s'il meurt de faim et de soif. » — 
J'aurai dans la suite à enregistrer le même revire- 
ment d'opinion de la part de deux grands hommes, 
preuve nouvelle que ce problème, pour être bien 
compris, exige des efforts sérieux et une grande 
pénétration. 

Hume, dans son Essai sur la liberté et la né" 
cessitéf dont j'ai cité plus haut quelques lignes, 
s'exprime avec la conviction la plus lumineuse de 
la nécessité des volitions individuelles, les motifs 
étant donnés, et il Texpose de la façon la plus nette 
et avec cette largeur de vues qui lui est particu- 
lière, c Ainsi il apparaît, dit-il, que la connexion 
entre les motifs et les actes volontaires est aussi 
régulière et aussi uniforme que la connexion 
entre les motifs et l'effet dans toute autre partie 
de la nature. » Et plus loin : a 11 semble presque 
impossible, par conséquent, de s'engager dans 
aucune science ni dans des actions d'aucune sorte, 
sans reconnaître expressément la doctrine de la 
nécessité, et cette liaison intime entre les motifs 
et les actes volontaires, entre le caractère et la 
conduite de chacun. » 

Mais aucun écrivain n'a exposé la nécessité des 

volitions d'une manière aussi complète et aussi 

convaincante que Priestley, dans l'ouvrage qu'il a 

exclusivement consacré à ce sujet : La doctrine 

9. 



454 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

de la nécessité philosophique. Celui que ne per- 
suade pas ce livre, écrit dans un style clair et in- 
telligible, doit avoir l'esprit véritablement paralysé 
par les préjugés. Pour en résumer les conclusions, 
j'ajouterai ici quelques extraits, que je cite d'après 
la seconde édition, Birmingham, 1782 : 

Préface, P. XX. Il n'y a pas d'absurdité plus 
évidente pour mon intelligence que la notion de la 
liberté philosophique. — P. 26. Sans un miracle, 
ou l'intervention de quelque cause étrangère, nulle 
volition ni action d'aucun homme n'aurait pu être 
autrement qu'elle n'a été. — P. 37. Quoiqu'une 
inclination ou une affection quelconque de l'esprit 
soit une force qui diffère de la pesanteur, elle 
m'influence et agit sur moi avec autant de nécessité 
et de certitude que cette dernière force agit sur une 
pierre. — P. 43. Dire que la volonté se détermine 
elle-même, ne représente absolument aucune idée, 
ou plutôt imphque une absurdité, à savoir qu'une 
détermination^ qui est un effet, puisse se produire 
sans aucune espèce de cause. Car en dehors de 
toutes les choses qui tombent sous l'appellation 
commune de motifs^ il ne reste vraiment rien du 
tout, qui puisse produire la détermination. Qu'un 
homme se serve de tous les mots qu'il voudra, il 
ne peut pas mieux concevoir comment nous pou- 
vous parfois être déterminés par des motifs et par- 
fois sans motifs, qu'il ne peut se figurer une ba- 



MES PRÉDÉCESSEURS 155 

lance que tantôt des poids forcent à s'incliner, et qui 
tantôt s'incline par l'effet d'une espèce de subs- 
tance qui n'a aucune espèce de poids, et qui, par 
suite, quelle qu'elle puisse être en elle-même^ n'est 
absolument rien par rapport à la balance. — P. 66. 
Dans la vraie langue philosophique, le motif devrait 
être appelé la cause propre de l'action. 11 l'est 
tout autant qu'aucune autre chose dans la nature est 
la cause d'un phénomène quelconque. — P. 84. Il 
ne sera jamais en notre pouvoir de choisir entre 
deux résolutions, quand toutes les circonstance» 
antérieures seront identiques. — P. 90. Un homme, 
il est vrai, lorsqu'il se reproche à lui-même quel- 
que action particulière dans sa conduite passée, 
peut s'imaginer que, s'Use retrouvait dans le même 
cas, il agirait d'une façon différente. Mais c'est là 
une illusion pure; et s'il s'examine lui-même 
strictement en tenant compte de toutes les circons- 
tances, il peut se convaincre qu'avec la même dis- 
position d'esprit, avec précisément la même vue des 
choses qu'il avait alors (abstraction faite de toute 
autre lumière que la réflexion peut lui avoir fournie 
depuis), il n'aurait pas pu agir autrement qu'il ne 
l'a fait. — P. 287. Bref, il n'y a ici possibilité de 
choisir qu'entre la doctrine de la nécessité ou l'ab- 
surdité la plus complète {absolute nonsense). » 

Or il faut remarquer qu'il en a été de Priestley 
exactement comme de Spinoza, comme encore 



156 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

d*an autre très-grand homme dont je parierai tout 
à Thenre. Priestley dit en effet dans la préface de la 
première édition, p. XXVII : « Toatefois, je ne me 
convertis pas aisément à la doctrine de la nécessité. 
Ck)mme le docteur Hartley lui-même, je renonçai 
à ma liberté avec bien de la peine, et dans une 
longue correspondance, que j'entretins jadis sur 
ce sujet, j'ai soutenu avec opiniâtreté la doctrine 
de la liberté, sans céder le moindrement aux ar- 
guments que Ton m'objectait alors, i 

Le troisième grand homme qui passa par les 
mêmes alternatives est Voltaire ; il nous l'apprend 
lui-même avec cette grâce et cette naïveté qui n'ap- 
partiennent qu'à lui. Dans son Traité de Métaphy- 
sique (chap. 7), il avait défendu longuement et avec 
vivacité la vieille doctrine du libre arbitre. Mais 
dans un ouvrage écrit plus de quarante ans après. 
Le Philosophe ignorant, il proclame la nécessité 
rigoureuse des volitions, au chapitre XIII, qu'il 
termine ainsi : c Archimède est également né- 
cessité de rester dans sa chambre, quand on l'y 
enferme, et quand il est si fortement occupé d'un 
problème qu'il ne reçoit pas Tidée d'en sortir : 

Ducunt volentem fata, nolentem trahunt (Sénègiie). 

Uignorant qui pense ainsi n'a pas toujours 
pensé de mêmey mais il est enfin contraint de se 
rendre. » Dans le livre suivant : Le principe d'ac- 



MES PRÉDÉCESSEURS 157 

tioriy il dit (chap. 13) : « Une boule qui en pousse 
une autre, un chien de chasse qui court nécessaire- 
ment et volontairement après un cerf, ce cerf qui 
franchit un fossé immense avec non moins de né- 
cessité et de volonté : tout cela n'est pas plus in- 
vinciblement déterminé que nous le sommes à tout 
ce que nous fesons. » 

N'y a-til pas, dans le spectacle de cette triple 
. conversion de trois esprits si supérieurs, de quoi 
étonner tout homme qui entreprend de combattre 
des vérités aujourd'hui solidement établies, au 
nom du témoignage du sens intime : <k Et pourtant 
je peux faire ce que je veux ! :» témoignage qui, 
à la vérité, n'a rien du tout à voir dans la ques- 
tion. 

Après de tels exemples, nous ne devons pas être 
surpris que Kant ait admis la nécessité des mani- 
festations du caractère empirique sous Tinfluence 
des motifs, comme une chose entendue à l'avance 
pour lui*méme et pour tout le monde, et ne se 
soit pas attardé à en donner une nouvelle démons* 
tration. Ses Idées pour une histoire universelle 
commencent par ces mots : • Quelque notion 
que Ton puisse se faire du libre arbitre au point 
de vue de la métaphysique, il est cependant hors 
de doute que les manifestations de cette puissance, 
à savoir les actions humaines, sont, aussi bien que 
tous les autres phénomènes de la nature, déter- 



158 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

minées par des lois naturellçs générales. » — Dans 
la Critique de la Raison pure, (P. 548 da la i'^ 
ou P. 557 de la 5® édition), il s'exprime ainsi : 

«Le caractère empirique devant être, comme 
effet, dérivé des phénomènes et de leur règle, don- 
née par l'expérience, toutes les actions de l'homme 
dans le phénomène sont donc déterminées suivant 
Tordre physique par son caractère empirique et 
par d'autres causes concomitantes : et si nous pou- 
vions pénétrer jusqu'au fond tous les phénomènes 
de son arbitre, il n'y aurait pas une seule action 
humaine qu'on ne pût certainement prédire et 
connaître comme nécessaire, en partant de ses 
conditions antérieures. Sous le rapport empirique, 
il n'y a donc aucune liberté, et ce n'est cependant 
que suivant ce caractère que nous pouvons consi- 
dérer l'homme, lorsque nous voulons obsei*vêr 
seulement, et que nous voulons scruter physiolo- 
giquement les causes déterminantes de ses actions, 
comme cela se pratique dans l'anthropologie ^ » 
Dans le môme ouvrage, p. 798 de la 1" édition ou 
p. 826 de la cinquième, il dit : « La volonté peut 
aussi être libre, mais uniquement en ce qui con- 
cerne la cause intelligible de notre vouloir ; car 
pour ce qui est des phénomènes, des expressions 
de cette volonté, c'est-à-dire des actions, nous no 

1. Trad. fr. de M. Tissot, p. 178-179. 



MES PRÉDÉCESSEURS 15^ 

pouvons pas les expliquer autrement que comme 
le reste des phénomènes de la nature, c'est-à-dire 
d'après leurs lois immuables, suivant une inviola- 
ble maxime fondamentale, sans laquelle il est im- 
possible de faire aucun usage de notre raison dans 
Tordre empirique ^. » 

Et ailleurs encore dans la Critique de la Raison 
pratique (P. i66 de la 4« édition, ou P. 230 de l'é- 
dition Rosenkranz) : a On peut accorder que, s'il 
nous était possible de pénétrer Tâme d'un homme, 
telle qu'elle se révèle par des actes aussi bien in- 
ternes qu'externes, assez profondément pour con- 
naître tous les mobiles, même les plus légers, 
qui peuvent la déterminer» et de tenir compte en- 
même temps de toutes les occasions extérieures 
qui peuvent agir sur elle, nous pourrions calculer 
la conduite future de cet homme avec autant 
de certitude qu'une éclipse de lune ou de so- 
leil 2. )) 

Mais ici il rattache sa doctrine de la coexistence^ 
de la liberté et de la nécessité, grâce à la distinc- 
tion entre le caractère intelligible et le caractère 
empirique, doctrine sur laquelle je me propose de 
revenir plus bas, parce que j'y souscris sans ré- 
serve. Kant Ta exposée deux fois, une première 
dans la Critique de la Raison pure (P. 531-553 de 

1. Id., ibid., p. 386. 

2. Traduction française de M. Jules Barni^ p. 239. 



iCO ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

la i'*' édition, ou 500-582 de la cinquième); et en 
second lieu, avec plus de clarté encore, dans la 
Critique de la Raison pratique (P. 169-179 de la 
4'' édition, ou P. 224-231 de l'édition Rosenkranz) : 
tout homme doit lire ces pages pensées avec une 
si éminente profondeur, s'il veut se faire une idée 
précise de la conciliation de la liberté humaine et 
de la nécessité [phénoménale] des actions. 

Des productions de tous ces nobles et vénérables 
génies qui m'ont précédé, le travail présent se dis- 
^ tingue jusqu'ici par deux points principaux. En 
premier lieu, sur l'indication de l'énoncé, j'ai soi- 
gneusement séparé dans mon analyse la percep- 
tion intérieure de la volonté par la conscience de 
la perception externe des manifestations de celle-ci 
(volitions) ; puis je les ai examinées toutes deux 
chacune à part, ce qui m'a permis de signaler pour 
la première fois la source de l'illusion qui exerce 
une action irrésistible sur la plupart des hommes ; 
en second lieu, j'ai jconsidéré la volonté dans ses 
rapports avec tout le reste de la nature, ce que 
personne n'avait fait avant moi ; et ce n'est qu'à 
l'aide des lumières que ces recherches m'ont four- 
nies, que le sujet a pu être traité avec toute la so- 
lidité, toute la clarté, et toute la généralité mé- 
thodique dont il est susceptible. 

Maintenant, encore quelques mots sur un certain 
nombre d'auteurs qui ont écrit après Kant, mais 



MES PRÉDÉCESSEURS 161 

que je ne compte point cependant parmi mes pré- 
curseurs. 

Schelling a publié une paraphrase explicative de 
la doctrine souverainement importante de Kant 
dont j'ai fait l'éloge plus haut, dans son Examen 
de la question du libre arbitre. (P. 465-471.) 
Cette paraphrase, par la vivacité de son coloris, 
peut servir, mieux que Texposition solide mais un 
peu sèche de Kant, à rendre la question accessible 
à un grand nombre de lecteurs. Du reste il ne 
m'est pas permis de parler de ce travail sans aver- 
tir, par respect pour la vérité et pour Kant, que 
Schelling, en y exposant une des doctrines les plus 
importantes et les plus dignes d'admiration, je 
dirai même la plus profondément pensée de toutes 
les théories de Kant, ne déclare nulle part ouver- 
tement que le fond au moins des idées qu'il déve- 
loppe appartient à Kant : bien plus, il s'exprime de 
telle sorte que la majeure partie des lecteurs, aux- 
quels le contenu des ouvrages longs et difficiles du 
grand homme n'est pas exactement présent à l'es- 
prit, doivent s imaginer qu'ils ont sous les yeux 
les propres pensées de Schelling. Un exemple choisi 
entre beaucoup d'autres démontrera combien le 
résultat a été conforme à l'intention de l'auteur. 
Aujourd'hui encore un jeune professeur de philo- 
sophie à Halle, M. Erdmann, dit dans son livre 
intitulé VAme et le corps (p. 101) : a Quoique 



462 ESSAI SUR L'È LIBRE ARBITRE 

Leibniz, de même que Schelling dans sa disserta- 
tion sur la liberté, admette que Tâme se détermine 
avant le temps (extemporellement), etc. » Schelling 
est donc sur ce point à Fégard de Kant dans Theu- 
reuse position d*Améric Vespuce par rapport à 
Colomb : la découverte faite par un autre se trouve 
signée de son nom. Il est juste de dire d'ailleurs 
que c'est là un fruit de sa sagacité et non point du 
hasard. Car il commence ainsi son chapitré, p. 465: 
« C'est à l'idéalisme que revient le mérite d'avoir 
transporté la question de la liberté sur le terrain 
(du choix extemporel], etc., » et immédiatement 
après suit l'exposition des idées kantiennes. Ainsi, 
au lieu de nommer ici Kant, ce qui eût été con- 
forme à la loyauté, il dit finement l'idéalisme; 
mais sous cette expression équivoque chacun en- 
tendra la philosophie de Fichte et la première 
manière fichtienne de Schelling, et non pas la 
doctrine de Kant ; puisque celui-ci proteste contre 
l'appellation d'idéalisme donnée à sa philosophie, 
par exemple dans les Prolégomènes (p. 155 de 
redit. Rosenkranz), et a même ajouté à sa se- 
conde édition de la Critique de la Raison pure, 
P. 274, une « Réfutation de l'idéalisme. » A la page 
suivante, Schelling glisse très-adroitement, dans 
une phrase incidente, les mots de « notion kan- 
tienne » de la liberté , apparemment pour fermer 
la bouche à ceux qui se sont déjà aperçus que 



MES PRÉDÉCESSEURS 16 J 

c'est le trésor des idées de Kant que l'auteur 
débite fastueusement comme sa propre marchan- 
dise. Plus loin (p. 472) , il dit encore , au mépris 
de toute vérité et de toute justice, que Kant 
ne s'est pas élevé en théorie jusqu'à ce nou- 
veau point ce.vue, etc. ; tandis que chacun peut 
constater avec évidence en relisant, comme j'ai 
conseillé de le faire, les deux immortels passages- 
de Kant, que c'est précisément ce point de vue 
qui appartient originellement à Kant tout seul, et 
que, sans lui, mille intelligences de la force de Mes- 
sieurs Fichte et Schelling n'auraient jamais été 
capables d'y atteindre. Gomme j'avais à parler ici 
du travail de Schelling, je ne pouvais pas garder le 
silence sur ce point ; et je crois, en revendiquant 
pour Kant ce qui incontestablement n'appartient 
qu'à lui, n'avoir fait que remplir mon devoir en- 
vers ce grand maître de l'humanité, qui seul avec 
Gœthe est le légitime objet d'orgueil de la nation 
allemande, et cela surtout à une époque à laquelle 
peut s'appliquer tout particulièrement le mot de 
Gœthe : 

c Le peuple des gamins est maître de la voie. » 

Ajoutons que dans le même travail Schelling a 
mis tout aussi peu de pudeur à s'approprier les 
pensées et les expressions mêmes de Jacob Boehme, 



164 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

sans avertir le lecteur de la source à laquelle il 
puisait. 

En dehors de cette paraphrase des idées Kan- 
tiennes, les Considérations sur le libre arbitre 
ne contiennent rien d'instructif ou qui puisse nous 
donner des lumières nouvelles sur notre problème. 
C'est du reste ce qu'on peut prévoir dès le début en 
lisant la définition : a La liberté est le pouvoir de 
faire le bien ou le mal. » Une telle définition peut 
être bonne pour le catéchisme : mais en philoso- 
phie elle n'a pas de sens, et par suite elle ne peut 
conduire à rien. Car le bien et le mal sont loin d'ôlre 
de ces notions simples {notiones simplices) qui, 
évidentes par elles-mêmes , n'ont besoin d'aucun 
commentaire, d'aucune définition précise, d'aucun 
fondement solide et rationnel. En somme, il n y a 
qu'une petite partie de cette dissertation qui roule 
sur le libre arbitre : ce qu'on y trouve surtout, c'est 
la description minutieuse d'un Dieu avec lequel 
Monsieur le rédacteur (Ver/'asser) fait preuve d'une 
intime accointance, puisqu'il nous décrit même 
son origine ; il faut seulement regretter qu'il ne 
consacre pas un seul mot à nous apprendre par 
quels moyens il a formé cette liaison. Le commence- 
ment du livre est un tissu de sophismes, dont tout 
homme est capable de reconnaître la frivolité, 
pourvu qu'il ne se laisse pas éblouir par l'effron- 
terie du ton avec lequel ils sont débités. 



MES PRÉDÉCESSEURS 165 

Depuis, et par reffet mêoie de cette production 
et d'autres semblables, on a vu s'introduire dans 
la philosophie allemande, au lieu de notions claires 
et de recherches loyalement poursuivies, <• l'in- 
tuition intellectuelle d et « la pensée absolue d. 
Tromper, étourdir, mystifier, recourir à tous les 
tours d'adresse pour jeter de la poudre aux yeux 
du lecteur, est devenu la méthode universelle, et 
partout à ïattention qui examine les choses s'est 
substituée Yintention qui les préjuge * . Par cet en- 
semble de manœuvres, la philosophie, si Ton peut 
encore rappeler de ce nom, a dû nécessairement 
tomber par degrés de plus en plus bas jusqu'à ce 
qu'elle atteignit enfin le dernier degré de l'avilisse- 
ment dans la personne de la créature ministé^ 
vielle Hegel. Cet homme, pour anéantir de nou- 
veau la liberté de la pensée conquise par Kant, osa 
transformer la philosophie, cette fille de la raison, 
cette mère future de la vérité, en un instrument des 
intrigues gouvernementales, de l'obscurantisme, 
et du jésuitisme protestant : mais pour dissimuler 
l'opprobre, et en même temps pour assurer le plus 
grand encrassement possible des intelligences, il 
jeta sur elle le voile du verbiage le plus creux et 
du galimatias le plus stupide qui ait jamais été en- 



1. Und durcbgaengig leilet stati der Einsicht die Absichi 
den Vorlrag. 



166 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

tendu, du moins en dehors des maisons de fous K 
En Angleterre ou en France, la philosophie est 

1 . Lorsqu*un philosophe fondateur de système en atta- 
que un autre avec un parti pris de dénigrement et de 
violence, ce n'est ordinairement pas dans une divergence 
de vues qu'il faut chercher la raison dernière de celte 
animosité. Plus souvent, au contraire, l'esprit de rivalité 
oppose ceux-là mêmes que la ressemblance des doctrines 
devrait rapprocher. Irrité de s'être vu précéder dans une 
voie qu'il voudrait avoir frayée, tel renversé d'une main 
les anciens systèmes pour les réédifier de l'autre sous 
son nom : et, plus soucieux d'une originalité illusoire que 
du triomphe de ses opinions, il combat moms vivement 
ceux qui lui font opposition que ceux qui lui font om- 
brage. Mais si parfois l'amour-propre s'y abuse, la critique 
philosophique ne s'y trompe pas, et l'exemple n'est pas 
rare de ces novateurs qui, par leur sévérité pour leurs 
devanciers, ont fait soupçonner qu'ils avaient parmi eux 
des précurseurs. De ce nombre est Schopenhauer, si 
injuste envers deux grands hommes, Leibniz et Hegel, et 
■qui pourtant a emprunté à l'un sa conception fondamen- 
tale du dynamisme, à l'autre son idée de la finalité incon- 
sciente, des ruses de la nature (Schopenhauer dit : de la 
volonté) et bien d'autres encore (dans son Esthétique 
surtout), qu'il s'est contenté de modifier à la surface. 
Aussi ne faut-il point perdre de vue, en lisant ces dia- 
tribes parfois justifiées contre Hegel et son obscurité 
calculée, que si la vérité ne leur fait pas toujours défaut 
c'est au fond le désir de la dissimuler qui les inspire. 
— Voici d'ailleurs quelques autres spécimens de cette 
polémique peu courtoise contre trois des plus grands 
penseurs allemands de ce siècle : on verra comment 
Schopenhauer respecte en autrui cette liberté des opi- 
nions qu'il accuse Hegel d'avoir violée : 

« En accordant à Fichte l'appellation d*homme de talent 
(quelque loin qu'il soit d'être un summus philosophas), 
je l'ai placé bien au-dessus de Hegel. C'est sur le compte 
de celui-là seul que j'ai prononcé, sans commentaire et 
dans les termes les plus catégoriques, ma condamnation 
non qualifiée. Car cet homme, j'en ai la conviction, ne man- 
que pas seulement de toute espèce de mérite en tant que 



.V 



MES PRÉDÉCESSEURS 167 

restée dans son ensemble presque au même point 
où ravalent laissée Locke et Gondillac. Maine de 

philosophe, mais il a exercé sur la philosophie, et par là 
sur toute la littérature aHemande en général, une influence 
souverainement funeste, à proprement parler abêtissante, 
on pourrait dire pestilentielle^ et c'est pourquoi il est du 
devoir de tout homme capable de penser et de juger par 
lui-même de le combattre en toute occasion de la façon 
la plus énergique. Car si nous nous taisons, qui donc 
élèvera la voix?... Si une ligue de journalistes conjurés 
pour la glorification du mal, si des professeurs soldés de 
l'Hégélie et des gradués sans chaire et mourant de faim 
qui voudraient professer, proclament aux quatre vents, 
sans trêve ni repos, et avec une impudence sans exem- 
ple, quo ce cerveau très-ordinaire, mais extraordinaire 
charlatan, est le plus grand philosophe que le monde ait 
jamais possédé, cela ne vaut pas la peine qu'on s'en 
occupe, d'autant plus que la grossière préméditation de 
ces misérables menées a Uni par devenir évidente, même 
aux esprits les moins exercés. Mais lorsqu'on en arrive 
à ce point, qu'une Académie étrangère (l'Académie de 
Danemark) veut prendre sous sa protection ce phiioso- 
phâtre en le décorant du titre de summus philosophiis, 
qu'elle se permet de flétrir l'homme qui, loyalement, in- 
trépidement, s'insurge contre cette gloire mensongère, 
captée, achetée, produit d'un tissu de faussetés, avec 
rénergie qui seule est à la hauteur de cette insolente 
exaltation et de cet importun panégyrique du faux, du 
mal, et de tout ce qui jette le trouble dans l'esprit; alors 
la chose devient sérieuse, car un jugement parti de si 
haut pourrait conduire des gens mal instruits à de grandes 
et funestes erreurs. Il doit donc être neutralisé; et à cet 
effet, puisque je n'ai pas l'autorité d'une Académie, je 
dois procéder par des raisons et des preuves à l'appui... 
Si donc je disais que la prétendue philosophie de ce 
Hegel est une colossale mystification, qui offrira à la 
postérité un thème inépuisable de railleries aux dépens de 
notre époque, une pseudo-philosophie qui paralyse toutes 
les forces de l'esprit, qui étouffe toute véritable pensée, 
et qui, au moyen des plus audacieux abus de langage, y 
substitue le verbiage le plus creuxi le plus vide de senSf 



168 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

Biran, que son éditeur, M. Cousin, appelle « le 
premier métaphysicien français de mon temps >, 

le plus vide d'idées, et, comme le résultat Ta démontré, 
le plus abêtissant : doctrine qui ayant pour noyau (base) 
une fantaisie absurde et prise en Tair, manque égale- 
ment de principes et de conséquences, c'est-à-dire n'est 
démontrée par rien, ne démontre elle-même et n'explique 
rien, en outre» manquant d'originalité, une simple parodie 
du Réalisme scolastique ei en même temps du Spino- 
zisme, lequel monstre doit aussi, de dos, représenter le 
Christianisme — icpàoBg Àcoiv, SttcÇcv Sï âpoM0èif,fik99ri it xii^onpv.^ 
— j'aurais pleinement raison . Et si je disais encore que 
ce summus philosophus a griffonné des sottises comme 
pas un autre mortel, à tel point que celui qui pourrait 
lire son ouvrage le plus estimé, la Phénoménologie de 
VEsprit, sans se croire dans une maison de fous, y appar- 
tiendrait de droit, — je serais encore dans le vrai. » — 
Ailleurs : « Qu'on ne s'attende point à m'entendre parler 
avec respect de gens qui ont fait tomber la philosophie 
dans le mépris. » — < Que celui qui en a la patience, lise 
les .^§40*62 où le summus philosophus expose la philosophie 
de Kant en la dénaturant ; qu'il admire ensuite comment, 
incapable de mesurer la grandeur du mérite de Kant, placé 
aussi trop bas par la nature pour pouvoir se réjouir de l'ap- 
parition si indiciblement rare d'un génie vraiment sublime, 
il jette un regard dédaigneux, du haut de cette supériO' 
rite infinie dont il a conscience, sur ce grand, grand 
homme, comme sur quelqu'un qu'il dépasse de cent 
têtes, et dans les essais duquel, faibles encore et sentant 
l'école, il indique avec une froide mésestime, d'un ton 
mêlé d'ironie et de pitié, les fautes et les erreurs, pour 
l'instruction de ses disciples ! Cette affectation de gran- 
deur en présence du vrai mérite, est à la vérité une ficelle 
connue de tous les charlatans à pied et à cheval, mais 
malgré cela elle ne manque guère son effet sur les pau- 
vres d'esprit. Aussi est-ce précisément cet air de supé- 
riorité qui, joint à un vain barbouillage de niaiseries, fut 
l'artifice principal de ce charlatan... Et c'est véritablement 
par ces procédés qu'il a éveillé dans le public allemand 
une haute opinion de la sagesse renfermée dans son 
Abracadabra, car le public se dit : « Ils ont l'air fiers et 



MES PRÉDÉCESSEURS 169* 

se montre, dans ses Nouvelles considérations^ 
sur les rapports du physique et du moral (pu- 
mécontents, ils doivent être de noble maison. » (Gœthe). 
— « Juger d'après ses propres moyens est le privilège du 
petit nombre : les autres se laissent guider par l'autorité 
et par l'exemple. Ils voient avec les yeux et entendent 
avec les oreilles d'autrui. C'est pourquoi il est bien facile 
de penser comme tout le monde pense aujourd'hui ; mais 
penser comme tout le monde pensera dans trente ans 
d'ici, cela n'est pas donné à chacun. Celui donc qui. 
habitué à admirer sur parole, s'est laissé imposer par le 
crédit d'autrui le culte de quelque écrivain et qui veut 
ensuite communiquer ce culte à tl'autres, peut facilement 
se mettre dans la situation du commerçant, qui, ayant 
escompté une mauvaise lettre de change, qu'on lui ren- 
voie contre son attente avec protêt, est obligé de se donner 
à lui-même la leçon de mieux se renseigner une autre 
fois sur la solvabilité du tireur et de l'endosseur. » — 
« C'est un honneur pour Locke, d'avoir été appelé paf 
Flchte le plus mauvais des philosophes. » — « Ces exem- 
ples suffisent pour montrer la longueur de ce qui... perce, 
dès que Ton entr'ouvre par quelque fissure Tépaisse en- 
veloppe du galimatias insensé, insulte perpétuelle à la^ 
raison humaine, dans laquelle le summus philosophus 
aime à s'avancer à pas comptés pour en imposer aux 
pauvres d'esprit. On dit : ex ungue îeonem : moi je dois 
dire, decenter ou indecenter, ex aure astnum, » — « Telle 
est l'origine de cette méthode philosophique qui suivit 
immédiatement l'enseignement de Kant..., et dont le 
règne sera désigné un jour dans l'histoire de la philoso- 
phie sous le nom de « Période de la Déloyauté. > Comme 
héros de cette époque, brillent Fichte et Schelling, au- 
quel succéda en dernier lieu un homme tout à fait indi- 
gne d'eux, et placé encore bien plus bas que ces hommes de 
talent, ce charlatan lourd et sans esprit — Hegel. » — « La 
reconnaissance de la nécessitation rigoureuse des actions 
humaines est la ligne de démarcation qui sépare les têtes 
philosophiques de celles qui ne le sont pas : et Fichte, 
arrivé à cette limite, montra clairement qu'il apparte- 
nait à ces dernières. > — M. de Schelling enseigne quels 
pesanteur est la raison, et la lumière la cause des choses ;. 

SGHOPENHAUER 10 



170 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

bliées en 1834), partisan fanatique de la liberté 
d'indifférence, et il l'accepte comme une vérité 
qui B^entend tout à fait de soi. Cest ainsi que pro- 

— ce que je me contente de citer comme une curiosité, 
parce qu'un bavar^nge aussi frivole et aussi étourdi ne 
mérite pas de f ace parmi les jugements de penseurs sé- 
rieux et honnêtes. » — c Songe donc un peu (c'est un 
professeur de philosophie qui parle) que nous sommes en 
Allemagne, où Ton a pu faire ce qui n'eût été possible 
nulle part ailleurs, décorer du titre de grand esprit et de 
profond penseur, un philosophe sans esprit, ignorant, bar- 
bouilleur de bêtises, désorganisant de fond en comble et 
pour toujours les cervelles par un verbiage plus creux que 
tout ce qu'on avait jamais entendu — je veux dire notre 
cher Hegel. » — On croirait difficilement que les der- 
nières phrases que nous avons citées sont empruntées à 
l'ouvrage le plus difficile et le plus abstrait de Scho- 
penhauer, la Dissertation sur le Quadruple Principe de 
Baison Suffisante, dont il donna en 1847 une seconde 
édition augmentée de dix pages d'invectives du goût de 
celles que Ton vient de lire. Terminons par un passage 
tiré de la Préface qu'il annexa à cette réimpression, et 
dont la conclusion mérite d'être remarquée : « Oui, si 
parfois maintenant l'indignation me sort de tous les pores, 
ie lecteur ne m'en voudra point ; car il reconnaîtra que 
j'ai prédit d'avance ce qui arrive, lorsqu'ayant à la bouche 
Ja tt recherche de la vérité, » on ne cesse de tenir les 
yeux fixés sur les intentions et les prescriptions d'auto- 
rités supérieures ; lorsqu'on même temps on étend à la 
philosophie le mot e quovis ligno fi,t Mercurius, et qu'on 
décore du nom de grand philosophe, un lourd char- 
latan commo Hegel... La philosophie allemande est là 
devant nous, chargée de mépris, rayée du nombre des 
sciences loyales, — pareille à une prostituée, qui, pour 
un honteux salaire, s'est livrée hier à l'un, et aujourd'hui 
à l'autre ; et les cervelles de la génération actuelle sont 
désorganisées par les absurdités hégéliennes : incapa* 
blés de penser, assourdies et abêties par tant de tapage, 
elles deviennent la proie du plat matérialisme, sorti en 
rampant de Vœuf de basilic, » / 



MES PRÉDÉCESSEURS 171 

cèdent plusieurs des écrivains philosophiques plus 
récents de TAllemagne : la liberté d'indifférence, 
déguisée sous le nom de '( liberté morale » , passe à 
leurs yeux pour la chose du monde la plus assurée^ 
absolument comme si tous les grands hommes 
que j'ai nommés plus haut n'avaient jamais vécu. 
Ils déclarent que le Ubre arbitre nous est immédia- 
tement prouvé par la conscience, et que le témoi- 
gnage de celle-ci l'établit d'une façon si inébran- 
lable, que tous les arguments qui le combattent ne 
peuvent être que des sophismes. Cette sereine 
confiance provient tout simplement de ceci, que 
ces braves gens ne savent même pas ce qu'est et 
ce que signifie le libre arbitre; dans leur naïveté, 
ils n'entendent par ce mot que la souveraineté de 
la volonté sur les membres du corps , souverai- 
neté que jamais un homme raisonnable na révo- 
quée en doute, et dont la fameuse affirmation « je 
peux faire ce que je veux » est une expression 
précise. Ils s'imaginent de très-bonne foi que c'est 
là ce qui constitue le hbre arbitre, et sont tout 
fiers de le voir ainsi au-dessus de toute contro- 
verse. Voilà l'état de naïveté et d'ignorance au- 
quel, après un passé si glorieux, la philosophie 
hégéUenne a ramené la pensée en Allemagne I Â la 
vérité on pourrait crier à des gens de cette* espèce : 

a N'êles-vous pas comme les femmes, qui toujours» 

« En reviennent à leur premier mot, 

« Après qu'on leur a parlé raison pendant des heures? » 



172 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

Toutefois il faut dire que les motifs théologiques 
signalés plus haut peuvent exercer une secrète in- 
fluence sur un bon nombre d'entre eux. 

 leur suite, écoutons avec quelle avidité les 
écrivains qui s*occupent de médecine, de zoologie, 
-d'histoire, de belles-lettres, saisissent aujourd'hui 
les moindres occasions de prôner la c liberté de 
rhomme, » la ce liberté morale ! » Cela leur suffit 
pour se croire quelque chose. A la vérité, ils ne se 
laissent pas amener à donner des explications sur 
ces mots : mais si Ton pouvait sonder le fond de leurs 
idées, on trouverait que par leur liberté morale ils 
entendent, ou bien je ne sais quoi dénué de tout sens, 
ou bien notre bonne vieille liberté d'indifférence, 
sous quelque sublime phraséologie qu'ils puissent 
la déguiser, c'est-à-dire une notion de l'absurdité 
de laquelle on ne réussira peut-être jamais à con- 
vaincre le vulgaire, mais que du moins des savants 
devraient se garder d'affirmer avec tant de naïveté! 
Aussi y a-t-ii parmi eux quelques peureux, qui 
sont bien amusants : n'osant plus parler du libre 
arbitre, ils évitent ce mot et disent prétentieuse- 
ment « la liberté de l'esprit » — et ils espèrent s'es- 
quiver ainsi. Je vois le lecteur me demander d'un 
tiir intrigué : a Et qu'entendent-ils par là? » Je suis 
heureusement en état de le lui dire : Rien, ab- 
solument rien : — si les mots en allemand signi- 
.fient quelque chose, ce n'est là qu'une expression 



MES PRÉDÉCESSEURS 173 

vague, à proprement parler privée de sens, sous le 
couvert de laquelle leur platitude et leur lâcheté 
s'efforcent de se dissimuler. Le mot c esprit », ex- 
pression à la vérité tropologique^ désigne pour 
tout le monde Tensémble des facultés intellec- 
tuelles, par opposition à la volonté. Or ces facultés 
ne doivent nullement être libres dans leur exer- 
cice, mais se conformer toujours aux lois de la 
logique et de plus rester subordonnées à l'objet 
particulier qu'elles conçoivent et en harmonie 
avec lui, de sorte que leur conception soit pure, 
c'est-à-dire objective, et qu*il ny ait jamais lieu 
de dire : Stat pro ratione voluntas. En somme, 
cet a esprit > qui aujourd'hui s*étale partout dans 
la littérature allemande, est un compagnon des 
plus suspects auquel il faut toujours demander son 
passeport quand on le rencontre. Son métier le 
plus habituel est de servir de masque à la pau- 
vreté intellectuelle associée à la lâcheté. D'ailleurs 
le mot esprit (geist) est, comme on sait, parent du 
mot gaZy qui lui-même, dérivé de l'arabe et intro- 
duit dans nos vocabulaires par l'alchimie, signiQe 
vapeur ou air, de même que spirituSj icveufxa, ani- 
mus, est parent d'àvcjAoç, vent ^ 

Tel est, dans le monde philosophique et dans 
le monde savant, l'état actuel des intelligences 

1. Quand on a lu des traits d'esprit de cette force 
on hésite à souscrire à Tafifirmation de M. Ribot : • Si 

10. 



174 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

au sujet du problème qui nous occupe , après tout 
ce qu'ont enseigné sur ce point tant de grands es- 
prits dont nous venons de rappeler les noms ; ce 
qui permet de constater une fois de plus que non- 
seulement la nature, à toutes les époques, n'a pro- 
duit qu'un nombre très-restreint de véritables 
penseurs, mais que ces penseurs eux-mêmes n'ont 
vécu que pour un très-petit nombre de leurs sem- 
blables. C'est pour cette raison que la folie et Ter- 
reur régnent continuellement sur le monde * . 

Dans une question de morale^ le témoignage des 
grands poètes est aussi d'un certain poids. Leurs 

Schopenhauer était traduit dans notre langue, on s'éton- 
nerait de le trouver si peu allemand. » C'est bien ici ou 
jamais le cas de dire : Nimis germanicè ! 

1. On nous saura gré de rappeler en regard de ces 
lignes une des plus belles pages de Schopenhauer (Pré- 
face de l'Éthique^ p. xxxi) a : Rien ne rabaisse autant le 
niveau intellectuel que d'admirer et de glorifier le mal. 
Car Helvétius dit avec raison : « Le degré d'esprit 
nécessaire pour nous plaire, est une mesure exacte 
du degré d'esprit que nous avons. » Il est bien plus 
facile d'excuser ceux qui méconnaissent passagère- 
ment le bien que ceux qui prônent le mal : car ce 
qu'il y a de plus excellent dans tous les genres nous 
apparaît si neuf et si étranger, grâce à son originalité 
même, que, pour le reconnaître au premier coup d'œil, 
il ne faut pas seulement avoir de l'intelligence, mais une 
connaissance profonde du sujet spécial dont il s'agit. On 
comprend dès lors pourquoi en général les découvertes 
du génie ne sont reconnues que tard, d'autant plus tard 
qu'elles appartiennent à un ordre plus élevé, et que les 
vérUables porte-flambeaux de V humanité partagent le destin 
des étoiles fixes, dont la lumière met bien des années avant 
de parvenir dans VhwHzon de la vue bornée des hommes» 



MES PRÉDÉCESSEURS 175 

opinions ne se sont pas formées à la suite d'une 

étude systématique ; mais la nature humaine est 

ouverte à leurs pénétrants regards, et leurs yeux 

atteignent immédiatement à la vérité. — Dans 

Shakespeare (Measwre for Measure^ A. II, se. II), 
Isabella demande au tyran Ângelo la grâce de son 

frère condamné à mort : 

ANGELO. Je ne veux pas lui pardonner. 
ISABELLA. Mais le pourriez- vous, si vous le vouliez ? 
ANGELO. Songez que ce que je ne veux pas faire, je ne 

[peux pas le faire. 

Par contre le culte du mal, du faux, du niais et môme 
de Tabsurde et de l'insensé, n'admet aucune excuse : on 
prouve tout simplement, en le pratiquant, que Ton n'est 
qu'un imbécile, et qu'on restera tel jusqu'à la Un de ses 
jours : car le i)on sens ne s'apprend pas... D'ailleurs, en 
traitant une fois comme elle le mérite, après provocation 
de sa part, l'Hégélie, cette peste de la littérature alle- 
mande, je suis certain de la reconnaissance des hommes 
sincères et intelligents, s'il en existe encore. Car ils 
seront tout à fait de l'opinion que Voltaire et Goethe ont 
exprimée comme il suit avec une conformité de vues si 
frappante : « La faveur prodiguée aux mauvais ouvrages est 
aussi contraire au progrès que le déchaînement contre les 
bons. » {Lettre à la duchesse du Maine), — « Le véritable 
obscurantisme ne consiste pas à empêcher la diffusion 
de la lumière, de la vérité et de l'utile, mais à colporter 
le faux. » (Œuvres Posthumes de Gœtixe, vol. 9, p. 54.) 
Et quelle époque a jamais assisté à un colportage si mé- 
thodique et si audacieux du détestable que les vingt der- 
nières années en Allemagne? Quelle autre pourrait offrir 
en parallèle une semblable apothéose de l'absurdité et de 
la déraison ? Pour quelle autre Schiller semble-t-il avoir 
écrit si prophétiquement ces vers : 

J'ai vu les couronnes sacrées de la gloire 
Profanées sur un front vulgaire. 

{Ecrit en 1840.) 



176 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRB 

Dans la Twelfth Night, A. 1, on lit : 

Destin, montre ta force : nous ne disposons pas de nous- 

[mômes, 

Ce qui est décrété doit être ; et je m'abandonne à Tévé- 

[nement. 

Walter Scott aussi, ce grand connaisseur et ce 
grand peintre du cœur humain et de ses impul- 
sions les plus secrètes, a mis en lumière cette pro- 
fonde vérité, dans La source de St-Jîonan, vol. 3. 
chap. 6. Il nous représente une pécheresse qui 
meurt dans le repentir, et qui essaie sur son lit 
ûe mort de soulager par des aveux sa conscience 
troublée : il lui prête entre autres les paroles sui- 
vantes : a Allez, et abandonnez-moi à mon destin. 
•Je suis la plus détestable créature qui ait jamais 
vécu : détestable à moi-même, ce qui est le pire : 
^ar même dans ma pénitence il y a un secret mur- 
mure qui me dit que si je me trouvais de nouveau 
-dans les mêmes circonstances qu*autrefois , je 
referais toutes les misérables actions que j'ai 
<2ommises, et bien plus encore. Oh ! que Dieu me 

vienne en aide , pour écraser cette criminelle 
pensée ! » 

Gomme complément à cette poétique exposition, 
je citerai le fait suivant, qui lui est pour ainsi 
dire parallèle, et fournit en même temps une 
preuve très- convaincante à l'appui de la doclrine 
de l'invariabilité des caractères. Il a passé en 1845 



MES PRÉDÉCESSEURS 177 

•du journal français la Presse dans le Times du 
2 juillet 1845, d'où je le traduis K II a été publié 
sous ce titre : Une exécution militaire à Oran. a Le 
24 mars un Espagnol du nom d'Aguilera, alias 
Gomez, avait été condamné à mort. Le jour avant 
Texécution, il dit, dans une conversation avec son 
geôlier : « Je ne suis pas aussi coupable qu'on Ta 
prétendu : on m'accuse d'avoir commis trente meur- 
tres, tandis que je n'en ai commis que vingt-six. 
Dès mon enfance j'eus la soif du sang : quand j'avais 
sept ans et demi, je poignardai un enfant. J'ai as- 
sassiné une femme enceinte, et plus tard un offi- 
cier espagnol, en suite de quoi je me vis forcé de 
m'enfuir d'Espagne. Je me suis réfugié en France, 
où j'ai commis deux crimes avant d'entrer dans la 
légion étrangère. De tous mes crimes, celui que je 
regrette le plus est le suivant : en 1841 je fis pri- 
sonnier, à la tête de ma compagnie, un commis- 
saire-général, escorté d'un sergent, d'un caporal 
et de sept hommes : je les fis tous décapiter. 
La mort de ces gens pèse sur moi : je les vois 
dans mes rêves, et demain je les verrai dans les 
soldats envoyés pour me fusiller. Et néanmoins, si 
je recouvrais ma liberté, j'en assassinerais d'autres 
encore. » 
Le passage suivant, tiré ieVIphigéniG de Gœthe, 

1. L'article du Times, qui est fort long, a été abrégé par 
Schopenhauer. 



178 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

peut encore être rappelé avec avantage ici : 

ARCAS. Car tu n*as pas fait cas de mon fidèle conseil. 
IPHIGÉNIE. Ce que j'ai pu faire, je l'ai fait volontiers. 
ARCAS. Il est temps encore de changer d'avis. 
IPHIGÉNIE. Cela n'est plus en notre pouvoir ^. 

Terminons en citant un passage célèbre du Wal» 
lenstein de Schiller, où notre vérité fondamentale 
se trouve également exprimée avec éclat : 

« Les actions et les pensées humaines, sachez-le, 
Ne sont pas semblables aux vagues de la mer emportées 

[par un mouvement aveugle. 
L'intérieur de l'homme, ûnage abrégée du monde exté- 

[rieur, est 
La source profonde d'où elles jaillissent éternellement. 
Elles se produisent nécessairement, comme le fruit de 

[l'arbre. 
Et les jeux du hasard ne sauraient les changer. 
Quand j'ai étudié les parties les plus intimes de l'homme 
Je connais aussi et ses volontés et ses actions. » 

1 . Acte IV, scène 2. — Trad, de X. Marmier, Charpen^ 
lier, 1858. 

2, Wallensteinf acte II, scène III, (Tradiiction de 
M, Oscar Falateuf, sauf quelques changements.) Cette 
tirade, dans Schiller, vient immédiatement à la suite des 
trois vers cités, p. 172. 



CHAPITRE V 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE. 



C'est avec plaisir que dans le chapitre précédent 
j'ai rappelé au souvenir du lecteur le nom de tous 
ceux qui en poésie comme en philosophie ont glo ^ 
rieusement soutenu la vérité pour laquelle je com- 
bats. Toutefois ce ne sont pas les autorités, mais 
les arguments, qui sont les armes propres des phi- 
losophes : aussi me suis-je servi exclusivement de 
ceux-ci pour établir et défendre mon opinion, à 
laquelle j'espère pourtant avoir donné un tel degré 
d'évidence, que je me crois pleinement justifié à 
tirer la conclusion à non posse ad non esse, dont 
j'ai parlé en commençant i. Tout d'abord, après 
avoir examiné les données fournies par le témoi- 
gnage de la conscience, j'ai répondu négativement 

1. Voyez page 33. 



i80 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

à la qnestion de l'Académie Royale : maintenant^ 
cette même réponse, fondée sur on examen direct 
et immédiat du sens intime, c'est-à-dire à priorif 
se trouve confirmée médiatement et à posteriori : 
car il est évident que lorsqu'une chose n'existe 
point, on ne saurait trouver dans la conscience 
les données nécessaires pour en démontrer la 
réalité. 

Quand même la vérité que j'ai démontrée dans 
ce travail appartiendrait à la classe de celles qui 
peuvent échapper à Tintelligence prévenue d'une 
multitude aux vues bornées, et môme paraître 
choquantes aux faibles et aux ignorants, une telle 
considération ne devait toutefois pas me retenir 
de l'exposer sans détours et sans réticences; car 
je ne m'adresse pas en ce moment au peuple, 
mais à une Académie éclairée, qui n'a pas mis au 
concours une question aussi opportune en vue 
d'enraciner plus profondément les préjugés, mais 
en l'honneur de la vérité. — En outre, tant qu'il 
s'agit encore d'établir et de consolider une idée 
juste, celui qui poursuit loyalement la vérité doit 
toujours considérer uniquement les arguments qui 
la confirment, et non les conséquences qu'elle 
peut entraîner, ce qu'il sera toujours temps de 
faire quand cette idée sera solidement établie. 
Peser uniquement les raisons, sans se préoccuper 
des conséquences , et ne pas se demander tout 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 181 

d'abord si une vérité nouvellement reconnue s'ac- 
corde ou non avec le système de nos autres con- 
victions, — telle est la méthode que Kant a déjèi 
recommandée , et je ne saurais m'empècher do 
répéter ici ses propres paroles i : 

« Cela confirme cette maxime déjà reconnue et 
vantée par d'autres, que dans toute recherche 
scientifique il faut poursuivre tranquillement son 
chemin avec toute la fidélité et toute la sincé- 
rité possibles, sans s'occuper des obstacles qu'on 
pourrait rencontrer ailleurs, et ne songer qu'à 
une chose, c'est-à-dire à l'exécuter pour elle- 
même, en tant que faire se peut, d'une façon 
exacte. Une longue expérience m'a convaincu que 
ce qui, au milieu d'une recherche, m'avait par- 
fois paru douteux^ comparé à d'autres doctrines 
étrangères, quand je négligeais cette considération 
et ne m'occupais plus que de ma recherche, jusqu'à 
ce qu'elle fût achevée, finissait par s'accorder par- 
faitement et d'une manière inattendue avec ce que 
j'avais trouvé naturellement, sans avoir égard à 
ces doctrines, sans partialité et sans amour pour 
elles. Les écrivains s'épargneraient bien des er- 
reurs, bien des peines perdues (puisqu'elles ont 
pour objet des fantômes), s'ils pouvaient se résou- 



1. Critique de la Raison Pratique, p. 239 de rédition 
Rosenkranz. 

SGHOPENHAUER • Il 



i82 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

dre à mettre plus de sincérité dans leurs travaux ^ . » 
Ajoutons à cela que nos connaissances métaphy- 
siques sont encore bien loin d'être assez certaines 
pour que nous ayons le droit de rejeter aucune 
vérité solidement démontrée, par cela seul que 
ses conséquences semblent en contradiction avec 
elles. Bien plus, toute vérité prouvée et établie est 
une conquête sur le domaine de l'inconnu dans 
le grand problème du savoir en général, et un 
ferme point d'appui où l'on pourra appliquer les 
leviers destinés à remuer d'autres fardeaux; c'est 
aussi un point fixe d'où l'on peut s'élancer d'un 
seul bond, dans les occasions favorables, pour con- 
sidérer l'ensemble des choses d'un point de vue plus 
élevé. Car l'enchaînement des vérités est si étroit 
dans chaque partie de la science, que celui qui a 
pris possession pleine et entière d'une quelconque 
d'entre elles peut légitimement espérer qu'elle 
sera le point de départ d'où il s'avancera vers la 
conquête du tout. De même que pour la .solution 
d'une question difficile d'algèbre une seule gran- 
deur donnée positivement est d'une importance 
inappréciable, parce qu'elle rend possible cette 
solution; ainsi, dans le plus difficile de tous les 
problèmes humains, à savoir la métaphysique, la 
connaissance assurée, démontrée à priori et à 

1. P. 301 de la trad. française. 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 18^ 

posteriorU de la rigoureuse nécessité avec laquelle 
les actes humains résultent du caractère et des^ 
motifs comme un produit de ses facteurs, est un 
datum également ^ans prix, une vérité à la seule 
lumière de laquelle on peut découvrir la solution 
du problème tout entier. Aussi toute théorie qui 
ne peut pas s'appuyer sur une démonstration so- 
lide et scientifique doit s'effacer devant une vérité 
aussi bien fondée, partout où elle se trouve en op- 
position avec elle, bien loin que le contraire ait 
lieu : et sous aucun prétexte la vérité ne doit se 
laisser entraîner à des accommodements et à de& 
concessions, pour se mettre en harmonie avec 
des prétentions énoncées au hasard, et peut-être 
erronées. 

Qu'on me permette encore une observation gé- 
nérale. Un regard jeté en arrière sur le résultat 
acquis nous donne Toccasion de remarquer que 
pour la solution des deux problèmes qui ont été 
désignés déjà dans le chapitre précédent comme lea 
plus profonds de la philosophie moderne, et dont 
les anciens par contre n'avaient qu'une connais- 
sance vague, — je veux dire le problème du libre 
arbitre et celui du rapport de l'idéal et du réel, — 
la raison saine, mais (philosophiquement) inculte i, 
n'est pas seulement incompétente, mais a même 

1. C'est-à-dire le sens commun, ou plutôt ce qu'oa 
appelle vulgairement « le gros bon sens. » 



184 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

une tendance naturelle et décidée à Terreur, et que, 
pour Ten garantir, l'intervention d'une philosophie 
déjà fort avancée est nécessaire. Il est en effet tout à 
fait naturel au sens commun d'accorder beaucoup 
trop à Tobjetdans Tensemble de la connaisssance, et 
c'est pourquoi il a fallu un Locke et un Kant pour 
montrer quelle grande part doit y être attribuée au 
sujet. Pour ce qui concerne la volonté, le sens com- 
mun obéit à un penchant contraire : il accorde bien 
trop peu à l'objet et beaucoup trop au sujet, en fai- 
sant découler la volition tout entière du sujet, sans 
tenir un compte suffisant du facteur objectif, à sa- 
voir le motif, qui, à proprement parler, détermine 
Vessence individuelle des actionSy tandis que c'est 
seulement leur caractère général et universel, c'est- 
à-dire leur caractère moral fondamental, qui dé- 
rive du sujet. Une interprétation aussi inexacte de 
la vérité, naturelle à Tintelligence dans le domaine 
des recherches spéculatives, ne doit toutefois pas 
nous surprendre : car Tintelligence est originelle- 
ment destinée à poursuivre des buts pratiques, et 
aucunement des recherches spéculatives. 

Si maintenant, à la suite de l'exposition précé- 
dente, nous avons clairement fait reconnaître au 
lecteur que l'hypothèse du libre arbitre doit être 
absolument écartée, et que toutes les actions des 
hommes sont soumises à la nécessité la plus in- 
flexible, nous l'avons par là même conduit au 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 185 

point OÙ il peut concevoir la véritable liberté mo- 
rale, qui appartient à un ordre d'idées supérieur. 
Il existe, en effet, une autre vérité de fait attestée 
par la conscience, que j*ai complètement laissée 
de côté jusqu'ici pour ne pas interrompre le cours 
de notre étude. Cette vérité consiste dans le senti- 
ment parfaitement clair et sûr de notre responsa- 
bilité morale, de l'imputabilité de nos actes à nous- 
mêmes, sentiment qui repose sur cette conviction 
inébranlable, que nous sommes nous-mêmes les 
auteurs de nos actions. Grâce à cette conviction 
intime, il ne vient à l'esprit de personne, pas même 
de celui qui est pleinement persuadé de la néces* 
site de Tencbainement causal de nos actes, d'al- 
léguer cette nécessité pour se disculper de quel- 
que écart, et de rejeter sa propre faute de lui- 
môme sur les motifs, bien qu'il soit établi que par 
leur entrée en jeu l'action dût se produire d'une 
façon inévitable. Car il reconnaît très-bien que 
cette nécessité est soumise à une condition sub- 
jective, et qu'objectivement, c'est-à-dire dans les 
circonstances présentes, par suite sous l'influence 
des mêmes motifs qui l'ont déterminé, une ac- 
tion toute différente, voire même directement op- 
posée à celle qu'il a faite, était parfaitement possible, 
et aurait pu être accomplie, pourvu toutefois qu'il 
eût été un autre : c'est de cela seulement qu'il s'en 
est fallu. Pour lui même, parce qu'il est tel et non 



186 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

tel, parce qu'il a tel caractère et non tel autre, 
4ine action différente n'était à la vérité pas possible; 
mais en elle-même et par suite objectivement y 
elle était réalisable. Sa responsabilité, que la cons- 
<^ience lui atteste, ne se rapporte donc à Tacte 
même que médiatement et en apparence : au 
fond, c'est sur son caractère qu'elle retombe ; c'est 
de son caractère qu'il se sent responsable. Et c'est 
aussi de celui-là seul que les autres hommes le 
rendent responsable, car les jugements qu'ils por- 
tent sur sa conduite rejaillissent aussitôt des actes 
isur la nature morale de leur auteur. Ne dit-on pas, 
^n présence d'une action blâmable : c Voilà un 
méchant homme, un scélérat, ^ ou bien : c C'est 
un coquin !» — ou bien : « Quelle âme mesquine, 
hypocrite, et vile 1 » — C'est sous cette forme que 
«'énoncent nos appréciations, et c'est sur le carac- 
tère même que portent tous nos reproches. L'ac-^ 
tion, avec le motif qui l'a provoquée, n'est consi- 
dérée que comme un témoignage du caractère de 
son auteur ; elle est d'ailleurs le symptôme le plus 
str de sa moralité, et montre pour toujours et 
d'une façon incontestable quelle est la nature de 
son caractère. C'est donc avec une grande péné- 
tration qu'Aristote a dit : a Nous louons ceux qui 
ont déjà fait leurs preuves. Les actes, en effet, sont 
le signe de la disposition intérieure, à tel point que 
nous louerions même celai qui n'a pas encore agi 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE i87 

si nous avons confiance qu'il est disposé à le faire 
[Rhétorique, 4,9).» Ce n'est pas sur une action 
passagère , mais sur les qualités durables de 
son auteur, c'est-à-dire sur le caractère dont 
elle émane, que portent la haine, l'aversion et 
le mépris. Aussi, dans toutes les langues, les épi- 
thètes marquant la perversion morale, les termes 
d'injure qui la flétrissent, sont bien plus sou- 
vent des attributs applicables à l'homme qu'aux 
actions mêmes dont il se rend coupable. On les 
applique à son caractère (car c'est à lui qu'in- 
combe véritablement la faute), lorsque ses mani- 
festations extérieures, c'est-à-dire ses actes, ont 
révélé sa nature particulière et permis de l'ap- 
précier. 

•Là où est la faute doit être également la res- 
ponsabilité : et puisque le sentiment de cette res- 
ponsabilité est Tunique donnée qui nous fasse in- 
duire l'existence de la liberté morale, la liberté 
elle-même doit résider là où la responsabilité ré- 
side, à savoir : dans le caractère de Vhomme. Cette 
conclusion est d'autant plus nécessaire que nous 
sommes persuadés que la liberté ne saurait se" 
trouver dans les actions individuelles, qui s'en- 
chaînent d'après un rigoureux déterminisme une 
fois que le caractère est donné. Or le caractère, 
comme il a été montré dans le troisième chapitre, 
est inné et invariable. 



188 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

Nous allons maintenant considérer d'un peu 
plus près la liberté entendue dans ce dernier sens, 
le seul pour lequel des données positives exis- 
tent, afin qu'après avoir refusé d'admettre la liberté 
comme un fait de conscience et en avoir déter- 
miné le véritable siège, nous nous efforcions au- 
tant que possible de nous en faire une idée nette 
au point de vue philosophique. 

Dans le troisième chapitre, on a vu que chaque 
action humaine est le produit de deux facteurs : le 
caractère individuel et le motif. Cela ne signifie 
aucunement qu'elle soit une espèce de moyen 
terme, de compromis entre le motif et le carac- 
tère ; au contraire elle satisfait pleinement à cha* 
cun d'eux, en s'appuyant, dans toute sa possibi- 
lité, sur les deux à la fois ; car il faut et que la 
cause active puisse agir sur ce caractère, et que 
ce caractère soit déterminable par une telle cause» 
Le caractère est l'essence empiriquement recon- 
nue, constante et immuable, d'une volonté indi- 
viduelle. Or, comme ce caractère est pour toute 
action un facteur aussi nécessaire que le motif, 
on comprend par là le sentiment qui nous at- 
teste que tous nos actes émanent de nous-mêmes, 
et cette affirmation «je veux », qui accompagne 
toutes nos actions, en vertu de laquelle chacun 
doit les reconnaître comme siennes, et en ac- 
cepter la responsabilité morale. Nous retrouvons 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 189 

ici ce a je veux, et ne veux jamais que ce que je 
veux j> que nous rencontrions plus haut dans Texa- 
men du témoignage de la conscience, et qui égare 
le sens commun jusqu'à lui faire soutenir obstiné- 
ment l'existence d*ane liberté absolue du faire ou 
du ne pas faire, d'un liberum arbitrium indiffe- 
rentiae. Ce sentiment n est rien de plus que la 
conscience du second facteur de Tacte, qui en lui- 
même serait tout à fait insuffisant pour le produire 
et qui, par contre, le motif intervenant, est égale- 
ment incapable de faire obstacle à sa production. 
Mais ce n'est qu^après avoir été amené ainsi à des 
manifestations actives, qu'il donne à connaître sa 
véritable nature à Tentendement , lequel, dirigé 
vers le dehors plutôt que vers le dedans, n'apprend 
à connaître l'essence de la volonté qui se trouve 
associée à lui dans une même personne, que par 
l'observation empirique de ses manifestations. G*est, 
à proprement parler, cette connaissance de plus 
en plus immédiate et intime avec nous-mêmes qui 
constitue la conscience morale \ laquelle, par 
cette raison, ne fait entendre sa voix directement 

1. Schopenhauer remarque quelque part avec raison 
que les hommes appellent conscience morale ce qui n'est 
souvent qu'une conscientia sptiria, où les idées morales 
ont bien moins de part que la crainte du châtiment. Quand 
nous avons violé la loi, nous sentons que noits nous 8om> 
mes mis hors la loi , et ce sentiment, qui est en défini- 
tive une crainte, suffit pour nous troubler au milieu de 
la sécurité apparente la plus complète. 

11. 



190 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

qu'après l'action. Avant l'action, elle intervient 
tout au plus indirectement y en nous obligeant, au 
moment de la délibération, à tenir compte de son en- 
trée enjeu prochaine, que nous nous figurons grâce 
è, nos réflexions et à nos retours sur les cas analo- 
gues, au sujet desquels elle s^est déjà prononcée* 

Il convient à présent de rappeler au lecteur T ex- 
plication proposée par Kant et déjà mentionnée 
au chapitre précédent, sur le rapport entre le ca- 
ractère intelligible et le caractère empirique, grâce 
à laquelle se concilient la liberté et la nécessité, 
dette théorie appartient à ce que ce grand homme, 
et je dirai même à ce que toute l'humanité a jamais 
produit de plus beau et de plus profond. Il me 
suffit d'y renvoyer, car ce serait m*étendre inuti- 
lement que de la reprendre ici. Par elle seule on 
peut concevoir, dans la mesure des forces hu- 
maines, comment la nécessité rigoureuse de nos 
actes est néanmoins compatible avec cette liberté 
morale dont le sentiment de notre responsabiUté 
est un irrécusable témoignage ; par elle encore, 
nous sommes les véritables auteurs de nos actions, 
^t celles-ci nous sont moralement imputables. 

La distinction entre le caractère empirique et le 
caractère intelligible, telle que Kant l'a exposée, 
relève du même esprit que sa philosophie tout 
entière, dont le trait dominant est la distinction 
•entre le phénomène et la chose en soi. Et de môme 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE i9! 

que pour Kant la réalité ejnpirique du monde 
sensible subsiste concurremment avec son idéalité 
transcendantaley ainsi la rigoureuse nécessitation 
(empirique) de nos actes s'accorde avec notre 
liberté transcendantale. Car le caractère empi- 
rique, en tant qu'objet de l'expérience, est, comme 
l'homme tout entier, un simple phénomène, sou- 
mis par suite aux formes de tout phénomène — le 
temps, l'espace et la causalité — et régi par leurs 
lois. Par contre, la condition et la base du carac- 
tère phénoménal que l'expérience nous révèle, 
indépendante, en tant que chose en soi, de ces 
formes, et soustraite par suite à tout changement 
dans le temps, demeurant constante et immuable, 
s'appelle le caractère intelligible, c'est-à-dire la 
volonté de l'homme en tant que chose en soi. Ainsi 
considérée, elle a sans doute la liberté absolue 
pour privilège, c'est-à-dire qu'elle est indépendante 
de la loi de causalité (en tant que celle-ci est sim- 
plement la forme des phénomènes) ; mais cette li- 
berté est transcendantale, c'est-à-dire qu'elle est 
invisible dans le monde de l'expérience. Elle n'existe 
qu'autant que nous faisons abstraction de l'appa- 
rence phénoménale et de toutes ses formes, pour 
nous élever jusqu'à cette réalité mystérieuse, qui, 
placée hors du temps, peut être pensée comme 
l'essence intérieure de l'homme en soi. Grâce à 
cette liberté^ toutes les actions de l'homme sont 



192 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

véritablement son propre ouvrage, malgré la né- 
cessité avec laquelle elles découlent du caractère 
empirique, lorsque celui-ci subit l'action des molife; 
parce que ce caractère empirique est simplement 
l'apparence phénoménale du caractère intelligible, 
soumis par notre entendement aux formes de l'es- 
pace, du temps et de la causalité, c'est-à-dire la 
manière et l'aspect sous lesquels se présente à notre 
entendement l'essence propre de notre moi en soi. 
Il suit de là sans doute que la volonté est libre, 
mais seulement en elle-même et en dehors du 
monde des phénomènes. Dans ce monde-ci, au con- 
traire, elle se présente déjà avec un caractère géné- 
ral entièrement fixé d'avance, auquel toutes les ac- 
tions doivent être conformes; par suite, lorsqu'elles 
sont déterminées avec plus de précision encore par 
l'entrée en jeu des motifs, elles doivent nécessaire- 
ment se produire de telle ou telle façon, à l'exclu- 
sion de toute autre. 

Ces considérations nous conduisent, comme il 
est facile de le voir, à chercher l'œuvre de la liberté 
humaine, non plus, ainsi que le fait le sens commun 
du vulgaire, dans nos actions individuelles, mais 
dans la nature tout entière [existentia et essentia) 
de l'homme, qui doit être considérée comme un acte 
libre^ se manifestant seulement, — pour un enten- 
dement soumis aux formes du temps, de l'espace, 
et de la causaUté, — sous l'apparence d'une multi- 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 193 

plicité et d'une variété d'actions, lesquelles cepen- 
dant, précisément à cause de Tunité primitive de 
la chose en soi qu'elles manifestent, doivent toutes 
être revêtues du même caractère, et paraître ri- 
goureusement nécessitées par les différents mo- 
tifs qui à chaque fois les provoquent et les déter- 
minent individuellement. C'est pourquoi, dans le 
monde de l'expérience, la maxime Operari sequU 
iur Esse (les actions sont conformes à l'essence) 
est une vérité qui ne souffre pas d'exceptions. 
Chaque chose agit conformément à sa nature et 
c'est par ses manifestations actives, sous la sollici- 
tation des motifs, que sa nature nous est révélée. 
De même, tout homme agit conformément à ce qu'il 
est, et l'action conforme à sa nature est déter- 
minée dans chaque cas particulier par l'influence 
nécessitante des motifs. La liberté, qui par suite ne 
peut pas exister dans YOperari (l'Action), doit ré- 
sider dans YEsse fl'Etre). C'est une erreur fonda- 
mentale, un hystéron protéron de tous les temps, 
d'attribuer la nécessité à l'Être et la liberté à l'Ac- 
tion : c'est le contraire qui est le vrai ; dans YÊtre 
seul réside la liberté, mais dé l'Esse et des motifs 
YOperari résulte nécessairement, et cest par ce 
que nous faisons que nous reconnaissons noits- 
mêmes ce que nous sommes. C'est sur cette vérité, 
et non sur une prétendue liberté d'indifférence, que 
reposent la conscience de la responsabilité et la 



194 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

tendance morale de la vie. Tout dépend de ce qu'est 
un homme; ce qu'il fait en découle naturellement, 
comme un corollaire d'un principe. Le sentiment 
intime de notre pouvoir personnel et de notre cau- 
salité qui accompagne incontestablement tous nos 
actes, malgré leur dépendance à l'égard des motifs, 
et en vertu duquel nos actions sont dites nôtres^ — 
ne nous abuse donc pas : mais la portée véritable 
de cette conviction dépasse la sphère des actes et 
remonte, si l'on peut dire, plus haut, puisqu'elle 
s^é tend à note nature et à notre essence mêmes, 
d'où découlent nécessairement tous nos actes sous 
l'influence des motifs. Dans ce sens, on peut com- 
parer ce sentiment de notre autonomie et de notre 
causalité personnelles, comme aussi celui de la res- 
ponsabilité qui accompagne nos actions, à une ai- 
guille qui, montrant un objet placé au loin, sem- 
blerait, ux yeux du vulgaire, indiquer un objet plus 
rapproché d'elle et situé dans la même direction. 
En résumé, l'homme ne fait jamais que ce qu'il 
veut, et pourtant il agit toujours nécessairemen . 
La raison en est qu'il est déjà ce qu'il veut: car de 
ce qu'il est découle naturellement tout ce qu'il fait. 
Si l'on considère ses actions objectivement ^ c'est- 
Jidire par le dehors, on reconnaît apodictiquement 
que, comme celles de tous les êtres de 7a nature, 
elles sont soumises à la loi de la causalité dans toute 
sa rigueur; su&jectti;emenf, par contre, chacun sont 



CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 195 

qu'il ne fait jamais que ce qu'il veut. Mais cela 
prouve seulement que ses actions sont l'expression 
pure de son essence individuelle. C'est ce que sen- 
tirait pareillement toute créature, même la plus 
infime, si elle devenait capable de sentir i. 

La liberté n*est donc pas supprimée par ma so- 
lution du problème, mais simplement déplacée et 
reculée plus baut, à savoir en dehors du domaine 
des actions individuelles, où Ton peut démontrer 
qu'elle n'existe pas, jusque dans une sphère plus 
élevée, mais moins facilement accessible à notre 
intelligence — c'est-à-dire qu'elle est transcendan- 
tale. Et telle est aussi la signification que je voudrais 
voir attribuer à cette parole de Malebranche : c La 
liberté est un mystère, :» sous l'égide de laquelle la 
présente dissertation a essayé de résoudre la ques- 
tion proposée par l'Académie Royale. 

1. Il y a là une idée profonde que Schopenhauer a évité 
de développer, sans doute parce qu'il reconnaissait qu'elle 
appartient en propre à Schelling et à Hegel. — c La 
liberté est la nécessité comprise. » (Hegel.) — c Tout 
être, aussitôt qu'il devient sujet, convertit la détermina- 
tion en spontanéité, la nécessité en liberté. » (Schelling] 



PIN. 



APPENDICES 
I 

POUR SERVIR DE COMPLÉMENT AU PREMIER 

CHAPITRE. 

En conséquence de la distinclion établie par nous 
dès le commencement de cet ouvrage entre la liberté 
physique, la liberté intellectuelle et la liberté morale, 
il me reste encore, après avoir achevé de traiter de 
la première et de la dernière, à examiner la seconde^ 
ce que je ne ferai que par le désir d'être complet, et 
avec le plus de brièveté possible. 

L'entendement, ou faculté cognitive, est le médium 
des motifs, c'est-à-dire Tintermédiaire par lequel ils 
agissent sur la volonté, qui est à proprement parler 
le fond même (le noyau) de Thomme. Ce n'est qu'au- 
tant que cet intermédiaire entre les motifs et la vo- 
lonté se trouve dans un état normal, accomplit régu- 
lièrement ses fonctions et présente au choix de la 
volonté les motifs dans toute leur pureté, tels qu'ils 
existent dans la réalité du monde extérieur ^, que 

1. Reid objecterait, avec infiniment de raison , que les 
motifs n*ont aucune valeur indépendamment de nous, et que 
parler des motifs e tels qu'ils existent dans le monde exté- 
rieur, » c'est perdre de vue qu'un objet quelconque ne de« 
vient motif que par rapport à un entendement qui le con- 
çoit de telle ou telle façon. C'est le cas de répéter l'adage 
scolastique : « Causa finalis agit non secundùm suum 
esse reale^ sed secundùm suum esse cognitum, » — Il y 8 
là d'ailleurs le germe d'une question extrêmement déli- 
cate, pour laquelle je me permets de renvoyer au cha- 
pitre 1" du Livre III de la Morale de M. Janet, et que 
Fichte tranchait par cette maxime : « Agis toujours 
suivant la conviction actuelle que tu as de ton devoir. » 



APPENDICE I 197 

celle-ci peut se décider conformément à sa nature, 
c'est-à-dire au caractère individuel de Thomme, et par 
suite se manifester sans obstacle, diaprés son essence 
particulière : en ce cas Thomme est intellectuelle- 
ment libre, ce qui signifie que ses actions sont le ré- 
sultat véritable et non altéré de la réaction de sa 
volonté sous Tinfluence des motifs, qui, dans le monde 
extérieur, sont présents à son esprit comme à celui 
de tous les hommes. Par suite, elles lui sont alors 
imputables moralement aussi bien que juridiquement. 
Cette liberté intellectuelle est abolie : !• Lorsque 
rintermédiaire des motifs, Tentendement, est troublé 
pour toujours ou seulement passagèrement; 2* Lors» 
que des causes extérieures, dans certains cas parti- 
culiers, allèrent la conception nette des motifs. Le 
premier cas est celui de la folie, du délire, du pa- 
roxysme, de la passion, et de la somnolence qui ré^ 
suite de Tivresse ; le second est celui d'une erreur 
décidée et innocente, comme celle d'un homme qui 
verserait à boire à un autre un poison au lieu d'un mé- 
dicament, ou qui, voyant entrer de nuit un domestique 
dans sa chambre, le prendrait pour un voleur et le 
tuerait, — et autres accidents semblables. Car dans 
l'un et l'autre de ces cas les motifs sont altérés, et la 
volonté ne peut pas se décider comme elle le ferait 
dans les mômes circonstances , si Tintelligence les 
lui présentait sous leur aspect véritable. Les crimes 
commis dans de telles conditions ne sont pas légale- 
ment punissables. Car les lois partent de cette juste 
présomption, que la volonté ne possède pas la liberté 
morale (auquel cas on ne pourrait pas la diriger) ; — 
mais qu'elle est soumise à la contrainte nécessitante 
des motifs ; cest pourquoi, à tous les mobiles pos- 



498 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

sibles qui peuvent exciter au crime, le législateui 
s'efforce d*opposer, dans les punitions dont il le me- 
nace, des motifs contraires plus puissants. Un code 
pénal n'est pas autre chose qu'un dénombrement de 
motifs propres à tenir en échec des volontés portées 
au mal ^ Mais s'il est arrivé que rintelligence, par 
rintermédiaire de laquelle les motifs opposés doi- 
vent agir, s'est trouvée momentanément incapable 
de les concevoir et de les présenter à la volonté, 
alors leur action devenant impossible, ils ont été 
pour l'esprit comme s'ils n*existaient pas. C'est 
comme lorsqu'on découvre qu'un des fils qui devaient 
mouvoir une machine est rompu. En pareil cas, la 
responsabilité passe de la volonté à l'intelligence; 
mais celle-ci ne peut être soumise à aucune péna- 
lité : c'est à la volonté seule que le3 lois s'adressent, 
ainsi que toutes les prescriptions de la morale. La 
volonté seule constitue Thomme proprement dit; 
l'intelligence est simplement son organe, ses anten- 
nes dirigées vers le dehors, c'est-à-dire rintermé- 
diaire entre les motifs et la volonté *. 

Au point de vue moral, de telles actions ne nous 
sont pas plus imputables qu'au point de vue juridi- 
que. Car elles ne constituent pas un trait du carac- 
tère de r homme : ou bien il a agi autrement qu'il ne 
méditait de le faire, ou bien il était incapable de 
réfléchir à ce qui aurait dû le détourner de cet acte, 
c'est-à-dire d'être touché par les motifs contraires. 
De même, lorsqu'on soumet un corps que l'on veut 
analyser chimiquement à l'action de plusieurs réac- 
tifs, pour voir avec lequel il a la plus puissante af- 

1 Cf. Fouillée, ouvr, cit., p. 26. 
2. V. Ribot, ouvr. cit., n. 69-73. 



APPENDICE I d99 

finité, si l'on trouve, l'expérience faite, que par. l'in- 
tervention d*un obstacle fortuit une des substances 
n'a pas pu réagir, l'expérience est considérée comme 
absolument sans valeur. 

La liberté intellectuelle, que nous avons vue com- 
plètement supprimée dans les exemples précédents, 
peut dans d'autres cas n'être que diminuée ou abolie 
partiellement. C'est ce qui arrive surtout dans 
rivresse et dans la passion. La passion est l'excita- 
tion soudaine, violente de la volonté S par une re- 
présentation qui pénètre par le dehors et acquiert la 
force d'un motif; cette représentation possède une 
telle vivacité qu'elle obscurcit et ne laisse pas arri- 
ver jusqu'à Tentendement toutes celles qui pour- 
raient agir contrairement en tant que motifs oppo- 
ses. Ces représentations, qui sont pour la plupart 
d^une nature abstraite, de simples pensées, tandis 
que celle qui excite la passion est quelque chose de 
présent et de sensible, ne peuvent pas influer au 
même titre sur le résultat final et n*ont donc pas ce 
que les Anglais appellent c fair piay i (jeu équitable, 
chances égales). L'action se trouve déjà accomplie, 
avant qu'elles puissent agir en sens contraire. C'est 
comme lorsque dans un duel un des adversaires tire 
avant le commandement. Ici encore, la responsabilité 

1. C'est plutôt lé contraire qui est le vrai. L'état pas- 
sionné, c'est-à-rdire la prédominance d'un désir « exalté 
par l'imagination et nourri par l'habitude », correspond à 
une abdication passagère de la volonté, plutôt qu'à son 
degré de puissance le plus élevé, qui a lieu dans la calme 
possession de soi. Il est juste d'ajouter que la volonté, 
telle que l'entend ici Schopenhauer, équivaut presque au 
6i3{jLoc de Platon, pour lequel il est si difficile de trouver 
un équivalent dans notre langue. 



200 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

juridique et morale est, selon les circonstances, plus 
ou moins abolie, mais elle subsiste toujours en par- 
tie. En Angleterre, un meurtre commis dans un état 
de surexcitation complète et sans la moindre ré- 
flexion, dans la violence d'une crise de colère subi- 
tement provoquée, est qualifié de manslaughter (ho- 
micide) et puni d'une peine légère, ou même parfois 
absous. — L'ivresse est un état qui prédispose aux 
passions, parce qu'il augmente la vivacité des repré- 
sentations sensibles, en affaiblissant par contre la 
pensée in abstracto, et accroît en outre Fénergie de 
la volonté. A la responsabilité des actions mêmes se 
substitue ici la responsabilité de Tivresse : et c'est 
pourquoi les délits commis dans cet état ne restent 
pas complètement impunis en justice, bien que la 
liberté intellectuelle y soit en partie supprimée ^ 

Aristote, dans VÉthique à Eudème (II, c. 7 et 9) 
et avec un peu plus de détail dans VÉthique à iVico- 
maque (III, c. 2], parle déjà, quoique d'une fagon 
très-sommaire et très-insuffisante , de cette liberté 
intellectuelle, ih lxou(riov xal àxoudiov xarà Stavoiav 2. -« 
C'est elle qui est en question, lorsque la médecine 

1. Aristote a admirablement traité cette question de droit: 
il a vu que si Ton n'est pas directement responsable des 
actes commis dans l'ivresse ou dans la passion, on peut 
cependant être rendu responsable de cette irresponsahilité 
même. V. Éthique à Nicomaque, liv. III, ch. 6. 

2. c Tout ce qu'on fait librement, on le fait en le vou- 
lant ; et tout ce qu'on fait en le voulant, on le fait libre- 
ment. x> {Éthique à Eudème.) Schopenhauer est très- 
injuste envers Aristote, qui n'a pas confondu, comme il 
le prétend, la volonté avec la liberté : il dit même expres- 
eément (Éthique à Eudème, II, VII, 11) : < Il nous parait 
impossible de confondre la volonté et la libertéo » V. la 
préface de M, Barthélémy St-Hilaire. 



APPENDICE I 201 

légale et la justice criminelle se demandent si un 
criminel était libre ^ et par suile responsable, au mo- 
ment où il a commis un acte. 

En résumé, on peut considérer un crime comme 
commis en Tabsence delà liberté intellectuelle, lors- 
que son auteur, au moment d'agir, ne savait pas ce 
qu'il faisait 9 ou, plus généralement, lorsqu'il était 
dans Tincapacité de concevoir ce qui aurait dû l'en 
détourner, je veux dire les conséquences (légales) 
de son acte. En ces deux cas il n'est donc pas punis- 
sable. 

Ceux qui par contre s'imaginent qu'à cause de la 
non-existence de la liberté morale et de la nécessité 
qui en résulte pour toutes les aclions d'un individu 
donné , aucun criminel ne devrait rationnellement 
être puni, partent de cette fausse idée sur la péna- 
lité, qu'elle est un châtiment des crimes en tant que 
crimes, une punition du mal par le mal, au nom de 
motifs moraux. Mais il me semble, malgré l'autorité de 
Kant, que la pénalité envisagée ainsi serait absurde, 
inutile, et absolument injustifiable. Car de quel droit 
un homme s'érigerait-il en juge absolu de ses sem- 
blables au point de vue moral, et comme tel leur in« 
fligerait-il des peines en punition de leurs fautes ? 
La loi, c'est-à-dire la menace de la peine ^ a bien 
plutôt pour but d'être un motif contraire destiné à 
balancer dans Tesprit des hommes les séductions du 
mal. Si dans un cas particulier elle manque son effet, 
elle doit mettre à exécution sa menace, parce qu* au- 
trement elle serait également impuissante dans tous 
les cas à venir. Le criminel, de son côté, souffre la 

1. Lcges,,, prœcepta minia permixta» (Sénèque.) 



S02 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

peine dans ce cas, en conséquence de la perversité 
de sa nature morale, qui sous Faction des circons- 
tances, c'est-à-dire des motifs, «t de son intelligence, 
qui lui faisait entrevoir Tespérance de Timpunité» a 
produit Faction d*une fagon inévitable. Cela posé, il 
n'y aurait injustice à son égard que si son caractère 
moral n'était pas son propre ouvrage, son acte intel- 
ligible, mais Touvrage de quelque force différente de 
lui '• La môme relation se constate entre une action 
et ses conséquences, lorsqu'une manière d'agir cou- 
pable porte les fruits qu'elle mérite, non par l'effet 
des lois des hommes, mais par celui des lois de la 
nature, par exemple lorsque des débordements in* 
fàmes amènent d'affreuses maladies, ou bien dans le 
cas où un malfaiteur, en essayant de pénétrer par 
force dans une maison, éprouve quelque mécompte 
fortuit, par exemple lorsque s'étant introduit la nuit 
dans une étable à porcs , pour en dérober les hôtes 
accoutumés, il trouve à leur place un ours, dont le 
maître est descendu la veille dans cette môme au- 
berge, et qui s'élance à sa rencontre les bras ouverts* 

1. La question de la conciliation du déterminisme et 
de la pénalité légale méritait d'être traitée avec plus de 
détail : cette conciliation, essayée par Platon et reprise 
par Spinoza, conduit, comme Ta parfaitement vu M. Fouil- 
lée, à la morale de Tintérôt, ce qui reporte de nouveau la 
question de la liberté sur le terrain de la morale. La 
cbarité, l'abnégation, l'amour, tout ce qui éloigne l'homma 
des considérations d'intérêt individuel ou collectif, seraient 
donc les faits à invoquer pour assurer, malgré les argu- 
ments qu'on a lus dans les pages qui précèdent, le triom- 
phe final de l'idée de la liberté. Voyez l'allégorie profonde, 
et tout à fait digne de Platon, qui termine la Liberté et le 
Déterminisme, un des chefs-d'œuvre, nous nous plaisons 
à le dire après bien d'autres, de la philosophie française 
au dix-neuvième siècle. 



II 



Il est essentiel, pour bien comprendre les conclusions 
du travail de Schopenhauer, de se faire une idée exacte 
de la doctrine de Kant sur la liberté. On la trouvera 
exposée et discutée avec uni talent dont l'éloge n*est plus 
à faire dans un chapitre spécial de la Morale de M. Janet. 
Puisque les traductions françaises de Kant sont très ré- 
pandues, il nous a semblé inutile d'annexer à ce volume 
les deux importants passages auxquels nous avons renvoyé 
plus haut le lecteur. Mais nous avons pensé qu'il pourrait 
être intéressant d'en reproduire une analyse faite par Scho- 
penhauer lui-même, dans sa dissertation sur le Fonder 
ment de la morale, p. 174-179. (Ce morceau, qui présente 
quelques longueurs, a été par endroits plutôt résumé que 
traduit.) 



DOCTRINE DE KANT SUR LE CARACTERE INTELLIGIBLE 
ET LE CARACTÈRE EMPIRIQUE. — THÉORIE DE LA 
LIBERTÉ. 

Hobbes le premier, puis Spinoza et Hume, ainsi 
que Holbach dans son Système de la nature, et 
enfin Priestley, qui traita la question de la fagon la 
plus exacte et la plus complète, avaient si complète- 
ment démontré et mis hors de doute l'absolue et ri- 
goureuse nécessité des volitions, sous linfluence des 
motifs, qu'elle devait dès lors être comptée au nom- 
bre des vérités les plus solidement établies. L'igno- 
rance et l'inculture seules pouvaient continuer à 
parler d'une liberté existant dans les actions indivi- 
duelles de l'homme, d'un liberum arbitrium indiffe- 
rentiœ. Kant, acceptant les arguments irréfutables 
de ses prédécesseurs, considéra la parfaite nécessité 



204 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

des vûlit'ons comme une chose entendue d'avance, 
sur le compte de laquelle on ne pouvait plus élever de 
doutes ; c'est ce que montrent tous les passages où 
il ne parle de la liberté qu'au point de vue théorique. 
Mais il restait vrai, d'autre part, que tous nos actes 
sont accompagnés de la conscience de notre pou- 
voir sur nous-mêmes, de notre causalité personnelle, 
ainsi que de celle de leur originalité K Grâce à ce sen- 
timent intime, nous les avouons comme notre œuvre 
propre, et chacun, avec une sécurité infaillible, se 
croit le véritable auteur de ses actes et moralement 
responsable de ce qu'il fait. Mais puisque la respon- 
sabilité présuppose la possibilité d'avoir agi autre- 
ment, et par suite la liberté, il s'en suit que le senti- 
ment de la liberté est implicitement contenu dans 
celui de la responsabilité. Pour résoudre cette appa- 
rente contradiction, Kant appliqua sa profonde dis- 
tinction entre le phénomène et la chose en soi, qui 
-est le caractère dominant de toute sa philosophie et 
en constitue le principal mérite. La clef longtemps 
cherchée était enfin découverte. 

L'individu, avec son caractère immuable et inné, 
rigoureusement déterminé dans toutes ses manifes- 
tations par la loi de causalité qui apparaît chez les 
êtres intelligents sous la forme de la motivation, est 
seulement un phénomène, La chose en soi qui lui 
sert de substratum est, en tant que située hors de 
l'espace et du temps, une et immuable, affranchie de 
la succession et de la pluralité *. Son essence en 
soi est le caractère intelligible, également présent 

1. UrspruengUchkeit. 

2. Pour Schopenhauer, le temps et l'espace sont les 
principia individnationis. (V. Schopenhauer etFrauenstœdti 
dans la Revue Philosophique du l^r mars 1876;. 



appenHice II 205 

dans tous les actes de Tindividu et imprimé en eux 
comme un chiffre sur mille cachets ; c'est lui qui dé- 
termine le caractère empirique, lequel, en tant que 
phénomène, se révèle dans le temps et par une suc- 
cession d'actes, et qui par suite doit montrer, dans 
toutes ses manifestations que les motifs provoquent^ 
la constance invariable d*une loi naturelle. Cette 
théorie fournissait encore une explication rationnelle 
et vraiment philosophique de celte invariabilité, de 
cette constance inflexible du caractère empirique de 
tout homme, que les penseurs sérieux avaient de tout 
temps constatée, tandis que les autres sMmaginaient 
qu'on pouvait transformer le caractère d'un individu 
par des leçons de morale. Ainsi la philosophie était 
mise d'accord avec l'expérience, et n'avait plus à 
rougir devant la sagesse populaire, qui avait depuis 
longtemps énoncé cette vérité dans le proverbe espa- 
gnol : Lo que entra con el capillo, sale con la mor" 
iaja (ce qui entre avec la casquette, s'en va avec le 
linceul) ; ou bien : Lo que en la lèche se marna, en 
la mortaja se derrama (ce que l'on suce avec le 
lait, on le déverse dans le linceul). 

Cette doctrine de Kant sur la coexistence de la 
iberté et de la nécessité me parait être ce que Tes- 
prit humain a jamais produit de plus imposant et de 
plus profond. Elle et l'esthétique transcendantale sont 
les deux grands diamants dans la couronne de la gloire 
kantienne, qui brillera d'un éclat éternel.... 

On peut se faire une idée encore plus nette de 
cette doctrine de Kant et de l'essence de la liberté, 
en les reliant à une vérité générale, dont l'expres- 
sion la plus complète me parait être ce principe 
souvent exprimé par les scolastiques : Operari 

8CH0PENHAUER. 12 



206 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

sequitur esse ; c'est-à-dire que chaque être dans le 
monde agit conformément à son essence, dans la- 
quelle toutes ses manifestations actives sont déjà 
contenues en puissance (potentiâ), mais ne passent 
k Tacte (actum) que lorsque les causes extérieures 
les y déterminent; et ce sont ces manifestations 
mêmes qui font connaître Tessence dont elles éma- 
nent. Cette essence est le caractère empirique, 
tandis que la raison dernière de celui-ci, inaccessi- 
ble à l'expérience, est le caractère intelligible, c'est- 
à-dire Tessence en soi de cet objet. L'homme ne fait 
point d'exception au reste de la nature : lui aussi a 
un caractère invariable, qui cependant est tout indi* 
viduel et varie d'un homme à l'autre. Toutes les 
actions d'un individu, déterminées dans leurs condi- 
tions extérieures par les motifs, doivent toujours 
rester (moralement) conformes à ce caractère im- 
muable et individuel : chacun doit agir comme il est. 
C'est pourquoi, dans chaque cas particulier, un 
homme donné ne peut faire qu'une seule action: 
operari sequitur esse. La liberté n'est pas un attri- 
but du caractère empirique, mais seulement du 
caractère intelligible. Uoperari d'un homme donné 
est déterminé extérieurement par les motifs, et inté- 
rieurement par son caractère : aussi tout ce qu'il 
fait^ il le fait nécessairement. Mais c'est dans son 
Esse que la liberté réside. Il aurait pu être autre- 
ment qu'il n*est ^ : et c'est à ce qu'il est actuelle- 
ment, qu'incombe le mérite ou le démérite. Car 

1. Il y a là, ce me semble, quelque confusion entre 
racceplion objective et racception subjective du mot pou- 
voir, l'une impliquant la simple possibilitéi et l'autre la 
puissance effeciive. 



APPENDICE II 207 

toutes ses actions découlent naturellement de son 
essence; comme de simples corollaires d'un principe. 

La théorie de Kant nous fait enfin revenir de cette 
erreur fondamentale, qui plaçait la nécessité dans 
VEsse et la liberté dans VOperari, et nous fait 
comprendre que c'est le contraire qui est le vrai... 
Qu'un homme soit tel et non awfre, ce que Tensem- 
ble même de ses propres actions lui apprend — 
voilà ce dont il se sent responsable : c'est là, c'est 
dans l'Esse que se trouve l'endroit que l'aiguillon de 
la conscience atteint. Car la conscience n'est préci- 
sément que la connaissance de plus en plus intime 
que notre manière d'agir nous donne du moi propre. 
C'est pourquoi la conscience, à Voccasion de nos 
actions, accuse au fond notre nature morale. VOpe- 
taxi appartient au domaine de la nécessité. Nous- 
mêmes nous n'apprenons à nous connaître qu'empi- 
riquement, comme les autres hommes, et nous n'a- 
vons de notre caractère aucune connaissance à priori. 
Bien plus, il arrive tout d'abord que nous avons de 
nous-mêmes une opinion très-haute, et devant notre 
tribunal intérieur la maxime qui&que prœsumitur 
bonus, donec probetur contrarium vaut tout aussi 
bien que devant les tribunaux criminels. 

Celui qui est capable de reconnaître, même sous 
les formes les plus diverses qu'elle peut revêtir, 
l'essence d'une idée et ses traits distinctifs, pensera 
avec moi que cette doctrine de Kant sur le carac- 
tère intelligible et empirique est une idée qui avait 
déjà frappé Platon, mais que Kant le premier a su 
élever à la clarté abstraite et vraiment philosophi- 
que. Car Platon^ n'ayant pas reconnu l'idéalité du 
temps, ne pouvait exposer cette doctrine que sous 



208 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE 

une forme mythique et en la rattachant à la mé- 
tempsycose. Mais on reconnaîtra avec encore plus 
d'évidence Tidentité des deux doctrines, en lisant 
l'explication du mythe platonicien telle que Porphyre 
Ta développée, avec tant de précision et de netteté 
que sa concordance avec la théorie abstraite de 
Kant s'impose inévitablement à l'esprit. Ce passage 
de Porphyre, dans lequel il commente tout spéciale- 
ment le mythe placé par Platon dans la seconde 
partie du dixième livre de la République, appartient 
à un ouvrage qui n'est pas parvenu jusqu'à nous : 
mais Stobée nous Ta conservé en entier au deuxième 
livre de ses Eclogae^ (chap. 8, §§ 37-40). Pour en- 
gager le lecteur curieux à lire dans Stobée les pages 
indiquées, qui sont du plus haut intérêt, je vais rap- 
peler ici le court § 39 ; il fera reconnaître que ce 
mythe de Platon peut être considéré comme une 
forme allégorique de la grande et profonde théorie 
que Kant a établie, dans sa pureté abstraite, sous le 
titre de Doctrine du caractère intelligible et du carac- 
tère empirique, — et que par suite l'esprit humain 
était parvenu à cette vérité depuis des milliers d'an- 
nées, et même peut-être bien avant Platon, puisque 
Porphyre est d'avis que Platon lui-même l'a regue 
des Égyptiens. D'ailleurs elle se trouve déjà con- 
tenue dans la doctrine de la métempsycose du 
brahmanisme, qui est, selon toute probabilité^ la 
source de la sagesse des prêtres égyptiens. Voici la 
traduction du paragraphe en question : « La pensée 
de Platon, prise dans son ensemble, me parait être 

1. Les Eclogœ étaient une des lectures favorites de 
Schopenhauer. Il en existe un exemplaire couvert de notes 
marginales de sa main. 



APPENDICE II 209 

la suivante : les âmes, avant d'entrer dans des corps 
et d'être soumises à des genres de vie déterminés, 
ont la liberté de choisir telle existence ou telle 
autre, qu'elles devront mener ensuite dans le corps 
particulier qui convient à chacune d'elles ; en sorte 
qu'elles peuvent choisir la vie d'un lion^ aussi bien 
que celle d'un homme. Mais une fois qu'elles se sont 
décidées pour un genre d'existence déterminée, cette 
liberté leur est enlevée. Puis^ quand elles sont des- 
cendues dans les corps, et que d'âmes libres elles 
sont devenues les âmes d'animaux, elles obtiennent 
le degré de liberté qui convient à la nature de chaque 
animal. Or cette liberté peut être tantôt très-intelli- 
gente et très-mobile S comme chez Thomme, tantôt 
restreinte et peu mobile, comme chez la plupart des 
autres animaux. Elle dépend étroitement de la nature 
de chaque animal, et bien qu'elle se meuve par elle- 
même ^, elle est dirigée par les instincts qui résultent 
de cette nature '. > 

1. ne^vouv xKi iroAuxcvKirày.... ènyonttunràv xkI iMvoxfiénov, 

2. Kcveû/Acvov /Aèv IÇ aOroO. — Platon appelle souvent Tâine 
oLVTOMvnrbç. (Vis 8ui motrix.) 

3. Tacite, dont Téducation philosophique fut certaine- 
ment platonicienne, fait quelque part à la môme doctrine 
une aUusion très- claire qui n'a pas été assez remarquée : 
c Alii fatum quidem congruere relus putant, sed non e 
vagis slellis, verùm apud principia et nexus naturalium 
causarum : ac tamen electionem viiœ nohis relinquunt, 
quant ubi eîegeris, certum imminentium ordinem, » (Ânn. 
VI, XXII.) On trouvera ce point développé avec quelque 
détail dans une étude sur La Philosophie de Tacite {Revue 
de l'Instruction Publique, du 29 janvier 1876). 

FIN DES APPENDICES. 



TABLE DES MATIERES 



AVERTISSEMENT V-VIII 

CHAPITRE PREMIER. — Définitions, !«> De la liberté. 
Distinction entre trois genres de libertés. Réduc* 
tion du concept de la liberté au concept général de 
l'absence de nécessité. — Définition de la néces- 
* site. Distinction entre trois genres de nécessités. 
Affirmation fondamentale de la liberté morale. — 
2» De la conscience. — Distinction entre la cons- 
cience et la perception extérieure. La volonté est 
l'objet essentiel et môme exclusif de la conscience. 1-22 

CHAPITRE II. — La volonté devant là conscience, 
— Chaque volition a un objet qui en est la cause 
et la matière. — Le témoignage de la conscience 
nous atteste, non pas notre libre arbitre, mais 
notre pouvoir personnel sur nos organes. C'est une 
affirmation hypothétique de notre pouvoir d'agir, et 
non une affirmation catégorique de notre pouvoir 
de vouloir. — L'examen de ce témoignage nous 
autorise donc à répondre négativement à la ques- 
tion de l'Académie Royale : reste à confirmer cette 
réponse par une conclusion à non esse ad non 
posscy en démontrant la non-existence de la liberté 
morale 23-48 



TABLE DES MATIÈRES 2U 

CHAPITRE III. — La voknté devant la perception 
extérieure, — Le principe de causalité, considéré 
comme la forme la plus généiale de notre enten- 
dement. — Trois formes de ce principe, la causa- 
tion, l'excitation et la motivation. Leurs carac- 
tères distinctifs. — Différenciation prorgessive de 
la cause et de l'effet à mesure qu'on s'élève dans 
la série des êtres. — La volonté, instrument de 
cette transformation chez les animaux supérieuis. 
Nécessité absolue de tous les effets, — Croyance 
implicite des hommes à l'action nécessitante des 
motifs. — Origine psychologique de Tillusion qui 
nous fait croire au libre arbitre. Si l'on admet le 
libre arbitre, chaque action humaine est un effet 
sans cause. — Tout phénomène est le produit de 
deux facteurs : la cause et le caractère de l'objet 
modifié. — Application de cette loi générale à 
l'homme : le caractère et les motifs. — Le carac- 
tère de l'homme est individuel, invariable et inné. 
Les vices et les vertus sont innés. — Le libre 
arbitre implique l'hypothèse d'une existence sans 
essence. — Sophisme de Buridan. — Témoignages 
du Dante et d'Aristote. — Inconséquence de Leib- 
niz et de ses imitateurs. — L'anticipation de l'ave- 
nir rendue impossible par le libre arbitre 49-1 

CHAPITRE IV. — Tous les grands penseurs se sont 
rangés à Vidée déterministe, — Jérémie. — Luther. 

— Aristote. — Cicéron. — Le Livre des Macchabées. 

— Passage de saint Clément d'Alexandrie. — Opi- 
nion de saint Augustin. — Vanini. — Hume. — 
Kant. — Retour sur saint Augustin. — Citations de 
Hobbes. — Spinoza. — Passages de Hume et de 
Priestley. — Voltaire. — Distinction de Kant entre 
le caractère einpirique et le caractère intelligible. 

— Critique du livre de Schelling. — Invectives 
contre la philosophie de son temps. — Philosophie 
française : Maine de Biran et Victor Cousin. — 
Opinion des poètes : Shakespeare. — Waller Scott*. 

— Gœthe. —Schiller 127-178 

CHAPITRE V. — Conclusion et considération plus 
haute, — Sentiment de la responsabilité morale. -*- 



212 TABLE DES MATIÈRES 

Ce sentiment porte sur le caractère et non sur les 
actes. — La responsabilité comme la liberté rési* 
dent dans YEsse et non dans VOperari, — Exposi- 
tion de la doctrine de Kant. — Transcendantalité 
de la liberté morale 179-195 

APPENDICE I. — De la liberté intellectuelle. — La 
liberté intellectuelle consiste dans la possibilité de 
Faction des motifs sur la volonté. — Cas où elle 
est supprimée. — Fondement rationnel de la péna- 
lité. Conciliation des peines légales et du détermi- 
nisme 196 202 

APPENDICE II. — Exposition de la théorie de Kant 
sur la liberté, empruntée à la Dissertation sur les 
Fondements de la Morale, par Sc^openbauer. — 
Passage très - important de Porphyre , cité par 
Stobée 203-209 



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li'apereeptlon du eorps humain par la eonsdenee. 1 vol. 
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I<e pessimisme, traduit de l'anglais par MM, A. Bert et GAliAlD. 
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MAUDSLEY. 
iM pathologie de Tesprlt, traduit de l'anglais par M. GinmiD, 
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sir G. Comewal Lewis, 1 vol. in-8, traduit de l'anglais 7 fr. 

Histoire de l'Angleterre, depuis la reine Anne jusqu'à nos jours, par 

H. Reynald. 1 vol. in-18 8 50 

Lis quatre Georges, par Thackeray, trad. de l'anglais par Lefoyer. 1 vol. 

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La Constitution anglaise, par W. Bagehot, traduit de IHmglais. 1 vol. 

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Lombart-Street, le marché financier en Angleterre, par W. Bagehot. 1 vol. 

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Lord Palmerstom et lord Russel, par Aug. Laugel. 1 volume in-18 

(1876) 3 50 

Questions constitutionnelles (1873-1878).— Le Prince-Epoux.— Le Droit 

électoral, par'E. W. Gladstone. Traduit de l'anglais, et précédé d'une 

introduction, par Albert Gigot. 1 vol. in-8 5 fr. 



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taille de Sadowa. par Bug. Viron. i vol. iii-18 3 50 

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par Bug, Yéron. 1 vol. ia-18 350 

L'Allemagne contemporaine, par Bd. BourloUm. 1 «oL iii-18. ... 3 50 

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par L. Asieline. 1 volume in-i8 . 3 50 

Histoire des Hongrois et de leur littérature politique, de 1790 à 4815, par 
Bd. Sayous. 1 vol. in-18 3 50 

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L'Espagne contemporaine, journal d'un voyageur, par Lotiia TnU. 1 toi. 

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Histoire de l'Espagne, depuis la mort de Charles III jusqu'à nos 

jours, par H. Reynald. i vol. in-18 3 50 

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La Russie contemporaine, par Herbert Barry , traduit de l'anglais. 1 voL 
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Histoire contemporaine de la Russie, par M. Crihange. 1 volume 
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madame Julei Favre, et précédé d'une Introduction de M. Jules Favre, 
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Histoire de l'Amérique du Sud, depuis sa conquête jusqu'à nos jours, par 
Alf. Deberle. 1 vol. in-i8 3 50 

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Cohn. 1 vol. in-18 (Sot** preue,) 

Les Etats-Unis pendant la guerre, 1861-1864. Souvenirs personnels, 
par Aug. Laugel. 1 vol. in-18 3 50 



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xvrii* siècle. 2 vol. in-18, chaque volume 3 50 

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14. WHITNEY. I^a vie du langase. 1 vol. in-8. 3« édit. 6 fr. 

15. GOOKE ET BERKELEY. I<es ehamplsnons. 1 vol. in-8, avec 

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17. BERTHELOT. I.a synthèse ehlmlque. 1vol. in-8. i^ éd. 6 frl 

18. VOGEL. Ea i^hotosraphle et la ehimle de la lumière, avec 

95 figures. 1 vol. in-8. 2^ édition. 6 fr. 

19. LUYS. liO eerveau et ses fonetlons, avec figures. 1 vol. 

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20. STANLEY JEVONS. i^a monnaie et le méeanlsme de ré- 

ehanse. 1 vol. in-8. 2* édition. 6 fr. 



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22. GÉNÉRAL BRIALMONT. M.em camps retranchée ot leur rèle 

dans la défense des États, avec fig. dans le texte et 
2 Iplanches hors texte. 2" édit. 6 fr. 

23. D£ QUATREFAGES. I^'espèee humaine. 1 vol. in-8. G** édition. 

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Causes physiologiques de r harmonie musicale, i vol. in-8, avec 
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25. ROSENTHAL. i«es nerfs et les muscles. 1 vol. in-8, avec 

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27. WURTZ. M.m théorie atomique. 1 vol. in-8. 3» édition. 6 fir. 
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35. HERBERT SPENGER. I.es l»ases de la morale évoiution- 

niste. 1 vol. in-8. 6 fr. 

36. HUXLEY. i<-écreirisse^ introduction à Tétude de la zoologie. 

1 vol. in-8, avec figures. 6 fr. 

37. DE ROBERTY. He la socioloffie. 1 vol. in-8. 6 fr. 

38. ROOD. Théorie scientifique des couleurs. 1 vol. in-8 

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39. DE SAPORTA et MARION. i^'évolution du rèsne Tésétai 

(les cryptogames). 1 vol. in-8 avec figures. 6 fr. 

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— 12 — 

Euntri Humnini sn us uns k cKnmnn 

DE LA DÉFENSE NATIONALE 

DÉPOSITIONS DES TÉMOCVS : 

TOME PREMIER. Dèpotitioiis d« MM. Tkiers, aarédUl Mae-Mahoa.maiéekd 
LeScenf, Bened«tti, due de Gramont, de Talhooèt, «aind Risaalt de Geaooilfy, 
beroD J^r6me Darid, général de Paiikao, Jules Brame, Dréolle, «te. 

TOME II. DépositioDs de MM. de Chandordjf Lainier, Creasoa, Dréo, Reae, 
Rampoot, Steeoaekers, Femiqne, Robert, Schneider, Baffet, LebreUm et Hébert, 
Bellaoçé , colonel Alaroine , Gerrais, Bécherelle , Ri^mb, Moller, Bootafoj, 
Mejer, Clément et Simonnean, Fontaine, Jacob, Lemaîre, PetettB,Gajot-MoB^ay- 
rotiz, général Soamaio, de Legge, colonel Vabre, de Crîsenoj, colonel Ibos, etc. 

TOME m. Dépositions militaires de MM. de Frejeinet, de Serres, le général 
Lefort, le général Dncrot, le général Vinoj, le Ueatenant de Taissean Farcj, 
le commandant Amet, l'amiral Pothnan, Jean Bmnet, le général de Bean- 
fort-d'Hantponl, le gént^ral de Valdan, le giènéral d'Aorelle de Paladines, le géné- 
ral Chanzy, le général Martin des Pallières, le général de Sonis, etc. 

TOME lY. Dépositions de MM. le général Bordone, Mathieu, de Laborie, Lace- 
Villiard, Castillon, Debosschère, Darcy, Chenet, de La Taille, Baillehaehe, de 
Grancey, L'Hermite, Pradier, Middleton, Frédéric Morin, Thoyot, le maréchal 
Baxaine, le général Bojrer, le maréchal Canrobert, etc. Annexe à la dépositioa 
de M, Testebn, note de M. le colonel Denfeit, note de la Commission, etc. 

TOME V. Dépositions complémentaires et réclamations. — Rapports de la 

Sréfectnre de police en 1870-1871. — Circulaires, proclamations et bolletini 
n Goaremement delà Défense nationale. — Suspension du tribunal de la Rochelle; 
rapport de M. de La Borderie ; dépositions. 

ANNEXE AU TOME V. Deuxième déposition de M. Cresson. ÉTénements 
de Nîmes, affaire d'Ain Tagout. — Réclamations de MM. le gén&ral Bellot et 
Bngelhart. — Note de la Conunission d'enquête (1 £r.). 

RAPPORTS : 

TOME PREMIER. M. Chaperj les procès-Terbanx des séances du Goaver- 
nement de la Défense nationale. •— M. de Sugnyy les événements de Lyoa 
f ous le Gonr. de la Défense nat. — M. de Rettéguier^ les actes du Gour. de la 
Défense nat. dans le sud-ouest de la France. 

TOME II. M. Saint-Marc Girardiriy la chute du second Empire. — M. de 
Sugnyy les éréoements de Marseille sons le Gout. de la Défense nat. 

TOME III. M. le comte Daruy la politique du Gouvernement de la Défense 
nationale à Paris. 

TOME IV. M. Chaper, de la Défense nat. an point de vue militaire à Paris- 

TOME V. Boreau-Lajanadiey l'emprunt Morgan. — M. de la Borderie^ le oamp 
de Conlie et l'armée de Bretagne. — M. de la Sicotièrei l'affaire de Dreux. 

TOME VI. M. de Rainneville, les actes diplomatiques du Gout. de la Défense 
nat. — M. ^ . Lallii, les postes et les télégraphes pendant la guerre. — M. Z>eIioI, 
la ligne du Sud-Ouest. — M. Perrot, la défense en province (V* partie). 

TOME VII. M. Perrotf les actes militaires du Gour. de la Défense nat» eo 
proTince {impartie: Expédition de l'Est). 

TOME VIII. M. de la Sicotière, sur l'Algérie. 

TOME IX. Algérie, dépositions des témoins. Table générale et analytique 
des dépositions des témoins avec renvoi aux rapports (10 fir.)* 

TOME X. M. Boreau'Lajanadie, le Gonyemement de la Défense nationale à 
Tours et à Bordeaux (5 fr.). 

PIÈCES JUSTIFICATIVES : 
TOME PREMIER. Dépêches télégraphiques officielles, première partie 
TOME DEUXIÈME. Dépêches télégraphiques officielles, deuxième partie. — 
Pièces Jnstificatives du rapport de M. Saiut-Marc Girardin. 

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nationale , se vendant séparément : 

E. RESSÉGUIEH. — Toulouse sous le Gouv. de la Défense nat. Id-4. 2 fr. 50 

SAINT-MARC GIRARDIN. — La chute du second Empire. In-4. 4 fr. 50 

Pièces justificatives du rapport de M, Saint-Marc Girardin. i vol. in-4. 5 fr. 

DE SUGNY. — Marseille sous le Gouy. de la Défense nat. Id-4. 10 fr. 

DE SUGNY. — Lyon sous le Goût, de la Défense nat. In-4. 7 fr. 

DARU. — La politique du Gouv. de la Défense nat. à Paris. In-4. 15 fr. 

CHAPER.-^Le Gouy. delà Défense à Paris an point de yue militaire. In-4. 45 fr. 

CHAPER. -^Procès-verbauz des séances du Gouv. de la Défense nat. In-4. 5 fr. 

DOREAU-LAJANADIE. — L'emprunt Morgan. In-4. 4 fr. 50 

DE LA BORDERIE. — Le camp de Conlie et l'armée de Bretagne. In-4. 10 fr. 

DE LA SICOTIÉRE. — L'affaire de Dreux. In-4. 3 fr. 50 

DE LA SICOTIÉRE. — L'Algérie sous le Gouvernement de la Défense nationale. 
2 vol. in-4. 22 fr. 

DE RAINNEYILLE. Actes diplomatiques du Gouv. de la Défense nat. 1 vol. 
in-4. 3 fr. 50 

LALUÉ. Les postes et les télégraphes pendant la guerre. 1 vol. in-4. 1 fr. 50 

DELSOL. La ligue du Sud-Ouest. 1 vol. in-4. 1 fr. 50 

PERROT. Le Gouvernement de la Défense nationale en province.2 vdl. in-4. 25 &. 

BOREAU-LAJÂNÂDIE. Rapport sur les actes de la Délégation du Gouver- 
nement de la Défense nationale à Tours et à Bordeaux. 1 vol. io 4. 5 fr. 

Dépéc?ies télégraphiques officielles. 2 vol. in-4. 25 fr. 

ProcèS'^jerbaux de la Commune. 1 vol. in-4. 5 fr. 

Table générale et analytique des dépositions des témoins. 1 vol. in-4. 3 fr. 50 

LES ACTES DU GOUVERNEMENT 

DE LÀ 

DÉFENSE NATIONALE 

(DIJ 4 SEPTEMBRE 1870 AU 8 FÉVRIER 1871) 

ENQHÊTE PARLEMENTAIRE FAITE PAR L*ASSEMBLÉE NATIONALE 
RAPPORTS DE LA COMMISSION ET DES SOUS-COMMISSIONS 

TÉLÉGRAMMES 

PIÈCES DIVERSES — DÉPOSITIONS DES TÉMOINS — PIÈCES JUSTIFICATIVES 

TABLES ANALYTIQUE, GÉNÉRALE ET NOMINATIVE 

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par volume, tous les documents distribués à V Assemblée nationale. — 
Une Table générale et nominative termine le 7* volume. 

ENQUÊTE PARLEMENTAIRE 

L'INSURRECTION DU 18 MARS 

1* RAPPORTS. — 9* DÉPOSITIONS de IfM. Thiers, maréchal Mac-Mahon, général 
Trocha, J. Favre, Ernest Picard, J. Ferry, général Le Fié, général Vinoy. colonel 
Lambert, colonel Gaillard, général Appert, Flocpet, général Cremer, amiral Saisiet, 
Schœlcher, amiral Pothnan, colonel Langlois, etc. — 3« PIÈCES JUSTIFICATIVES. 

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in-lS. 3 fr. 50 

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çois I*^ jusqu'à la Révolution française^ études médicales et his- 
toriques. 1 Yol. in-18. 3 fr« 50 

STUART MILL (J.). lia RépvMl^ne de «S49, traduit de l'ao- 
glais, avec préface par M. Sadi Gàrnot. 1 vol. in-18 (1875). 

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RffîERT (Léonce). Esprit de la Canstltiitfaii du 25 février 
1875. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 

NOËL (E.). Mémoires d'un imbécile, précédé d'une préfoce 
de M. Littré. 1 vol. in-18, 3« édition (1879). 3 fr. 50 

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PELLETAN (Eug.). Elisée, Teyase d'vM hemme i^ la r»> 
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la Révolution française. 1 v. in-18, 3*édit., 1881. 3 fr. 50 

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ses idées à travers Thistoire. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 

GHASSERIAU (Jean). Du principe autoritaire et du prin- 
cipe rationnel. 1873. 1 vol. in-18. 3 fr. 50 
MAQUET (Alfred). lia République radicale. In-1 8. 3fr. 50 
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— 15 — 
BIBLiIOTHIÉQUE UTIiiJEî 

LISTE DES OUVRAGES PAR 0R1>RE D'APPARITION 

Le vol. de 190 p., br., 60 cent. — Cart. à Tangl.,,! fc 

i. — Morand. Introd. à l'étude des Sciences pkysiquef. 2^ édit. 

II. — CruTeilliier. Hygiène générale. 6^^ édition. , 

III. — Corbon. De renseignement professionnel. 2^ édition. 
lY. — li. Piehat. L'Art et les Artistes en France. 3^ édition. 

V. — Bûches. Les Mérovingiens. 3^ édition. 

VI. — Bnehes. Les Garlovingiens. 

YII. — F. Morm. La France au moyen âge. 3^ édition. 

YlII. — Bastide. Luttes religieuses des premiers siècles. 4® éd. 

IJi, — Bastide. Les guerres de la Réforme. 4^ édition. 

X. — E. Pelietan. Décadence de la monarchie française. 4^ éd. 

XI. — li. Brotbier. Histoire de la Terre. 4* édition. 

XII. — jianson. Principaux faits de la chimie. 3® édition. 

XIII. — TurelL. Médecine populaire. 4^ édition. 

XIY. — Morln. Résumé populaire du Gode civil. 2^ édition». 
XY. — Balior<»wsitl. L'homme préhistorique. 2® édition. 
XYI. — A. «U. L'Inde et la Chine. 2« édition. 
XYIL — jiataiapr. Notions d'Astronomie. 2® édition. 
XYIII. — Cristai. Les Délassements du travail. 

XIX. — ¥^ietor Mewftier. Philosophie zoologique. 

XX. — Ci. jourdan. La justice criminelle en France. 2* édition. 

XXI. — €h. Roiland. Histoire de la maison d'Autriche. 3® édit. 

XXII. — E. Despois. Révolution d'Angleterre. 2* édition. 

XXIII. — B. Gastineau. Génie de la Science et de l'Industrie. 
XXI Y. — H. LeneTeHx. Le Budget du foyer. Economiedomestique. 
XX Y. — I4, Comlie». La Grèce ancienne. 

XXYI. — Fréd. IjOcIl. Histoire de la Restauration. 2® édition. 
XXYII. — li. Brotiiier. Histoire populaire de la philosophie. 
XXYIII. — E.Margoiié. Les Phénomènes de la mer. 4® édition. 

XXIX. — li. Collas. Histoire de l'Empire ottoman. 2® édition. 

XXX. — Zurcher. Les Phénomènes de l'atmosphère. 3® édition. 

XXXI. — E. Raymond. L'Espagne et le Portugal. 2*^ édition. 

XXXII. — Eugène lioël. Yoltaire et Rousseau. 2* édition 

XXXIII. — A. Ott. L'Asie occidentale et l'Egypte. 

XXXIY. — Ch. Richard. Origine et fin des Mondes. Z^ édition. 
XXXY. — Enfantin. La Yie éternelle. 2« édition. 
XXXYI. — £. Brotliier. Causeries sur la mécanique. 2* édition. 
XXX YII. — Alfred Doneand. Histoire de la marine française. 
XXYIII. — Fréd. l<oek. Jeanne d'Arc. 
XXXIX. — Carnet. Révolution française. — Période de création 
(1789-1792). 



— 16 — 

4 

XL. — Camot. RéTolution française. — Période de conservation 

(i792-180A}. 
XU. — Bvreher et Marcelle. Télescope et Microscope. 
XLII. — Blermy. Torrents, Fleuves et Canaux de la France. 
XLIII. — p. Seeebl, 'iroir, Briet et Delamsay. Le Soleil, les 

Ëtoiles et les Comètes. 
XLIY. — Stanley JeTons. L'Économie politique, trad. de 

l'anglais par H. Gravez. 
XLY. — EnAk Ferrière. Le Darwinisme. 2* édiL 
XLYI. — H. I^enevenx. Paris municipal. 
XLVIl. — Boillot. Les Entretiens de Fontenelle sur la pluralité 

des mondes, mis au courant de la science. 
XLYIIl. — E. ZeTort. Histoire de Louis-Philippe. 
XLIX. — Gelkie. Géographie physique^ trad. de l'anglais par 

H. Gravez. 
L. -^ aBaborowskl. L'origine du langage. 
LI. — H. Blerzy. Les colonies anglaises. 
LU. — Albert JLéwj. Histoire de l'air. 
LUI — Gelkle. La Géologie (avec figures]. 
LIV. — zaborowski. Les Migrations des animaux et le Pigeon 

Toyageur. 
LY. — F. Panlhaa. La Physiologie d'esprit (avec figures). 
LYI. — Zureher et Margelle. Les Phénomènes célestes. 
LYU. — Girard de RiaUe.Les peuples de l'Afrique et de l'Amé- 
rique. 
LYIII. — Jae^nes Bertillon. La Statistique humaine de la 

France (naissance, mariage, mort). 
LIX. — Panl Gaffarel. La Défense nationale en 1792. 
LX. — Herbert ilpencer. De Téducation. 
LXI. — Jules Bami. Napoléon I^^^. 
LXII. — Huxley. Premières notions sur les sciences. 
LXIII. — P. Bondois. L'Europe contemporaine (ITSO'-ISTO). 
LXI Y. — GroTe. Continents et Océans (avec figures). 
LXY. — Jouan. Les îles du Pacifique (avec 1 carte). 
LXVl. — Robinet. La Philosophie positive. 
LXYII. — Renard. L'homme est- il libre ? 
LXYIII. — Zaborowski. Les grands singes. 
LXIX. — Hatin. Le journal. 

LXX. Girard de Rialie. Les peuples de l'Asie et de l'Europe. 
LXXI. Doneand. Histoire contemporaine de la Prusse. 
LXX II. — Dafonr. Petit dictionnaire des falsifications. 
LXXIII. — Hennesny. Histoire contemporaine de Tltalie. 
LXXIV. — i^enevenx. Le travail manuel en France. 



— 17 — 



REVUE 

Politiqoe et Littéraire 

(Revue des cours littéraires), 

3« série.) 

Directeur : 

M. Eus. YCMC;. 



REVUE 

Scientifique 

(Revue des cours scientifiques, 

3« série.) 

Directeurs : 

MM. A. BREGIJET, 
et Ch. RICHET. 



REiriJE POIilTlOVE ET I^ITTERAIRE 

En 1871, après la guerre, la Revue des cours littéraires^ 
agrandissant son cadre, est devenue la Revue polititique et litté- 
raire. Au lendemain de nos désastres, elle avait cru de son devoir 
de traiter avec indépendance et largeur toutes les questions d'in- 
térêt public, sans diminuer cependant la part faite jusqu'alors à 
la littérature, à la philosophie, à Thistoire et à l'érudition. Le 
nombre de colonnes de chaque livraison fut alors élevé de 
32 à /18. 

Depuis le 1®' janvier 1881, des raisons analogues nous ont 
décidé à agrandir encore le format de la Revue, et chaque livraison 
contient maintenant 64 colonnes de texte. Ce supplément est con- 
sacré à la littérature d'imagination qui répondait à un besoin sou- 
vent exprimé par nos lecteurs, et c'est surtout avec la nouvelle^ 
ce genre charmant et délicat , que nous cherchons à lutter con- 
tre les tendances de plus en plus vulgaires auxquelles se laisse aller, 
sans trop y prendre garde, le goût contemporain. 

Chacun des numéros^ paraissant le samedi, contient : Un 
article politique, oCi sont appréciés, à un point de vue plus 
général que ne peuvent le faire les journaux quotidiens^ les 
faits qui se produisent dans la politique intérieure de la 
France^ discussions parlementaires, etc. 

Une Causerie littéraire où sont annoncés, analysés et jugés 
les ouvrages récemment parus : livres, brochures, pièces de 



— 18 — 

théâtre importantes, etc.; une NomMe et des articles gêogra- 
phkiaes, historiqaes, etc. 

Parmi les-ertlaborateiirs nous citerons : 

Articles politiques. — MM. de Pressensé, Ch. Bi^ot, Ànat. 
Dnnojer, Anatofe Leroy-Beauliea, Oamageran, À. Âstruc. 

Diplomatie et pays étrangers. — MM. Yan den Berg, G. de 
Yarigny, Albert Sorel, Rejnald, fjéo Quesnel, Louis Léger, 
Jesierslû, Joseph Reinach. 

Philosophie. — MM. Janet, Garo, Gli. LéTèque, Yéra, Th. Ribot, 
E. Boutroox, Nolen, Huxley. 

Morale. — MM. Ad. FranclL, Laboulaye^ Legomré^ Biuntsehli. 

Philologie et archéologie. — MM. Max Mûller, Eugène Benoist, 
L. Havet, £. Ritter, Maspéro^ George Smith. 

Littérature ancienne. — MM. Egger, Havet, George Perrot, Gaston 
Boîssier, Geffiroy. 

Littérature française. — MM. Gh. Nisard, Lenient, Bersier, Gidd, 
Jules Claretie^ Paul Albert, H. Lemattre. 

Littérature étrangère. — MM. MéiièreSy Buchner, P. Stapfer, 
A. Barine. 

Histoire. — MM. Alf. Maury^ Littré^ Alf. Rambaud, G. Monod. 

Géographie i Economie politique. — MM. Levasseur, Himly, 
Yidal-Lablache, Gaidoz^ Debidour, Alglave. 

Instruction publique. — Madame G. Goignet, MM. Bmsson, Sm. 
Beaussire. 

BeauX'-arts. — MM. Gebhart^ Justi, Schnaase, Yischer, Gh. Bigot. 
Critique littéraire. — MM. Maxime Gaucher, Paul Albert. 
Notes et impressions. — MM. Louis Ulbach, Pierre et Jean. 

Nouvelle et romans. — MM. Gustave Flaubert, Jules de Glouvet, 
Abraham Dreyfus, Ludovic Halévy, Francisque Sarcey, Tourgueneff, 
Arthur Baignières^ Quatrelles. 

Ainsi la Revue po/tït^tie embrasse tous les sujets. Elle con- 



— 19 — 

sacre à chacun une place proportionnée à son importance. 
Elle est^pour ainsi dire, une image yiyante, animée et ûdèle 
de tout le mouyement contemporain. 



nE¥IJE SCUIHTIFIQIJE 

Mettre la science à la portée de tous les gens éclairés sans 
l'abaisser ni la fausser^ et^ pour cela, exposer les grandes 
découvertes et les grandes théories scientifiques par leurs au» 
leurs mêmes ; 

Suivre le mouvement des idées philosophiques dans le 
monde savant de tous les pays ; 

Tel est le double but que la Revue scientifique poursuit de- 
puis plus de dix ans avec un succès qui Ta placée au premier 
rang des publications scientifiques d'Europe et d'Amérique. 

Pour réaliser ce programme, elle devait s'adresser d'abord 
aux Facultés françaises et aux Universités étrangères qui 
comptent dans leur sein presque tous les hommes de science 
éminents. Mais^ depuis deux années déjà^ elle a élargi son 
cadre afin d'y faire entrer de nouvelles matières. 

En laissant toujours la première place à l'enseignement 
supérieur proprement dit^ la Revue scientifique ne se restreint 
plus désormais aux leçons et aux conférences. Elle poursuit 
tous les développements de la science sur le terrain écono- 
mique, industriel, militaire et politique. 

Ainsi la Revue scientifique publie les principales leçons 
faites au Collège de France, au Muséum d'histoire naturelle 
de Paris^ à la Sorbonne, à l'Institution royale de Londres, 
dans les Facultés de France, les universités d'Allemagne, 
d'Angleterre, d'Italie, de Suisse, d'Amérique, et les insti* 
tutions libres de tous les pays. 

Elle analyse les travaux des Sociétés savantes d*Europe et 
d'Amérique, des Académies des sciences de Paris^ Vienne, 
Berlin, Munich, etc., des Sociétés royales de Londres et 
d'Edimbourg^ des Sociétés d'anthropologie, de géographie, 
de chimie, de botanique, de géologie, d'astronomie, de méde- 
cine^ etc. 

Elle expose les travaux des grands congrès scientifiques, 
les Associations française, britannique et américaine, le Congrès 



— 20 — 

des naturalistes allemands, la Société helTétique des sciences 
nature] les, les congrès internationaux d'anthropologie pré- 
historique, etc. 

Enfin, elle publie des articles sur les grandes questions de 
philosophie naturelle, les rapports de la science ayec la poli- 
tique, l'industrie et l'économie sociale, l'organisation scienti- 
flqiierloH diTers pays^ les sciences économiques et militaires, etc. 

Comme la Revue politique et littéraire, la Revue scientifique a 
élargi son cadre depuis le 1®' janvier 1881, en présence de la 
nécessité de donner une plus large place à chacune des sciences 
en particulier. 

Parmi les collaborateurs nous citerons : 

Astronomie, rpMéorologie, — MM. Paye, Balfour-Stewart, 
Janssen, Normann Lockyer, Vogel, Laussedat, Thomson, Rayet, 
Briot, A. Herschel, Gallandreau, Trépied, etc. 

Physique. — MM. Helmholtz, Tyndall, Desaîns, Mascart, Car- 
penter, Gladstone, Fernet^ Bertin, Breguet, Lippmann. 

Chimie. — MM. Wurtz, Bertheiot, H. Sainte-Glaire Deville, Pas- 
teur^ Grimaux, Jungfleisch, Odling, Dumas, Troost, Peligot, 
Gahours, Friedel, Frankland. 

Géologie, — » MM. Hébert^ Bleicher, Fouqué, Gaudry, Ramsay, 
Sterry-Hunt^ Gontejean^ Zittel, Wallace, Lory, Lyell^ Daubrée, 
Yélain. 

Zoologie» — MM. Agassiz, Darwin, Haeclcel, Milne Edwards, 
Perrier, P. Bert Van Beneden, Lacaze-Duthiers, Giard, A. Moreau, 
E. Blanchard. 

Anthropologie, — MM. de Quatrefages» Darwin, de Mortillet, 
Virchow, Lubboclc, K. Vogt, Joly. . 

Botanique. — MM. Bâillon, Cornu, Faivre, Spring, Chatin, 
Yan Tieghem, Duchartre, Gaston Bonnier. 

Physiologie j anatomie. — MM. Chauveau, Charcot, Moleschott, 
Onimus, Ritter, Rosenthal, Wundt, Pouchet, Ch. Robin, Yulpian, 
Virchow, P. Bert, du Bois-Reymond, Helmholts, Marey, Briicke, 
Gh. Richet. 

Médecine. — MM. Ghauveau, Cornil, Le Fort, Verneuil, 
Uebreich, Lasègue, G. Sée, Bouley, Giraud-Teulon, Bouchardat, 
liéplne, h, H. Petit. 

^ience» militaires, — MM. Laussedat, Le Fort, Abel, Jervois, 

Usquin, X»**. 



— 21 — . 

Philosophie scientifique, — MM. Alglave, Bagehot, Garpenter, 
Hartmann, Herbert Spencer, Lubbock, Tyndall, Gavarret, Ludwig, 
Th. Ribot. 

Prix d'abonnement : 



Une seule Revue séparément 

Six mois. Un an. 
Paris..*.... 15' 25' 
Départements. 18 30 
Étranger.. .. 20 35 



Les deux Revues ensemble 

Six mois. Un an. 

Paris 25' 45 

Départements. 30 50 
Etranger. ... 35 55 



L'abonnement part du 1^' juillet, du 1«' octobre, du 1^*^ janvier 

et du l^** avril de chaque année. 

Chaque volume de la première série se vend : broché 15 fr • 

relié 20 fr. 

Chaque année de la 2^ série^ formant 2 volumes, se vend : 

broché 20 fr. 

relié 25 fr. 

Chaque année de la 3^ série, formant 2 volumes, se vend : 

broché 25 fr. 

relié 30 fr. 

Port des volumes à la charge du destinataire. 

Prix de la eolleetlon de la première série : 

Prix de la collection complète de la Revue des cours littéraires ou de 
la Revue des cours scientifiques (1864-1870), 7 vol. in-4. 105 fr. 

Prix de la collection complète des deux Revues prises en même temps. 
14 vol. in-4 , 182 fr. 

Prix de la eolleetion eomplète des devx premières séries ! 

Revue des cours littéraires et Revue politique et littéraire, ou Revue 
des cours scientifiques et Revue scientifique (décembre 1863 — jan~ 
vier 1881), 26 vol. in-4 295 fr. 

La Revue des cours littéraires et la Revue politique et littéraire, avec 
la Revue des cours scientifiques et la Revue scientifique, 52 volumes 
in.4 524 fr. 

La troisième série a commencé le i*' janvier 1881 



— 22 — 



DE LA FRANGE ET DE L'ETRANGER 

lie 



Agrégé de philo80(Aie, Docteur ds lettres 
(5* année, 1881.) 

La Revue philosophique paraît tous les mois, par livraisoni^ 
de 6 à 7 feuilles graod iD-8, et forme ainsi à la fin de chaque 
année deux forts volumes d*en?iron 680 pages chacun. 

CHAQUE NUMÉRO DE LA REVUE CONTIENT : 

1® Plusieurs articles de fond ; 2** des analyses et comptes rendus eu 
nouveaux ouvrages philosophiques français et étrangers ; 3** un comfli 
rendu aussi complet que possible des publications périodiques de Vé^ 
tranger pour tout ce qui concerne la philosophie; H^ des notes, don* 
ments, observations, pouvant servir de matériaux ou donner lieu à dei 
Ynes nouvelles. 

' Prix d'abonnement : 

Un an, pour Paris, 30 fr. — Pour les départements et Tétranger, 33 fr. 
La livraison 3 fr. 

REVUE HISTORIQUE 

INrisée par MM. C&abriel MOMO» et QostoYe f ACWIBE 

(5« année, 1881.) 

La Revue historique parait tous les deux mois, par lifrai- 
sons grand in-8 de 15 à 16 feuilles, de manière à former à la 
fin de Tannée trois beaux Tolumes de 500 pages chacun. 

CHAQUE LIVRAISON CONTIENT : 

1. Plusieurs articles de fond, comprenant chacun, s*il est possible, 
on travail complet. — II. Des Mélanyes et Variétés, composés de docu- 
ments inédits d'une étendue restreinte et de courtes notices sur dfli 
points d'histoire curieux ou mal connus. — III. Un Bulletin historique de 
la France et de l'étranger, fournissant des renseignements aussi complets 
que possible sur tout ce qui touche aux études historiques. — IV. Une ana- 
lyse des publications périodiques de la France et de l'étranger, au point 
de vue des études historiques. — V. Des Comptes rendus critiques dei 
livres d'histoire nouveaux. 

Prix d'abonnement : 

Un an. pour Paris, 30 fr. — Pour les départements et l'étranger, 33 fr. 
I « ii>n^qison 6 fr. 



— 23 — 



REVUE DE MÉDECINE 

Dirigée par MM. 
Bouchard , Chargot , Ghadveau 

PaRROT et VULPIAN 

Rédacteurs en Chef 
BfM. Landouzt et Lépine 



REVUE DE CHIRURGIE 

Dirigée par MM. 
Ollier et Vernedil 

Rédacteurs en Chef 
MM. NiGAisE et Terrier 



ir« 



année — 4991. 



La Revue de médecine et la Revue de chirurgie sont la continuation 
de la Revue mensuelle de médecine et de chirurgie fondée en 1877. Le 
programme de ces Revues reste d'ailleurs le même, elles publient cha~ 
cune : 1° des Travaux originaux; 2** des Revues critiques; 3** des Ana- 
hjses critiques des travaux et des livres publiés en France et à l'étranger. 
Chaque Revue paraît tous les mois par livraisons de 5 à 6 feuilles in-8 
raisin, de façon à former à la fm de Tannée un fort volume de 1000 à 
1100 pages. 

PRIX D^JlBOMllfiBIEIiT 



Pour une seule Revue : 

Un an, Paris 20 fr. 

— Départ, et étranger. 23 fr. 



Pour les 2 Revues réunies : 

Un an, Paris 35 fr. 

— Départ, et étranger. 40 fr. 



La livraison 2 francs. 



Chacune des années de la Revue mensuelle de médecine et de chi^ 
rurgie (1877, 1878, 1879, 1880) se vend séparément 20 fr. ; on peut 

aussi avoir les livraisons séparées aux prix de 2 fr. 

ji 

Journal de l'Anatomie et de la Physiologie 
normales et pathologiques de l'homme et 
des animaux, publié par MM. Charles Robin et 
G. PoucHET. (Dix-septième année, 1881.) 




sur 

travaux 

qm se font à l'étranger sur la plupart des sujets qu'embrasse le titre de ce recueil. 

U a «n outre pour objet : la tératologie, la chimie organique, l'hygiène^ la toxi- 
cologie et la médecine légale dans leurs rapports avec l'anatomie et la physiologie. 

Les applications de l'anatomie et de la physiologie à la pratique et de la méde- 
dne, de la chirurgie et de l'obstétrique, 

CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION : 

Un an, pour Paris 30 fr. 

— pour les départements et Tétranger 33 fr. 

La livraison ... 6 fîr. 

Les treize premières années , 1864, 1865, 1866, 1867, 1868, 18d9, 

1870-71, 1872, 1873, 1874, 1875, 1876 et 1877, sont en vente au prix de 

fO fr. Tannée, et de 3 fr. 50 la livraison. L'abonnement est porté 
à 30 fr. depuis l'année 1878. 



— 24 — 

RÉCENTES PUBLICATIONS MÉDICALES 



Pathologie médicale. 

BÂRTELS. lies maladies des retais, traduit de l'alleniand par le 
docteur Edelmann; avec préface et notes de M. le professeur Lépire. 
1 vol. in-8 avec fig. (Sous presse .) 

BIGOT (V.). Des périodes raisemuuates de raUénatlon men- 
tale, i vol. in-S. 1877. 10 fr. 

BOTKIN. Des maladies du eœnr. Leçons de clinique médicale faites 
à l'Université de Saint-Pétersbourg. 1872^ in-8. 3 fr. 50 

BOTKIN. De la flèvre. Leçons de clinique médicale faites à l'Université 
de Saint-Pétersbourg. 1872, in-8. à fr. 50 

BOUGHUT. Histoire de la médeetaie et des doetrinea médi- 
eales. 1873, 2 vol. in-8. 16 fr. 

BOUGHUT. DIagnostle des maladies du système nerreiix par 
rophthalmoseopie. 1866, 1 vol. in-8 avec atlas colorié. 9 fr. 

BOUGHUT ET DESPRÉS. Dletionnalre de médeelne et de thé- 
rapeutique médicale et eMmrgleale, comprenant le résumé 
de la médecine et de la chirurgie, les indications thérapeutiques de 
chaque maladie, la médecine opératoire, les accouchements, Toculis- 
tique, l'odontotechnie, les maladies d'oreille, l'électrisation, la ma- 
tière médicale, les eaux minérales, et un formulaire spécial pour 
chaque maladie. 3^ édition^ 1877, très augmentée. 1 vol. in-A avec 
906 figures dans le texte et 3 cartes. 
Broché. 25 fr. — Gartonné. 27 fr. 50; — Relié. 29 fr. 

DAMASGHINO. liOçons snr la maladie des voles dlsestlves. 
1 vol. in-8, 1880. U fr. 

DESPRÉS. Traité théorique et pratique de la syphilis, ou infec- 
tion purulente syphilitique. 1873, 1 vol. in-8. 7 fr. 

DURAND-FARDEL. Traité pratique des maladies ehronlques. 
1868, 2 vol. gr. in-8. 20 fr. 

DURAND-FARDEL. Traité thérapeutique des eaux mluérales 
de la France et de l'étranger, et de leur emploi dans les maladies 
chroniques. 3^ édition. 1 vol. in-8. {Sous presse.) 

DURAND-FARDEL. Traité pratique des maladies des TieUlards. 
1873, 2« édition. 1 fort voL gr. in-8. U fr. 

FERRIER. De la loeallsatlon des maladies eéréhrales, traduit 
de l'anglais par H. G. de Varignt, suivi d'un mémoire de MM. Ghàr- 
COT et Pitres sur les Localisations motrices dans les hémisphères de 
Vécorce du cerveau, 1 vol. in-8 et 67 fig. dans le texte. 1879. 6 fr. 

GVRNIER. Dletionnalre annuel des progrès des seleneea el 
Institutions médleales, suite et complément de tous les diction- 
naires. 1 vol. in-12 de 500 pages. 16« année, 1880. 7 fr. 



RÉCENTES PUBLICATIONS MÉDICALES. 25 

GINTRAG (E.)* Conni théorique et elinl^ne de pathologie In- 
terne et de thérapie médicale. 1853-59. 9 toI. gr. in-8. 63 fr. 

Les tomes lY et y se Tendent séparément. lA fr. 

Les tomes VI et VII (Maladies du système nerveux) se vendent sépa- 
rément. iti fr. 

Les tomes VIII et IX {Maladies du système nerveux^ suite) se ven- 
dent séparément. ià. fr. 

GINTRAG. Traité théoriqne et pratique des maladleii de Tap- 
pareil nerveux. 1872, A vol. gr. in-8. 28 fr. 

GOUBERT. Manuel de Tart des autopsies cadavériques^ surtout 
dans ses applications à Tanat. pathol. , accompagné d'une lettre de 
M. le prof, Bouillaud. In-18 de 520 pages, avec 1A5 figures. 6 fr. 

HÉRARD ET GORNIL. De la phthisie pulmonaire^ étude anatomo- 
pathologique et clinique. 1 vol. in-8 avec fig. dans le texte et 
planches coloriées. 2* édit. (Sous presse ,) 

K13NZE. Manuel de médecine pratique^ traduit de l'allemand par 
M. Knoeri. i vol. ivL-iS. {Sous presse,) 

LANGEREAUX. Traité théorique et pratique de la syphilis. 

2* édition. 1874. 1 vol. gr. in-8 avec fig. et planches color. 17 fr. 

MÂRTINEAU. Traité «Unique des affections de Tutérus. 1 fort 
vol. gr. in-8. 1879. 14 fr. 

MAVDSLEY. i^a pathologie de Tesprlt, traduit de l'anglais par 
M. Germont. 1 vol. in-8. (Sous presse,) 

MUNARET. liO Médecin des villes et des campagnes. H^ édition. 
1862, 1 vol. gr. in-8. 4 fr. 60 

MCRGHISON. De la flèvre typhoVde, avec notes et introduction du 
docteur H. Gdeneau de Musst. 1 vol. in-8 avec figures dans le texte 
et planches hors texte. 1878. 10 fr. 

NIEMEYER. Éléments de pathologie Interne et de tliérapeu- 
tiquC) traduit de l'allemand, annoté par M. Gornil. 1873, 3^ édition 
française augmentée de notes nouvelles. 2 vol. gr. in-8. 44 fr. 

ONIMUS ET LEGROS. Traité d*électrlelté médicale. 1 fort vol. 
in-8, figures intercalées dans le texte. (Sous presse,) 

TARDIEU. Manuel de pathologie et de clinique médicales. 

4® édition, corrigée et augmentée. 1873, 1 vol. gr. in-18. 8 fr. 

TAYLOR. Traité de médecine légale, traduit de l'anglais par le 
D' Henri Goutagne. 1 vol. gr. in-8. 15 fr. 



!^ ftidBPm vxnajCàTBOBfs wimLUMS. 



A50EB (B<mjAmiii). 

wmmtemiem, précédé d'iineintr. par M. le profeaseiir Teipcsn. b-l. 

Cha/pie livraison est composée de huit pfauiciies et im tcxle eomi- 
pondant. Prix. 12 fr. 

Tons les exemplaires sont coloriés. — La première partie (Lnxatioii 
et Fractnres) est terminée ; elle est composée de 12 li f iJ U Bo w a et demie 
(100 planehes contenant 254 fig. et 127 bois); et coàte, reliée. 150 fr. 
BILLROTH. TrmHé ée ptlirtesig ckirwsmye gf^fiale, trt- 

doit de l'allemand, précédé d'one introd. par M. le proL YxuiuiL. 

1880, %• tinmrf^i 1 fort ToL grr. in-S, avec 100 fig. dans le texte. 14 fr. 
DON I> ERS. Wi^affllgMaff r et les irerres cjlindriqaes, traduit di 

hollandais par le docteur H. Doa^ médecin à Yerey. 1862, 1 yfA. 

in'8 de 144 pages. d fr. 51 

De ARLT. Wem fci eiwrea de l'seil, considérées an point de Tue pn- 

tique et médico-légal. 1 vol, in-18. 3 fr. 50 

JAMAIN rt TERRIER. mammI «e petite ekfnnrsie. 1880, 6" édit., 
refondae. 1 vol. gr. in-18 de 1000 pages avec 450 fig. 9 fr. 

JAMAIN tT TERRIER. BfMiael de pathetosie et de e — H pe 
cMrvrsleales* 1876, 3« édition. Tome I^ 1 fort vol. in-18. 8 fr. 

Tome II. 1 Tol. in-18. 1878-1880. 8 fr. 

Tome III. 1 vol. in-18. {Sous presse.) 

KOENIG (Franz). Patlielosie ehimrsieale, traduit de Talleniând par 

le docteur Pluckert. 2 forts vol. in-8 avec fig. (Sous presse.) 

LE FORT. La ehlmrsle miUtalre et les Sociétés de secours en 
France et à l'étranger. 1872, 1 vol. gr. in-8 avec fig. 10 fr. 

LIEBREICII (Richard). Atlaii d'ophthalmoseopie représentant l'état 
normal et les modifications pathologiques du fond de Toeil visibles 
k Tophthalmoscope, composé de 14 planches contenant 60 figures 
tirées en chromolithographie, accompagnées d'un texte explicatif et 
dessinées d'après nature. 1870, 2^ édition. 1 vol. in-folio. 30 fr. 

MAC (xORMAC. Manuel de ehirargie antiseptique, traduit de l'an- 
glais par M. le docteur Lutaud. 1 vol. in-8 avec 62 fig. (1881). 6 fr. 

MALCiAUtNK. Manuel de médecine opératoire. 8^ édition^ publiée 
par M. le professeur Léon Le Fort. 2 vol. grand in-18 avec 744 fig. 
dans In texte. 1873-1877. 16 fr. 

MAUNOURY BT SALMON. Manuel de rart des aeeouehenaentfl, 

^ l'usnge des élèves en médecine et des élèves sages-femmes. 1874» 

in-18 avec 115 grav. 7 fr. 



t 



RÉCENTES PXJBLICATIONS MÉDICALES. !27 

NfiLATON. Élémento de pathologie chlmrsleale^ par M. A. Né- 

laton, membre de l'Institut, professeur de clinique à la Faculté de 
médecine, etc. 

Seconde édition complètement remaniée. 

Tome premier^ rédigé par M. le docteur Jamain^ chirurgien des hô- 
pitaux. 1 fort vol. gr. in-8. 9 fr. 

Tome second, rédigé par le docteur Péan, chirurgien des hôpitaux. 
1 fort vol. in-8 avec 288 fig. dans le texte. 13 fr. 

Tome troisième, rédigé par M. le docteur Péan. 1 vol. gr. in-8 
avec 1^8 figures dans le texte. m fr. 

Tome quatrième, rédigé par M. le docteur Péan, 1 vol. gr. in-8 avec 
208 figures. 14 fr. 

^TolIE aNQuiÈME, rédigé par M. le doct. Després. 1 vol. in-8. (S. presse,) 
A6£T (Sir James). lieçons de «Unique ehlrargleale, traduites de 
l'anglais par le docteur L. H. Petit, et précédées d'une introduction 
h de M. le professeur Verneuil. 1 vol. grand in-8, 1877. 8 fr. 

WËAN. liOCOiM de cllnlqne ehlrursleale . 

f Tome I. Leçons professées à l'hôpital Saint-Louis pendant Tannée 

I 1874 et le premier semestre de 1875. 1 fort vol. in-8, avec 

f 40 figures intercalées dans le texte et 4 planches coloriées hors 

texte. 1876. 20 fr. 

Tome II. Leçons professées pendant le deuxième semestre de l'année 
1875 et l'année 1876. 1 fort vol. in-8^ avec ûg. dans le texte. 20 fir. 

PHILLIPS. Traité des maladlen des wolett nrliialres. 1860, 
1 fort vol. in-8 avec 97 fig. intercalées dans le texte. 10 fr. 

feUGHARD. Pratique Journalière de la ehimrsie. 1 vol. gr. in-8 
aifec 215 fig. dans le texte. 2^ édit., 1880, augmentée de chapitres 
inédits de l'auteur, et revue par le D' J. Craue. 16 Or. 

^OTTENSTEIN. De ranesthésle chlrurslcale. 1 vol. in-8. 10 fr, 

SCHWEIGGER. liCçonA d*ophtlialnio9eopie, avec 3 planches lith. et 
des figures dans le texte. In-8 de 144 pages. 3 tr, 50 

SCELBER6-WELLS. Traité pratique don maladies des yeux. 

1873, 1 fort vol. gr. in-8 avec figures. Traduit de l'anglais. 15 fr. 

VIRGHOW. Pathologie des tumeurs, cours professé à l'Université de 
Berlin, traduit de l'allemand par le docteur Aronssohn. 

Tome I". 1867, 1 voL gr. in-8 avec 106 fig. 12 fr. 

Tome II. 1869, 1 vol. gr. in-8 avec 74 fig. 12 fr. 

Tome m. 1871, 1 voL gr. in-8 avec 49 fig. 12 fr. 

Tome IV. 1876 (1" fascicule), i gr. ia-8avec figures. 4 flr. 50 



28 RÉCENTES PUBLICATIONS MÉDICALES. 

YVERT. Traité praU^ve et ellBiqae des MeMMves da gMi 
rœil, avec introduction de M. le D' Galezowski. i 
gr. in-8. 1880. 

Thérapeutique. — Pharmacie. — Hygiène. 



BINZ. Abrégé de matière médicale et de tliérapeatlqae^ t 

de rallemand par MM. Alquier et Courbon. 1872. 1 yoI. ia- 
335 pages. 2 1 

BOUGHARDAT. Traité d'hygiène publique et privée, bas< 
TÉtiologie. 1882. 1 fort Tol. gr. in-8. 

BOUGHARDAT. Mouveau Fermulaire magistral, précédé 
Notice sur les hôpitaux de Paris, de généralités sur l'art de fora 
suivi d'un Précis sur les eaux minérales naturelles et artific 
d'un Mémorial thérapeutique, de notions sur l'emploi des c< 
poisons, et sur les secours à donner aux empoisonnés et ai 
phyxiés. 1881, 23® édition, revue, corrigée. 1 vol. in-18. 3 
Cartonné à l'anglaise, à fr. — Relié. à 

BOUGHARDAT. Formulaire vétérinaire, contenant le mode 
tion, l'emploi et les doses des médicaments simples et con 
prescrits aux animaux domestiques par les médecins vétéri 
français et étrangers, et suivi d'un Mémorial thérapeu 
3« édit i vol. in-18. (Sous presse,) 

BOUGHARDAT. Manuel de matière médicale, de tbéri 
tique comparée et de pbarmaele. 1873, 5® édition, S 

gr. in-18. i 

BOUGHARDAT. Annuaire de thérapeutique, de matière n 
eale et de pharmacie pour 1991, contenant le résumé de 
vaux thérapeutiques et toxicologiques publiés pendant V 
1881. 1 vol. gr. in-32. ai* année. i 1 

BOUGHARDAT. De la glycosurie ou diabète sucré, son t 

ment hygiénique. 1875. 1 vol. grand in-8, suivi de notes et docui 
sur la nature et le traitement de la goutte, la gravelle uriqut 
l'oligurie, le diabète insipide avec excès d'urée, l'hippurie, 
mélorrhée, etc. 

GORNIL. lieçons élémentaires d'hygiène privée, rédigées d' 
le programme du ministre de l'instruction publique pou 
établissements d'instruction secondaire. 1873, 1 vol. in-18 
figures. 2 1 



RÉCENTES PUBLICATIONS MÉDICALES. 29 

DESCHAMPS (d'Avallon). Compendlnm de pharmaeie pratique. 

Guide du pharmacien établi et de rélève en cours d'études^ com- 
prenant un traité abrégé des sciences naturelles^ une pharmacologie 
raisonnée et complète^ des notions thérapeutiques, et un guide pour 
les préparations chimiques et les eaux minérales; un abrégé de 
pharmacie vétérinaire^ une histoire des substances médicamen- 
teuses^ etc. ; précédé d'une introduction par M. le professeur Bou- 
chardat. 1868, 1 vol. gr. in-8 de 1160 pages environ. 20 fr. 

MAURIN. Formulaire magistral des maladies des enfants. 

1 vol. in-18. (Sous presse.) 

Anatomie. — Physiologie. — Histologie. 

ALAVOINE. Tableaux du système nenrenx, deux grands tableaux 
avec figures. 1878. 5 fr. 

BAIN (Al.). lies sens et Tintelllgence, traduit de l'anglais par 
M. Gazelles. 1873, 1 fort vol. in-8. 10 fr. 

BASTIÂN (Charlton). lie eer veau, organe de la pensée. 2 volumes 
in-8 avec figures, cart. à Tangl. 12 fr. 

BÊRAUD (B. J.). Atlas complet d^anatomie etairurgicale topo- 
graphique, pouvant servir de complément à tous les ouvrages 
d'anatomie chirurgicale, composé de 109 planches représentant plus 
de 200 gravures dessinées d'après nature par M. Bion, et avec texte 
explicatif. 1865, 1 fort vol. in-4. 

Prix : fig. noires, relié. 60 fr. — Fig. coloriées, relié. 120 fr. 
Le même ouvrage, texte anglais. (Même prix.) 

BÊRAUD (B. J.) ET ROBIN. Manuel de physiologie de l'homme 
et des principaux vertébrés. 2 vol. gr. in-18, 2^ édition, 
entièrement refondue. 12 fr. 

BÊRAUD (B. J.) ET YËLPËAU. Manuel d'anatomie ehlrurgleale 
générale et topographique. 2** éd., 1 vol. in-8 de 622 p. 7 fr. 

BERNARD (Claude). lierons sur les propriétés des tissus vU 

▼ants, avec 94 fig. dans le texte. 1 vol. in-8. 8 fr. 

BERNSTËIN. I<es sens. 1877. 1 vol. in-8 de la Bibliothèque scient 
intern.y avec fig., 2« édit. Cart. 6 fr. 

CORNIL et RANYIER. Manuel d'histologie pathologique. 2<^ édi- 
tion. 2 vol. in-8 avec de nombreuses figures dans le texte. 

Tome I. 1 fort volume in-8. 15 fr. 

Tome II. {Sous presse .) 

FAU. Anatomie des formes du eorps humain, à l'usage des 
peintres et des sculpteurs. 1866, 1 vol. in-8 avec atlas in-folio de 
25 planches. Prix : fig. noires. 20 fr. — Fig. coloriées. 35 fr. 



30 RÉCniTES FDBUCâTIONS MÉDICiLES. 

FEBRIER. I«e« fmmeUmmm ûm emrwemm. 1 toL in-S, traduit de rtn- 
glais par M. H. C. de Yarignj, arec 68 fig. dans le texte, 1878. 10 fr. 

FERRIER. I«e« l«ealiMittMMi des ■uUiUUe* c ér éfcw rt cg- 1 vol 

iii-8, traduit de l'anglais, par M. H. G. de Yaugitt. Suivi d'in 
mémoire de MM. Charcot et Pitres sur les localisations motrieu 
dans l'écorce det hémisphères du cerveau, 1 vol. in-8. 1879. 6 fr. 

JAMAIN. %9Kwemm traité, éléneatalre ^Tsmaamw^e deMHpttve 

•i «e prépAr*ti*B« ABAt^mHiaefl. 3« édition, 1867, 1 toI. grand 

in-18 de 900 pages avec 223 fig. intercalées dans le texte. 12 fr. 

Avec figures coloriées. 40 fr. 

LEYDI6. Traité d'iU«tol*sie e*mparée de nMmme et ««• 
ABiBuuix^ traduit de rallemand par le docteur Lahillonne. 1 fort 
vol. in-8 avec 200 figures dans le texte. 1866. 15 fr. 

L0N6ET. Traité de pliysiolosie- 3^ édition, 1873.3 v. gr. in-8avee 
figures, 36 fr. 

LUYS. I^e eerrean, ses ffonettoB*. 1 vol. in-8 de la Bihliothèqve 
scient, intem,, 1879, 4« édit. avec fig. Cart. 6 fr. 

IIAREY. Du mouTeiiient daB« le« ffonetlentf de la vne. 1868, 
1 vol. in-8 avec 200 figures dans le texte. 10 fr. 

MAREY. I«a maetaine animale. 1877, 2« édit., 1 vol. in-8 de la Bi- 
bliothèque scientifique internationale. Cartonné. 6 fr. 

PETTIGREW. lia loeomotlon eiiez les anlmaiix^ marche^ natation. 
1 vol. in-8, avec figures. 6 fr. 

ROBIN (Gh.) et POUGHET. Journal de l'anatamle et de la phy- 
siolosie normales et pathologiques de l'homme et des animaux, 
dirigé par MM. Je professeur Gh. Robin (de l'institut) et 6. Pouchet, 
professeur au Muséum d'histoire naturelle, paraissant tous les deux 
mois par livraison de 6 à 7 feuilles gr. in-8 avec planches. 

Prix de l'abonnement, un an, pour Paris. 30 fr. 

— — pour la France et l'étranger. 33 fr. 

La livraison. 6 fr. 

ROSEMTHAL. I^es nerfs et les muscles. 1 vol. in-8 avec 75 figures. 
2* édit., 1878. 6 fr. 

SGHIFF. liOçons sur la physiolosle de la digestion^ faites an 
Muséum d'histoire naturelle de Florence. 2 vol. gr. in-8. 20 fr. 

VULPIAN. lieçons de ptaysiolosie générale et comparée dn 
système nerveux, faites au Muséum d'histoire naturelle, recueillies 
et rédigées par M. Ernest Brémond. 1866, 1 vol. in-8. 10 Ar. 

VULPIAN. I^eçons sur l'appareil ¥aso*motenr (physiologie et patho- 
logie), reoueilUes par le D' H. Gartille. 2 vol. in-8. 1875. 18 fr.